Gros plan sur la comète : cheveux verts et panache bleu

Qu’est-ce qui possède une chevelure verte et une queue bleue ? Un extraterrestre ? Oui, mais un objet, et non un être chimérique. Il s’agit d’une comète à l’instar de celle que l’on surnomme SWAN, visible à l’œil nu en mai 2020 (Fig. 1). Le halo lumineux, dénommé chevelure, entourant son noyau est vert turquoise. Émergeant de cette chevelure, la longue trainée lumineuse, appelée queue, est bleue. Les comètes possèdent souvent une deuxième queue blanchâtre. Que disent les couleurs des comètes, et plus précisément, quelles informations contient la lumière qu’elles nous (r)envoient ?

Fig. 1. Photographie de la comète SWAN (dont le nom de code est C/2020 F8) prise le 8 mai 2020. Située à 0,8 unité astronomique, soit environ 100 millions de km de la Terre, elle a été découverte par un amateur dans les images prises par l’observatoire SOHO. Elle est passée à son point le plus proche de nous le 12 mai et au périhélie le 27 mai. Sa chevelure est vert-bleu et son immense queue bleue s’étend sur environ 15 millions de km. Crédit : D. Peach - Chilescope team / NASA-Apod

Lumière sur la chevelure

Les comètes possèdent un noyau constitué de glaces, de poussières et de particules rocheuses agglomérées. La taille du noyau s’échelonne de quelques centaines de mètres à plusieurs dizaines de kilomètres. Hors de l’influence d’une étoile, les comètes sont très discrètes : elles figurent parmi les objets les plus sombres de l’espace car elles absorbent efficacement le rayonnement solaire. Leur albédo (c’est-à-dire la fraction de l’énergie solaire qu’elles réfléchissent) se situe aux environs de 5 %. Ainsi, dès qu’une comète parvient à une distance de quelques unités astronomiques (UA : distance de la Terre au Soleil, soit environ 150 millions de km), elle commence à s’échauffer en surface, alors que le cœur reste très froid. Les constituants des glaces se subliment (c’est-à-dire passent directement de l’état solide à l’état gazeux) entraînant avec elles des poussières. Ces glaces contiennent non seulement de l’eau gelée (H2O) (en général de l’ordre de 80 %) mais aussi de nombreux autres composés : monoxyde de carbone (CO), dioxyde de carbone (CO2), méthane (CH4), acétylène (C2H2), méthanol (CH3OH), formaldéhyde (H2CO), ammoniac (NH3), acide cyanhydrique (HCN), etc.1

À une distance de 1,5 UA (distance équivalente à celle qui sépare la Terre de Mars), les constituants gazeux sont produits en abondance et forment, avec des poussières, un halo à peu près sphérique : la chevelure (le mot comète vient du latin coma, « chevelure », et du grec comêtes astêr, « astre chevelu »). Sa taille peut atteindre 15 fois le diamètre de la Terre.

L’abondance relative des constituants gazeux et des poussières dans la chevelure diffère selon les comètes. Elle varie également selon l’« âge » de la comète si celle-ci s’approche périodiquement du Soleil car elle perd à chaque passage une partie de ses constituants volatils.

La lumière qui provient d’une comète est constituée, d’une part, de la lumière solaire réfléchie par les poussières, et d’autre part, d’une émission de lumière par les constituants gazeux, c’est-à-dire de leur fluorescence, consécutive à l’absorption des rayons ultraviolets du Soleil. Le rayonnement solaire induit plusieurs processus au sein de la chevelure : la production de radicaux par photodissociation des composés gazeux, la formation d’ions par photoionisation, et l’émission des diverses espèces présentes. Examinons successivement ces processus.

1) Photodissociation de molécules à l’état gazeux

Tout d’abord, l’absorption des rayons ultraviolets très énergétiques par les espèces présentes en phase gazeuse provoque la dissociation de ces dernières et produit donc des radicaux qui sont essentiellement OH, H, CN, CH, CH2, C2, C3, NH, NH2.2 Ils proviennent des molécules « parentes » : l’eau, l’acide cyanhydrique, l’ammoniac, le méthane, l’acétylène, et d’autres hydrocarbures. Par exemple, les molécules d’eau (représentant en général plus de 80 % de la phase gazeuse) se dissocient en OH et H, puis OH se dissocie en O et H. Quant aux radicaux cyano CN, ils résultent de la photodissociation de HCN. Autre exemple : les radicaux CH proviennent des radicaux CH2, qui eux-mêmes sont issus probablement des molécules de méthane CH4. L’abondance des molécules parentes varie d’une comète à une autre, ce qui conduit à des proportions différentes des radicaux produits.

2) Photoionisation

L’absorption des rayons UV est également susceptible de provoquer l’éjection d’un électron en formant un ion (photoionisation). Du fait que l’eau et le monoxyde de carbone sont les constituants gazeux les plus abondants d’une comète, les ions majoritaires sont H2O+ et CO+. En bien moindre quantité, sauf exception, il se forme d’autres ions tels que CH+, OH+, N2+, CO2+

3) Émission (fluorescence)

Consécutivement à l’absorption des rayons UV, les radicaux ou les ions mentionnés ci-dessus sont dans un état excité et perdent leur surplus d’énergie en émettant un photon. Il s’agit de fluorescence dont le spectre est constitué de bandes possédant des raies très fines correspondant aux niveaux d’énergie vibrationnels et rotationnels des espèces excitées en phase gazeuse. L’émission de nombreux radicaux ayant été caractérisée indépendamment dans des expériences de laboratoire, le spectre d’émission d’une comète offre un excellent moyen d’identifier les radicaux présents dans la chevelure. Un spectromètre à haute résolution est évidemment requis.

Des exemples notoires de chevelure verte

Avant la comète C/2020 F8 (SWAN) (Fig. 1), les comètes Hale-Bopp (1996), Machholtz (2015), Encke (2013 et 2017), C/2014 Q2 (Lovejoy), C/2017 S3 (PanSTARRS) présentaient également une chevelure verte. Pour expliquer l’origine de cette couleur, prenons l’exemple de la comète C/2014/Q2 (Lovejoy) qui a fait l’objet de nombreuses études depuis 2014.3 La figure 2 présente le spectre d’émission de sa chevelure. La plus forte émission est due aux radicaux cyano CN mais comme elle se situe dans le proche UV (388 nm), elle est invisible à l’œil nu. En revanche, le spectre montre clairement des bandes situées dans le vert et le bleu, essentiellement dues à l’émission des radicaux C2 (carbone diatomique). Notons que ces radicaux existent également dans les flammes de combustion des hydrocarbures. C’est ainsi que leurs raies d’émission furent découvertes en 1856 par William Swan, et portent désormais son nom. Leur observation dans le spectre de deux comètes remonte aux années 1860. On remarque également la faible contribution des radicaux C3 et NH2, ainsi qu’une raie correspondant à l’oxygène monoatomique provenant de la photodissociation de l’eau à l’état vapeur (voir ci-dessus).

Fig. 2. Spectre d’émission de la comète C/2014 Q2 (Lovejoy). Adaptation des données présentées dans la référence 3.

En outre, lorsqu’une comète s’approche du Soleil à une distance rh < 1 UA, il apparaît dans le spectre plusieurs raies atomiques provenant de métaux vaporisés : le sodium (rh < 0,8 UA), puis le fer, le chrome, le nickel, etc. (rh < 0,1 UA).

Un cas rare de chevelure bleue

La comète C/2016 R2 (PanSTARRS), découverte en septembre 2016, offre un exemple rare de chevelure bleue (Fig. 3) qui a attiré l’attention des astronomes du monde entier. En 2017, l’analyse de la lumière émise a montré qu’elle était remarquablement riche en ions CO+ et N2+ résultant de la phototoionisation de CO et N2. Le rapport N2/CO (environ 0,08) atteste d’une présence moindre de diazote mais néanmoins exceptionnelle pour une comète. La fluorescence des ions CO+et N2+ est à l’origine de la couleur bleue.4 Les raies les plus importantes se situent en effet aux environs de 400 et de 425 nm. Cette chevelure bleue se prolonge par une longue queue de couleur identique (Fig. 3), ayant la même origine.

Fig. 3. La comète C/2016 R2 (PanSTARRS) photographiée le 16 janvier 2018 Crédit : Adam Bloch –Mount Lemmon SkyCenter/University of Arizona / Wikimedia Commons

D’ailleurs, la plupart des comètes ont une queue bleue dont il va maintenant être question. Puis nous verrons qu’une queue blanchâtre supplémentaire apparaît dans le cas où il y a abondance de poussières.

La queue bleue est ionique

Nous avons vu qu’il se formait divers ions dans la chevelure par photoionisation. Les plus abondants sont généralement H2O+ et CO+ (voir ci-dessus). Ces ions sont entraînés par le vent solaire (constitué de particules chargées : principalement des électrons et des protons) hors de la chevelure et suivent les lignes du champ magnétique créé par le Soleil. C’est ainsi que se forme une queue ionique dont la longueur peut dépasser 10 millions de km.

Comme la vitesse du vent solaire (500 km/s) est très supérieure à celle des comètes (quelques dizaines de km/s), la queue est orientée à l’opposé du Soleil. Sa couleur bleue est due à l’émission prédominante de CO+ (voir ci-dessus).

La queue ionique présente des aspects variables et complexes (visibles sur les figures 1 et 3). La raison est double : d’une part, le vent solaire varie au cours du temps selon l’activité solaire, et d’autre part, des turbulences résultent du freinage du vent solaire par la chevelure de la comète.

La queue blanche est poussiéreuse

Une deuxième queue existe si la quantité de poussières éjectées du noyau en même temps que les gaz est importante. Sa couleur blanchâtre est due à la réflexion diffuse de la lumière solaire par les grains de poussières. Ces derniers orbitent individuellement autour du Soleil mais soumis à la pression de radiation solaire5, ils sont repoussés à l’opposé du Soleil. C’est pourquoi la queue de poussières a une forme plus ou moins incurvée. Les plus grosses particules arrachées du noyau d’une comète restent néanmoins dans le sillage de celle-ci ; elles constituent « un flux de débris ». Ces débris sont à l’origine des pluies de météorites tombant sur la Terre ou sur d’autres planètes

Fig. 4. Photographie de la comète Hale-Bopp prise le 4 avril 1997. On distingue la queue bleue ionique et la queue blanchâtre de poussières. Crédit : E. Kolmhofer, H. Raab / Wikimedia Commons

Un nuage d’hydrogène monoatomique : immense mais invisible

Le rayonnement solaire provoque la photodissociation d’espèces hydrogénées dans la chevelure, telles que H2O et OH, ce qui produit un nuage d’hydrogène monoatomique (H). La taille de ce dernier est souvent considérable du fait que l’hydrogène est très léger et se déplace donc beaucoup plus vite que les constituants gazeux et les poussières de la chevelure. La taille atteignait 100 millions de kilomètres par exemple pour la fameuse comète Hale-Bopp ! L’émission de ce nuage se situe dans l’ultraviolet et n’est donc pas visible par nos yeux.

Au-delà et en deçà du visible

Nos yeux d’humains sont presqu’aveugles, pourrait-on dire, car ils ne sont sensibles qu’à une toute petite partie du spectre des ondes électromagnétiques. Des spectromètres permettent de pallier cette déficience et d’effectuer des analyses dans l’ultraviolet, le proche infrarouge et dans le domaine des ondes millimétriques ou ondes radio (correspondant à des fréquences de 20 à 600 gigahertz).1 Par exemple, ce sont des raies dans ce domaine qui ont permis de détecter dans la comète C/2014 Q2 (Lovejoy) du glycolaldéhyde (CH2OHCHO) et de l’éthanol (C2H5OH). Dans le proche infrarouge, il est possible de détecter le dioxyde de carbone, le méthane et d’autres hydrocarbures symétriques.

Ainsi, la lumière, au sens large, qui nous parvient des comètes est riche d’information sur les compositions de la chevelure et de la queue. Il est important d’en savoir davantage, en particulier sur les poussières, car les comètes sont de véritables témoins assistés des conditions de formation et d’évolution du système solaire, il y a environ 4,5 milliards d’années. Dans ce but, la seule solution est d’envoyer une sonde spatiale. C’est pourquoi l’Agence spatiale européenne a conçu et envoyé la sonde Rosetta pour explorer la comète 67/Tchourioumov-Guérassimenko, dont le surnom Tchouri restera dans les mémoires. Arrivée à son voisinage en 2014 et mise en orbite, Rosetta a mené à bien de nombreuses observations, puis elle a envoyé le robot Philae se poser sur la surface de la comète. Un véritable exploit qui mit en émoi le monde entier ! Les résultats des analyses effectuées in situ débordent du cadre de ce billet. Signalons néanmoins deux informations majeures révélées par le spectromètre de masse de Rosina, l’un des appareils de Philae :6

  • Les grains de poussière présents dans la chevelure (mais néanmoins représentatifs de la composition du noyau) sont en moyenne constitués à parts égales de composés minéraux silicatés non hydratés et de matière carbonée (de structure essentiellement macromoléculaire).
  • Le spectromètre a décelé de la glycine (un des acides aminés que l’on retrouve dans les protéines) et du phosphore (un élément clé de l’ADN et des membranes cellulaires), ce qui conforte l’hypothèse que les comètes, en ensemençant la Terre, auraient contribué à l’émergence de la vie sur Terre.7

Les comètes sont des messagers de l’Univers qui nous rendent périodiquement visite en nous faisant admirer leurs intrigantes couleurs, mais surtout en apportant des éléments de réponse à la lancinante question : d’où venons-nous ?

Références et notes

1 D. Bockelée-Morvan, N. Biver, « The composition of cometary ices », Philosophical Transactions of the Royal Society A, 375(2097):20160252 , 2017. Article consultable ici.

2Un radical est une espèce chimique possédant un ou plusieurs électrons non apparié(s) sur la couche électronique externe. Chacun de ces électrons est noté (facultativement) par un point. Les radicaux sont obtenus par rupture homolytique de liaisons chimiques résultant d’un apport important d’énergie (rayons ultraviolets, haute température, radiations ionisantes). Ex. : H2O + hν –> H• + •OH

3P. Berardi, « Spectroscopy of comet 2014/Q2 (Lovejoy) », ARAS Eruptive Stars Information Letter n° 15 #2015‐03 31‐03‐2015, pp. 43-55. Article consultable ici.

4N. Biver et al., « The extraordinary composition of the blue comet C/2016 R2 (PanSTARRS) », Astronomy and Astrophysics, vol. 619, A127, 2018. Article consultable ici.

5La lumière exerce une pression appelée pression de radiation parce que les photons possèdent une quantité de mouvement (proportionnelle à la fréquence des ondes électromagnétiques auxquelles ils sont associés).

6D. Baklouti et al., « Les poussières de la comète Tchouri permettent de remonter l’histoire du Système solaire », theconversation.com

7K. Altwegg et al., « Prebiotic chemicals—amino acid and phosphorus—in the coma of comet 67P/Churyumov-Gerasimenko », Science Advances vol. 2(5), e1600285, 2016. Article consultable ici.

 


4 commentaires pour “Gros plan sur la comète : cheveux verts et panache bleu”

  1. DENIS DEBAISIEUX Répondre | Permalink

    Bonjour,
    Il me semble qu'il y a une erreur : En outre, lorsqu’une comète s’approche de la Terre (Soleil ?) à une distance rh < 1 UA, il apparaît dans le spectre plusieurs raies atomiques provenant de métaux vaporisés : le sodium (rh < 0,8 UA), puis le fer, le chrome, le nickel, etc. (rh < 0,1 UA).

    • Bernard Valeur Répondre | Permalink

      Merci de m'avoir signalé cette coquille. C'est évidemment la distance comète-Soleil qui conditionne l'apparition des raies atomiques des métaux vaporisés.
      Correction effectuée.

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