Couleur & vin. 7. La robe des vins dans tous ses éclats
La robe d’un vin séduit essentiellement par sa couleur mais dispose, comme toute robe, de bien d’autres atouts de séduction. Ces derniers, associés ou non à la couleur, sont la brillance ou l’éclat, la limpidité, la fluidité... Importants pour l’aspect visuel d’un vin, ces paramètres procurent de précieuses informations. C’est pourquoi la robe d’un vin mérite d’être examinée avec le regard d’un scientifique amateur de vin afin d’enrichir les documents destinés au grand public,1 peu enclins à développer ces aspects.
La brillance ou l’éclat : des termes mal définis
On a coutume d’évoquer la brillance d’un vin pour qualifier son aptitude à refléter la lumière. Certains parlent de l’éclat de la couleur d’un vin, observable en se positionnant au-dessus du verre incliné à 45° pour observer les reflets de la surface (appelée disque). Qualitativement, on parle de vin brillant, éclatant, étincelant, voire cristallin, ou au contraire de vin mat, terne, éteint… En colorimétrie, le terme de brillance a longtemps été synonyme de luminosité, puis il a été remplacé par le terme de luminance (exprimant l’intensité lumineuse par unité de surface). Mais inutile de s’attarder sur ce point car, de toute façon, la brillance n’apporte pas plus d’information que la limpidité !
Limpidité : en science, on parle de turbidité
Pour évaluer la limpidité (ou la turbidité) d’un vin, interposez votre verre entre une source lumineuse (une lampe ou une fenêtre) et votre œil. Le plus souvent, le vin est parfaitement limpide, ce qui est un signe de qualité. On observe parfois des particules en suspension qui finissent par sédimenter (matières colorantes, cristaux de tartre2 incolores, etc.). Dans le cas des vieilles bouteilles, la formation de dépôts noirs est due à la précipitation des tanins. Les particules dont ils sont constitués n’ont aucune incidence sur le goût mais procurent une sensation désagréable dans la bouche. C’est pourquoi il est conseillé de maintenir la bouteille à demi inclinée grâce à un panier verseur pendant le service du vin pour éviter de verser ces particules dans le verre.
Lorsque les particules sont trop fines pour sédimenter, le vin est qualifié de trouble, ou de voilé si la turbidité est faible. C’est ce que l’on observe lors d’une dégustation de vins effectuée pendant la fermentation ou juste après, en tout cas avant le soutirage, car le vin est alors chargé en lies. L’apparition d’un trouble, d’origine physicochimique, est appelée casse ; elle s’accompagne souvent d’un changement de couleur, d’où les noms de casse brune, casse bleue, casse blanche… (voir Annexe).
Par la suite, le vin fait l’objet d’une opération de clarification car un trouble est en général considéré comme un défaut résultant des conditions d’élevage du vin. La clarification met en œuvre divers procédés : filtration, collage (ajout de « colles » protéiques ou minérales pour provoquer la sédimentation), ultracentrifugation.3
Cependant, certains vignerons produisent des vins (vins bio notamment) sans clarification lorsqu’ils souhaitent préserver la complexité et la subtilité des arômes, le léger trouble n’étant à leurs yeux qu’un inconvénient mineur (Fig. 1). Une indication sur l’étiquette avertit alors le consommateur.

Fig. 1. Un vin autrichien volontairement trouble. Source : www.dico-du-vin.com
Bien que l’examen visuel soit suffisant pour le dégustateur, une évaluation quantitative de la turbidité est possible avec des appareils appelés néphélomètres4. Leur principe est simple : on fait passer un faisceau lumineux (en général de la lumière blanche) à travers une cellule d’1 cm d’épaisseur contenant le vin. On mesure, dans une direction perpendiculaire au faisceau incident, l’intensité de la lumière diffusée par les particules en suspension. On évalue également, dans l’axe du faisceau, l’intensité de la lumière transmise, atténuée par la diffusion de la lumière, d’une part, et par l’absorption de la lumière par le vin, d’autre part. À partir des pourcentages de lumière diffusée et transmise, on déduit la turbidité qui s’exprime en unité de turbidité néphélométrique NTU (Nephelometric Turbidity Unit). Sa valeur est inférieure à 1 NTU pour un vin parfaitement limpide, de l’ordre de 2 à 4 NTU pour un vin voilé, et de 5 à 8 NTU pour un vin trouble.
Fluidité : le terme scientifique est viscosité
Un vin peut être qualifié de fluide, onctueux, épais, gras, etc. Ces dénominations résultent non seulement de l’examen visuel, mais aussi de l’impression ressentie en bouche. Voyons de plus près les raisons physiques sous-jacentes. La fluidité d’un vin traduit évidemment la facilité avec laquelle il s’écoule. En science, on parle de viscosité (l’inverse de la fluidité).
Divers types d’appareils permettent d’évaluer la viscosité et révèlent que celle d’un vin dépend étroitement de sa teneur en alcool (plus précisément l’éthanol), en glycérol et en sucres. La viscosité est d’autant plus grande que ces teneurs sont élevées. Les pourcentages en éthanol sont couramment de 10 à 15 %, mais il atteint 18-20 % pour les vins doux (Porto, Banyuls, etc.). Les mesures à l’aide d’un viscosimètre montrent que la viscosité croît linéairement avec la concentration en éthanol dans cette gamme de pourcentages. La variation est également linéaire avec la concentration en sucres dont l’effet est particulièrement notable avec les vins liquoreux qui, par définition, en contiennent plus de 50 grammes par litre, et dans une moindre mesure pour les vins dits moelleux (30 à 50 grammes par litre). Enfin, le glycérol (ou glycérine), formé au début de la fermentation alcoolique, contribue à une augmentation de la viscosité même en faible quantité car il est beaucoup plus visqueux que l’éthanol. Les vins en contiennent au minimum 5 grammes par litre, et parfois nettement davantage.
On pourrait croire alors que la présence de glycérol est pour beaucoup dans la sensation de gras (« le gras du vin ») et de moelleux lors de la dégustation. En réalité, il faut des teneurs très supérieures à celles existant normalement dans le vin pour modifier sensiblement la perception gustative. Et contrairement à une idée reçue, ce n’est pas le glycérol qui joue un rôle prépondérant dans la formation des « larmes » du vin. Voyons de quoi il s’agit.
Les larmes du vin : une affaire de tension de surface
Prenez un verre partiellement rempli de vin et animez-le d’un mouvement circulaire. Ce geste préalable de la dégustation est utile pour faire s’échapper les arômes. Dès que vous cessez l’agitation, le film liquide ayant adhéré aux parois forme des gouttes qui descendent de façon irrégulière, comme si le vin pleurait, d’où le nom de larmes du vin. Du fait de leur aspect onctueux, ces larmes ont été initialement attribuées au glycérol, mais à tort, et cette croyance populaire a longtemps perduré. Pourtant, dès 1855, l’Anglais James Thomson (le frère de Lord Kelvin) donna l’explication physique de cet effet. L’Italien Carlo Marangoni en généralisa l’étude en 1865, et c’est pourquoi il est dénommé effet Marangoni5.
Pour comprendre le phénomène, observons une goutte d’éthanol déposée sur une surface de verre : elle s’étale davantage qu’une goutte d’eau ; on dit qu’elle « mouille » davantage le verre. En physique, on justifie cette observation par le fait que l’éthanol a une tension de surface6 plus faible que celle de l’eau (d’un facteur 3 environ). En conséquence, un mélange d’eau et d’éthanol, comme le vin, est plus mouillant que l’eau pure, ce qui explique pourquoi il monte plus haut sur les parois que l’eau par capillarité. Autre différence entre l’éthanol et l’eau : l’éthanol (dont la température d’ébullition est 78 °C) est plus volatil que l’eau. Ainsi, le film de vin mouillant le haut du verre, après agitation, s’appauvrit en éthanol par évaporation. Du fait de l’augmentation de la tension de surface qui en résulte, des gouttes ont tendance à se former et retombent en coulures (Fig. 2). Toutefois, si un détergent subsiste après lavage du verre, les larmes sont réduites, voire supprimées, car les détergents sont des tensioactifs, c’est-à -dire des composés qui abaissent la tension de surface.

Fig. 2. Les larmes du vin s’expliquent par la tension de surface du film de vin sur le verre, tension qui augmente lorsque l’éthanol s’évapore. Une teneur élevée en alcool favorise la formation de larmes (ici un vin de Porto). © Bernard Valeur
Tous les aspects abordés ici peuvent paraître très techniques et susceptibles de détourner du monde des sensations l’amateur de vin. Au contraire, leur connaissance ne peut que contribuer à éclairer son regard, élargir ses connaissances et enrichir son approche sensorielle des vins.
Références et notes
1Voir par exemple : É. Peynaud, J. Blouin, Le goût du vin, Dunod, 2013 (5e éd.).
2Le tartre est ici constitué de sels de potassium et de calcium de l’acide tartrique.
3 P. Scheromm, Quand le raisin se fait vin, Quae, 2011 ; A. Carbonneau, J.-L. Escudier, De l’œnologie à la viticulture, Quae, 2017.
4Néphélométrie, Wikipedia.
5J.-M. Courty, E. Kierlik, « Les petits bateaux de Marangoni », Pour la Science n° 510, avril 2020, pp. 80-82.
6La tension de surface est une force superficielle de tension qui existe tangentiellement à la surface de séparation entre deux milieux.
ANNEXE. Les casses : des accidents physicochimiques troublant(s)
L’apparition d’un trouble dans le vin se produit de diverses façons.a
- Casse oxydasique ou casse brune. La couleur du vin peut changer en moins d’une heure du rouge au brun, ou du jaune au brun jaunâtre, tandis qu’un dépôt brunâtre se forme. Ces phénomènes résultent d’une oxydation enzymatique des polyphénols (tanins, anthocyanes…) en quinones, puis en mélanine (de couleur brune). L’enzyme d’oxydation (laccase) est apportée par un des champignons pathogènes de la vigne (botrytis cinerea) provoquant la pourriture grise du raisin. Les grappes pourries doivent donc être soigneusement éliminées pour éviter la casse oxydasique
- Casse ferrique: casse bleue (vins rouges) ou casse blanche (vins blancs). Dans les vins rouges, un trouble bleuâtre apparaît lorsqu’un excès de fer (plus de 10 mg par litre) conduit à la formation de combinaisons insolubles entre les polyphénols et le fer. Dans les vins blancs, c’est la combinaison entre l'acide phosphorique et le fer en excès qui est insoluble : le trouble est dans ce cas blanchâtre. Le fer présent dans les vins est d'origine biologique (la vigne en prélève dans le sol). Pour éviter tout apport supplémentaire de fer, le matériel de vendange et la cuve de stockage sont de préférence en acier inoxydable. Les troubles apparaissent en général au bout de quelques jours, en présence d’oxygène, au froid et à l'abri de la lumière (par exemple lorsqu’une bouteille entamée a été conservée au réfrigérateur).
- Casse cuivreuse. Un excès de cuivre ou un manque d’oxygène provoque un léger trouble dans un vin blanc. Un excès de sulfitage, des températures élevées et l’exposition du vin à la lumière favorisent l’apparition de ce trouble. Les protéines étant indispensables au déclenchement de la casse cuivreuse, la casse protéique se produit souvent conjointement. Il faut éviter de mettre en contact des matériaux contenant du cuivre avec les moûts et les vins.
- Casse protéique. Un précipité floconneux blanchâtre apparaît dans les vins blancs du fait de la floculation de protéines en excès. La casse protéique est peu fréquente, car il est désormais d’usage de faire précipiter l’excès de protéines par collage avant la mise en bouteille.
aP. Ribéreau-Gayon et al., Traité d’œnologie, Tome 2, Dunod, 2012 (6e éd.).
LIENS VERS LES BILLETS PRÉCÉDENTS SUR LE THÈME « COULEUR & VIN »
- Les couleurs des baies de raisin.
- Comment les vins acquièrent-ils leurs séduisantes couleurs ?
- Comment caractériser la couleur d’un vin ?
- La robe des vins blancs.
- La robe des vins rouges.
- La robe des vins rosés.