Couleur & vin. 6. La robe des vins Rosés
L’engouement des Français pour le vin Rosé ne faiblit pas : ce sont les plus gros consommateurs au monde. Ce vin a un parfum d’été, de Soleil ; il égaye un apéritif ou accompagne un repas sur une terrasse ombragée. Servi bien frais, il déploie une robe claire dont la palette de couleurs couvre le large espace chromatique entre vins blancs et vins rouges. Chacun peut le constater d’emblée chez un caviste en observant des bouteilles de vin Rosé dont le verre est incolore et transparent (Fig. 1).1 Question banale : un vin Rosé serait-il un mélange de vin blanc et de vin rouge ? Non, c’est illégal en France, sauf exception ! Alors comment élabore-t-on un vin Rosé ?
Fig. 1. Six exemples de vins Rosés : Belrose (IGP Méditerranée), Victorie L'Audacieuse (AOP Lubéron), Mademoiselle Comédie (Bordeaux), Exhib' (IGP Côtes de Thau Cap d’Agde), Fleurs de Prairie (Côtes de Provence), La Baume Rosé (Languedoc). Source : Les Grands Chais de France.
Un vrai vin dont l’élaboration est spécifique
À l’exception des champagnes Rosés, il est de fait illégal d’assembler un vin blanc et un vin rouge pour obtenir un vin Rosé. En 2009, l’Union européenne avait envisagé de reconnaître la généralisation d’une telle pratique. La France et l’Italie, deux pays animés par la passion pour le vin et la culture qui lui est liée, ont fait connaître leur forte opposition auprès de l’exécutif européen. La Commission européenne a finalement renoncé à cette réforme. La tradition l’a emporté ! Heureusement, car un vin Rosé ne se résume pas à sa couleur, qui certes fait son charme au premier abord, mais son succès tient pour une grande part à ses arômes et sa saveur à dominante fruitée qui lui sont propres.
Il existe plusieurs méthodes pour produire un vin Rosé mais il provient toujours de raisins noirs à pulpe blanche.2
Les Rosés de saignée : une courte macération suivie d’un prélèvement
Nous avons vu que, dans le cas des vins rouges, la macération du moût avec les pellicules de raisin avait lieu avant, pendant et après la fermentation.3 Pour obtenir un vin Rosé, on limite la macération à la période précédant la fermentation. Par conséquent, l’extraction des polyphénols présents dans les pellicules, en particulier les anthocyanes, s’effectue en milieu aqueux sans alcool. En revanche, dans le cas du vin rouge, l’alcool issu de la fermentation joue un rôle majeur dans l’extraction. Les composés extraits ne sont donc pas identiques dans les deux cas, d’où une spécificité des vins Rosés en termes non seulement de couleurs, mais aussi d’arômes et de saveurs. En outre, la durée de macération est courte : quelques minutes à quelques heures, au lieu de quelques jours à quelques semaines pour les vins rouges. L’extraction des divers composés des pellicules est donc plus importante pour ces derniers. Au bout du temps choisi pour la macération, on tire (on « saigne », d’où le nom de « Rosé de saignée ») une certaine proportion de jus qui sera fermentée dans une autre cuve. Le reste sera vinifié en rouge.
Prenons l’exemple du Bordeaux Rosé : la durée de macération est de 2 à 3 heures. Son intensité colorante le distingue du Bordeaux clairet pour lequel la macération dure 3 à 4 jours. Ce dernier se situe donc entre les Rosés sombres et les vins rouges légers.
La durée de macération n’est pas le seul paramètre qui entre en jeu. La température joue également un rôle : une élévation de la température accélère le processus de diffusion et favorise ainsi l’extraction. L’intensité colorante double lorsque la température passe de 12 à 18 °C, conclusion tirée des travaux effectués au Centre de recherche et d’expérimentation sur le vin Rosé, à Vidauban (Provence) (Fig. 2).4 C’est pourquoi les producteurs de Rosés pâles, comme en Provence, pratiquent de plus en plus des vendanges nocturnes afin de récolter des raisins frais.
Fig. 2. Couleur de quatre vins Rosés issus du même lot de raisin de Cinsault dont les durées et les températures de macération pelliculaire augmentent de gauche à droite : 8 h à 12 °C, 8 h à 18 °C, 20 h à 12 °C, 20 h à 18 °C. Image extraite de l’article cité en référence 4 (reproduite avec l'aimable autorisation du Centre du Rosé).
Les Rosés de pressurage : obtenus sans macération
Les raisins sont pressés comme dans le cas de la production des vins blancs5,6, c’est-à-dire sans phase de macération. Un transfert de matières colorantes est inévitable : l’intégrité des baies est altérée pendant la manutention du raisin (récolte, transport, transfert, éraflage). Et lors du pressurage, une faible quantité d’anthocyanes diffuse dans le jus. On fait ensuite fermenter ce dernier en cuve. C’est la méthode la plus employée pour obtenir des vins Rosés pâles de qualité.
L’origine des diverses nuances de couleur
Outre le temps de macération, bien d’autres facteurs influent sur la couleur des vins Rosés : le cépage, le terroir, les conditions météorologiques, le vieillissement…4
Le cépage
Les cépages diffèrent par la couleur et l’épaisseur des pellicules des grains.2 La coloration s’intensifie rapidement avec des cépages de couleur foncée (syrah, carignan, grenache noir par exemple). On obtient une teinte grenadine avec le carignan, rose foncé tirant vers le mauve pour le grenache noir, cerise avec le gamay, framboise avec le cabernet.
Il est plus facile de produire des vins Rosés pâles avec des baies de couleur rose (clairette rose, par exemple) ou d’un rose tirant sur le gris (grenache gris, par exemple). Signalons que les vins gris sont des Rosés à peine teintés obtenus à partir de raisins roses ou de raisins rouges pauvres en anthocyanes.
Pays, région et terroir d’origine
Une tendance générale a été observée : la couleur d’un vin Rosé est plus intense et tire davantage vers le rouge dans les régions méridionales que dans les régions septentrionales (Fig. 3). Toutefois, dans un même pays, des différences importantes de couleur sont souvent observées. Cette variation du nord au sud est globalement transposable à la France, à condition de mettre à part les vins Rosés de Provence dont l’élaboration vise à obtenir volontairement une couleur pâle par tradition.
Fig. 3. Teinte moyenne des vins Rosés dans les principaux pays producteurs. Dans un même pays, une disparité importante peut être observée. Image extraite de l’article cité en référence 4 (reproduite avec l'aimable autorisation du Centre du Rosé).
Dans un pays donné, au sein d’une même région, on observe des différences sensibles selon les terroirs pour un même cépage. En effet, les conditions climatiques et la nature des sols influent sur la composition des baies, et donc sur celle des vins dont la couleur peut ainsi varier notablement. Une expérimentation menée en Provence sur des terroirs variés en a apporté la démonstration (Fig. 4).
Fig. 4. Diversité des couleurs des vins Rosés (millésime 2000) venant de terroirs différents de grenache, la vinification étant standardisée. Image extraite de l’article cité en référence 4 (reproduite avec l'aimable autorisation du Centre du Rosé).
Les conditions météorologiques
Pour un même cépage d’un terroir donné, la couleur d’un vin Rosé diffère selon le millésime en raison des conditions météorologiques différentes pendant la maturation du raisin jusqu’aux vendanges. D’une façon générale, les raisins et les vins sont plus colorés lors des années sèches et chaudes que lors des années froides et pluvieuses.
Le vieillissement
La teinte tire vers l’orangé avec l’âge jusqu’à atteindre la teinte caractéristique rose-orangé (saumon) appelée pelure d’oignon (à ne pas confondre avec le vin de table Rosé dénommé Pelure d’oignon).
Les nuanciers
Dans un article précédent,7 nous avons décrit les diverses méthodes de caractérisation quantitatives de la couleur des vins via des mesures spectrophotométriques et colorimétriques. En particulier, le système colorimétrique CIE L*a*b* s’applique bien aux vins Rosés. La relation avec l’aspect visuel n’est toutefois pas facile, et en raison de la très large palette de teinte des vins Rosés, il s’avère utile de disposer de nuanciers précis. C’est pourquoi le Centre du Rosé a conçu des nuanciers spécifiquement pour les Rosés de Provence, l’un sur papier pour offrir un large choix de couleurs, et l’autre sous forme de gels dans des tubes (Fig. 5).8
Fig. 5. Nuanciers mis au point par le Centre du Rosé pour les Rosés de Provence. En haut : nuancier papier. En bas : nuancier sous forme de tubes contenant des gels colorés (mandarine, mangue, melon, pêche, pomelo, groseille) (images reproduites avec l'aimable autorisation du Centre du Rosé).8
De plus, pour décrire les Rosés du monde (outre le nuancier de la figure 3), un nuancier palette associe la représentation visuelle et la description sémantique de sept couleurs (litchi, pêche, saumon, abricot, corail, framboise et cerise) qui sont déclinées en trois tonalités (clair, moyen et intense) (Fig. 6).
Fig. 6. Nuancier palette mis au point par le Centre du rosé (image reproduite avec son aimable autorisation).8
Les plus gros consommateurs de vins Rosés dans le monde : les Français
Les Français représentent aujourd’hui plus du tiers (35 %) de la consommation mondiale.9 Suivent les États-Unis (15 %) et l’Allemagne (10 %). La France détient également le record de la consommation par habitant : 15,1 litres par an.
Concernant la production de vins Rosés, la France, les États-Unis et l’Espagne sont les trois principaux pays producteurs :74% de la production mondiale. Notons que depuis une dizaine d’années, de nouveaux pays se sont mis à produire des vins Rosés : Chili, Afrique du Sud, Nouvelle-Zélande, et certains pays d’Europe de l’Est.
Quantité, qualité, diversité, autant d’atouts qui permettent aux vins Rosés de voir l’avenir en rose !
Références et notes
1En général, les vins Rosés doivent être consommés rapidement. C’est pourquoi, contrairement aux vins rouges, il n’est pas nécessaire de les protéger de la lumière par un verre teinté. Voir le billet du 27.09.2021: Pourquoi le vin est-il le plus souvent conservé dans des bouteilles teintées ?
2Voir le billet du 14.09.2021 : Couleur & vin. 1. Les couleurs des baies de raisin.
3Voir le billet du 01.11.2021 : Couleur & vin. 5. La robe des vins rouges.
4L. Cayla et al. « Connaissance et maîtrise de la couleur des vins Rosés », article du Centre de Recherche et d’Expérimentation sur le Vin Rosé. Article consultable ici.
5Voir le billet du 27.09.2021 : Couleur & vin. 2. Comment les vins acquièrent-ils leurs séduisantes couleurs ?
6Voir le billet du 18.10.2021 : Couleur & vin. 4. La robe des vins blancs.
7Voir le billet du 07.10.2021 : Couleur & vin. 3. Comment caractériser la couleur d’un vin ?, et l’article de B. Valeur dans la Revue des œnologues, vol. 369, pp. 22-26, 2018.
8Nuanciers des vins Rosés, Centre du Rosé.
9La vie en rosé : qui sont les plus gros consommateurs au monde ? https://avis-vin.lefigaro.fr/