Des couleurs d’insectes encore vives après 100 millions d’années !

Prisonniers dans l’ambre depuis une centaine de millions d’années, guêpes, coléoptères et mouches continuent d’arborer leurs vraies couleurs métalliques bleu, bleu-vert, jaune-vert, vert…, une découverte exceptionnelle au nord de la Birmanie par des chercheurs de l’Institut de géologie et de paléontologie de Nankin (Académie chinoise des sciences). Leurs travaux, publiés dans un article paru en juillet 2020,1 apportent un nouvel éclairage sur ces insectes qui côtoyaient les dinosaures dans les forêts tropicales humides du Crétacé.

Fig. 1. Quatre exemples d’insectes piégés dans l’ambre depuis environ 99 millions d’années : trois guêpes et un coléoptère (image du bas). Crédit : Chenyang Cai / NIGPAS (avec son aimable autorisation). Voir les détails dans l’article cité en réf. 1.

La formation de l’ambre et sa datation

L’ambre est une bénédiction pour les paléontologues, friands de fossiles bien conservés. En effet, les inclusions de végétaux et de petits animaux qui y sont piégés et bien préservés sont fréquentes et offrent l’opportunité d’acquérir de précieuses informations sur ces espèces fossilisées.2 Mais qu’est-ce que l’ambre, et comment peut-on la dater ?

L’ambre provient de la fossilisation de résines végétales (conifères ou plantes à fleurs). Ces résines sont à base d’isoprène (une molécule à cinq atomes de carbone). Elles durcissent en quelques semaines à quelques mois. Puis, lorsque des blocs de résine durcie sont ensevelis dans des couches sédimentaires et soumis à des températures et pression élevées, les molécules d’isoprène polymérisent. Combien de temps faut-il pour que le degré de polymérisation et la résistance chimique soient tels que l’on puisse parler d’ambre ?  Au moins un million d’années, répondent certains chercheurs.3

Quant à la datation de l’ambre dans la mine du nord de la Birmanie, où les insectes décrits ici ont été découverts, elle repose sur l’analyse isotopique de cristaux de zircon (silicate de zirconium) qui se sont séparés de la matrice de l’ambre. La mesure du rapport isotopique 206Pb/238U a conduit à un âge de 98,8 ± 0,6 millions d’années.4

Une préservation exceptionnelle des couleurs structurales

Les 35 insectes fossilisés découverts par les chercheurs chinois appartiennent à trois ordres : coléoptères, diptères et hyménoptères. Il est remarquable que leurs vives couleurs (quatre exemples sont donnés dans la figure 1) aient été si peu altérées dans l’ambre. Ces couleurs ne sont pas dues à des pigments car ces derniers auraient été dégradés depuis longtemps malgré la protection assurée par l’ambre. En fait, il s’agit de couleurs structurales résultant d’interactions de la lumière avec des microstructures qui renvoient celle-ci en modifiant son spectre. De telles couleurs sont plus vives que les couleurs pigmentaires, et surtout plus stables. Tant que les microstructures ne sont pas physiquement détruites, les couleurs persistent. Ici, l’ambre joue un rôle protecteur de l’intégrité physique, donc des couleurs.

D’une façon générale, les phénomènes physiques responsables des couleurs structurales sont la réfraction de la lumière, la diffusion, la diffraction et les interférences.5,6,7 Une étude structurale par microscopie électronique s’imposait donc pour élucider les phénomènes à l’origine des couleurs de ces insectes fossilisés.

Des multicouches révélées par microscopie électronique

La microscopie électronique en transmission8 a révélé une surface extérieure lisse et cinq couches dans l'épicuticule d'une guêpe fossile (Fig. 2). Les couleurs observées sont donc interférentielles : selon la longueur d’onde, les ondes lumineuses réfléchies par les cinq couches interfèrent en se renforçant si leur maxima d’amplitude se confondent (interférences constructives) et, au contraire, en s’annihilant si le maximum de l’une correspond au minimum de l’autre (interférences destructives). L’intensité de la lumière réfléchie est ainsi amplifiée à certaines longueurs d’onde et au contraire atténuée à d’autres. La modélisation théorique des spectres de réflectance a permis aux chercheurs de mettre en évidence un pic de réflexion à 514 nanomètres correspondant précisément à la couleur bleu-vert observée.

Fig. 2. Cliché de microscopie électronique en transmission montrant une multicouche constituée de cinq couches dans l’épicuticule d’une guêpe de couleur bleu-vert. Ces couches, dont la périodicité est d’environ 144 nanomètres, génèrent des couleurs interférentielles. Crédit : Chenyang Cai / NIGPAS (avec son aimable autorisation). Voir les détails dans l’article cité en réf. 1.

Des couleurs vives contribuant au camouflage ?

Les couleurs structurales allant du bleu au vert, observées chez ces guêpes, coléoptères et mouches fossilisés, avaient-elles une fonction ? Les chercheurs favorisent l’hypothèse du camouflage. Une telle fonction peut surprendre au premier abord, puisqu’il s’agit de couleurs vives iridescentes. Elle a pourtant été démontrée récemment pour des coléoptères vivant de nos jours.9 Cependant, on ne peut exclure d’autres hypothèses telles que la thermorégulation ou la communication.

Cette découverte met en valeur l’exceptionnel pouvoir de l’ambre de conserver des microstructures d’animaux anciens à travers les temps géologiques. Elle fournit également des preuves de l’évolution des couleurs structurales chez les arthropodes.

Références et notes

1Chenyang Cai et al., « Structural colours in diverse Mesozoic insects », Proceedings of the Royal Society B. Biological Sciences, vol. 287: 20200301, 2020 (https://doi.org/10.1098/rspb.2020.0301). Article consultable ici.

2E. Auvrouin, « Quand l’ambre capture la faune du Crétacé », Pour la Science, 19 avril 2010.

3J. Santiago-Blay, J. Lambert, « Aux sources de l’ambre », Pour la Science, n° 356 juin 2007, pp. 70-75.

4G. Shi et al., « Age constraint on Burmese amber based on U–Pb dating of zircons ». Cretaceous Research, vol. 37, pp. 155–163, 2012 (https://doi.org/10.1016/j.cretres.2012.03.014)

5B. Valeur, É. Bardez, La lumière et la vie, une subtile alchimie, Belin, 2015, chap. 4.

6S. Berthier, Iridescences. Les couleurs physiques des insectes, Springer, 2003.

7J. Renoult, B. Valeur, « Les couleurs de la vie : mécanismes de production, fonctions, et diversité », L’Actualité chimique, n°397-398, juin-juillet 2015, pp.12-18.

8Voir les principes de la microscopie électronique en annexe du billet du 07.04.2020.

9Voir le billet du 11.05.2020, L’étonnante fonction de l’iridescence de certains coléoptères : le camouflage !


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