Du riz à la lumière… en passant par des boîtes quantiques

Petit exploit dans le domaine du recyclage des déchets : Ken-ichi Saitow de l’Université d’Hiroshima, et ses collègues, ont mis au point une méthode peu coûteuse et respectueuse de l'environnement pour fabriquer une diode électroluminescente (LED) émettant dans le rouge-orangé.1 La première étape consiste à extraire la silice de « balles » de riz, c’est-à-dire des enveloppes des grains de riz devant être éliminées par broyage : ces déchets représentent 100 millions de tonnes par an dans le monde ! Puis cette poudre de silice est transformée en poudre de silicium et un traitement approprié de celle-ci conduit à des boîtes quantiques ou quantum dots de silicium (Fig. 1) permettant de réaliser des LED. Voyons comment.

Fig. 1. Étapes de la fabrication de quantum dots de silicium (SiQD) à partir de riz. A. Champ de riz. B. Balles de riz. C. Poudre de silice. D. Poudre de silicium. E. Solution colloïdale de SiQD. Images : Wikimedia Commons. ©Bernard Valeur

L’intérêt des quantum dots de silicium (SiQD)

Rappelons tout d’abord brièvement ce que sont les quantum dots. Il s’agit de cristaux de semi-conducteurs dont la taille n’est que de quelques nanomètres (nanocristaux). Ils possèdent une propriété particulièrement intéressante : après absorption d'un photon, ils émettent de la lumière (photoluminescence). Cette émission résulte du phénomène appelé confinement quantique2, d’où le nom de boîtes quantiques ou quantum dots (QD).

Les longueurs d'onde d’émission dépendent de la nature du semi-conducteur et de la taille du cristal : plus la taille est petite, plus la longueur d’onde de la lumière émise est courte. Il est ainsi possible de couvrir tout le spectre visible.3 La figure 2 en donne un exemple. Les applications sont nombreuses : imagerie médicale, biologie, LED, écrans de téléviseurs, etc.4 Récemment, leur emploi dans les cellules photovoltaïques a été proposé.5

Fig. 2. Quantum dots de séléniure de cadmium (CdSe) sous une illumination UV.3 La couleur de la photoluminescence va du bleu au rouge lorsque le diamètre du cristal passe de 2 à 5 nm. Source : Rice University. Crédit : Prof. Michael S. Wong / Wikimedia Commons

La plupart des QD sont constitués de semiconducteurs à base de métaux toxiques (cadmium, indium…).6 En revanche, le silicium n’est pas toxique et donc biocompatible, d’où l’intérêt des quantum dots de silicium (SiQD) comme marqueurs en biologie, pour l’imagerie médicale et d’autres applications. En outre, le silicium est présent en abondance dans la nature, ce qui permet d’envisager leur utilisation à grande échelle dans le domaine de l’énergie. L’émission des SiQD se situe dans un domaine de longueurs d’onde allant de 600 nm (jaune) à 1000-1100 nm (infrarouge) quand la taille des nanocristaux augmente de 2 à 8 nm (Fig. 3).7 Le rendement quantique de photoluminescence est typiquement de 10 à 40 %.

Fig. 3. Quantum dots de silicium (SiQD) sous illumination UV. La taille des nanocristaux augmente de la gauche vers la droite. Source : Applied Quantum Materials Inc. Crédit : Aartvarkcanuck / Wikimedia Commons.

Des grains de riz aux SiQD

Les chercheurs de l’équipe japonaise ont tout d’abord broyé les balles de riz dont le contenu en silice amorphe (SiO2) est de 20 % en poids. La poudre de silice est ensuite extraite en brûlant les composés organiques. Puis cette poudre est chauffée dans un four afin d’obtenir de la poudre de silicium poreux (Si) par réduction. La taille des grains de silicium est réduite à 3 nanomètres par attaque chimique. Enfin, on procède à une passivation de la surface par fonctionnalisation chimique8 en vue de minimiser l’oxydation et faciliter la dispersion dans les solvants organiques. On obtient alors une solution colloïdale de quantum dots de silicium (SiQD) présentant une photoluminescence rouge-orangé : le maximum d’émission se situe à 680 nm et le rendement quantique de photoluminescence est de 21 %.

Des SiQD aux LED

Les chercheurs ont fabriqué une diode électroluminescente (LED) à base de SiQD par superposition de diverses couches.L'anode est constituée d'un substrat en verre d'oxyde d'indium et d'étain (ITO) qui est un bon conducteur de l’électricité et suffisamment transparent pour transmettre la lumière émise (électroluminescence)3. Parmi les couches qui sont déposées par centrifugation sur le verre ITO, il y a évidemment une couche de SiQD, et la couche finale est un film d’aluminium servant de cathode.

Perspectives

Les chercheurs japonais ont maintenant un double objectif : augmenter l’efficacité de la luminescence des SiQD et des LED, et produire une émission à d’autres longueurs d’onde que celles correspondant au rouge-orangé. Ils pensent que la méthode de production de silice et de silicium qu’ils ont mis au point pourrait s’appliquer à d’autres végétaux : bambou, canne à sucre, blé, orge et autres graminées. Fabriquer ainsi des dispositifs optoélectroniques non toxiques – puisqu’ils sont issus de produits naturels – s’inscrit dans une démarche éco-responsable exemplaire.

Références et notes

1 S. Terada et al., “Orange-red Si quantum dot LEDs from recycled rice husks”, ACS Sustainable Chemistry & Engineering, vol.10(5), pp. 1765–1776, 2022.  DOI: 10.1021/acssuschemeng.1c04985

Communiqué de presse de l’Université d’Hiroshima : https://www.hiroshima-u.ac.jp/en/news/70366

2Un confinement quantique a lieu lorsque les déplacements des électrons ou des trous d'un semiconducteur sont limités dans une, deux ou trois dimensions. On parle alors respectivement de puits quantique, de fil quantique ou de boîte quantique.

3Pour en savoir plus sur la luminescence cristalline, les quantum dots, la photoluminescence, l’électroluminescence : B. Valeur, Lumière et luminescence. Ces phénomènes lumineux qui nous entourent, Belin, 2017 (2e éd.).

4“Les milles usages des quantum dots“, Techniques de l’ingénieur, 2014 – “Quantum dot”, Wikipedia.

5S. Bailly, “Des boîtes quantiques pour panneaux solaires”, Pour la Science, n° 535, mai 2022, p. 8.

6Les semiconducteurs utilisés pour fabriquer des quantum dots sont le plus souvent le séléniure de cadmium (CdSe), l'arséniure d'indium (InAs), le phosphure d'indium (InP), le sulfure de cadmium (CdS).

7“Silicon quantum dot”, Wikipedia.

8La fonctionnalisation consiste en un greffage de groupes décyl (C10H22).

 

 

 

 

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