La lumière bleue en questions

Pourquoi la lumière bleue est-elle nocive pour les yeux ? Pourquoi perturbe-t-elle nos rythmes biologiques et retarde-t-elle l’endormissement ? Pourquoi les LED blanches sont-elles riches en lumière bleue ? Comment réduire la fraction de lumière bleue de ces LED ? Telles sont quelques-unes des questions scientifiques qui sous-tendent la recommandation formulée par l’ANSES de limiter l’usage des dispositifs à LED les plus riches en lumière bleue (rapport publié le 14 mai 2019)1. En effet, il a été prouvé que la composante bleue de l’émission des LED employées pour l’éclairage, le rétroéclairage des écrans (ordinateurs, tablettes, téléphones mobiles), la décoration, etc. ont des effets indésirables, voire délétères.

Fig. 1. Un excès de lumière bleue, le soir, provoque un retard à l’endormissement. Crédit : Ludovic Toinel/Unsplash.com

Pourquoi la lumière bleue est-elle nocive pour les cellules rétiniennes ?

Des études menées sur des rats exposés à la lumière des LED blanches riches en lumière bleue ont révélé sur leur rétine « la présence d’une inflammation précoce et des signes de stress oxydant touchant l’ADN, les lipides et les protéines rétiniennes dès quelques heures d’exposition. De la mort cellulaire par nécrose a aussi été constatée »2. Précisons que le stress oxydant (ou oxydatif) est dû à des espèces réactives de l’oxygène (ERO)3 qui se forment lorsque ce dernier reçoit une lumière de courte longueur d’onde, donc d’énergie élevée, telle qu’une lumière bleue, et a fortiori une lumière violette ou des rayons ultraviolets. D’une façon générale, les ERO ont des effets délétères sur les cellules : elles provoquent des dommages à l’ADN ainsi qu’à d’autres biomolécules (protéines, glucides, lipides), et une accélération du vieillissement cellulaire. Ainsi, les risques de développement de maladies rétiniennes telles que la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge) sont amplifiés par une exposition excessive à la lumière bleue qu’émettent les LED blanches.

Chez les enfants et les adolescents, les effets délétères sont plus marqués car le cristallin de leurs yeux est plus transparent à la lumière bleue que celui des adultes.

Pourquoi la lumière bleue perturbe-t-elle nos rythmes biologiques et retarde-t-elle l’endormissement ?

La lumière est le principal synchronisateur de notre horloge biologique. Un excès de lumière, le soir, perturbe cette horloge,4 l’effet étant plus prononcé avec la lumière bleue. Voyons pourquoi. Les cellules ganglionnaires à mélanopsine, situées dans la rétine, mais non impliquées dans la vision,5 sont particulièrement sensibles à la lumière bleue. Or, lorsqu’elles reçoivent une telle lumière, elles transmettent à notre horloge biologique, située dans le cerveau, des informations sur la luminosité ambiante. Cette dernière conditionne la production de mélatonine (l’hormone du sommeil) par la glande pinéale. C’est pourquoi il est déconseillé d’utiliser un ordinateur ou une tablette tard le soir, car la perception de la lumière émise par l’écran rétroéclairé par des LED blanches, riches en lumière bleue, réduit la sécrétion de mélatonine. Il en résulte un regain de vigilance et un retard à l’endormissement.4

Pourquoi les LED blanches sont-elles riches en lumière bleue ?

Une LED blanche est constituée en réalité d’une LED émettant de la lumière bleue dont une partie est absorbée par une couche de luminophores qui émettent alors à des longueurs d’onde supérieures, dans un domaine complémentaire du bleu (du vert au rouge). L’émission totale couvre ainsi tout le domaine du visible et donne une sensation de blanc.6

Il est possible de réduire la composante bleue de la lumière émise par une LED blanche en augmentant la proportion de lumière absorbée par les luminophores. On obtient ainsi un blanc chaud, c’est-à-dire dont la température de couleur est inférieure à 3000 K (Fig. 2).7

Fig. 2. Une LED blanche produit un blanc froid ou un blanc chaud selon l’importance relative de l’émission de la LED bleue (pic) et celle de la couche de luminophores. © Bernard Valeur

Pour l’éclairage domestique, pas d’hésitation, choisissez des luminaires dont la température de couleur est de 2700 K, c’est-à-dire analogue à celle de ces bonnes vieilles lampes à incandescence désormais interdites à la vente, car trop énergivores. Toutefois, le ressenti lumineux reste différent car les spectres d’émission de ces deux types de lampes n’ont pas la même forme.

En revanche, vous n’aurez pas le choix pour les lampes torches, les guirlandes de Noël, et certains jouets pour enfants.Ils sont en général équipés de LED blanches riches en lumière bleue. Évitez de les regarder en face, de même que certains phares de voiture.

Comment réduire son exposition à la lumière bleue ?

Les effets néfastes d’une exposition excessive à la lumière bleue étant prouvés, surtout chez les jeunes enfants, il faut donc :

  • privilégier des luminaires du type « blanc chaud », surtout dans les chambres à coucher ;
  • télécharger sur votre ordinateur un logiciel tel que f.lux (gratuit) qui réduit à l’heure voulue la lumière bleue de l’écran ; des filtres à la lumière bleue peuvent également être installés ;
  • cesser d’utiliser tout écran (ordinateurs, tablettes, téléphones mobiles) au moins une heure avant le coucher.

La lumière bleue peut aussi avoir des effets bénéfiques !

Un déficit de lumière conduit à une sécrétion accrue de mélatonine, ce qui dérègle notre horloge biologique. D’où l’apparition fréquente de dépressions saisonnières (blues hivernal) se traduisant par une humeur maussade, une envie de dormir, des sautes d’humeur, de petites fringales… Un remède simple : s’exposer le matin sous une lampe mimant la lumière solaire afin que les cellules ganglionnaires à mélanopsine, qui absorbent la composante bleue de la lumière, envoient des signaux à l’horloge biologique pour la resynchroniser. C’est l’objectif de la luminothérapie ou luxthérapie.8

Par ailleurs, pour soigner la jaunisse des nourrissons, il suffit de les exposer – en leur protégeant les yeux, bien sûr – à la lumière bleue (émise par des panneaux de LED bleues). Il en résulte une photodégradation de la bilirubine, un pigment jaune provenant de la dégradation de l'hémoglobine.9

 

En conclusion, soyez vigilants avec la lumière bleue… sans pour autant en avoir une peur bleue ! Tout est affaire de modération et de bon sens.

Références et notes

1ANSES (Agence nationale de sécurité sanitairede l’alimentation, de l’environnementet du travail), « LED : les recommandations de l’Anses pour limiter l’exposition à la lumière bleue ». Communiqué consultable ici.

2A.Torriglia, I.Jaadane, « La phototoxicité rétinienne des LED ». Article consultable ici.

3Les ERO sont principalement le peroxyde d’oxygène (ou eau oxygénée), des radicaux libres (anion superoxyde, radical hydroxyle) et l’ion peroxynitrite.

4« Chronobiologie. Les 24 heures chrono de l’organisme », Dossier d'information INSERM

5Les autres cellules ganglionnaires de la rétine participent, avec d’autres neurones rétiniens, à un prétraitement des signaux issus des photorécepteurs de la rétine et transmettent des informations au cortex visuel via le nerf optique. Voir le billet du 22.05.19« Pourquoi la couleur nous trompe-t-elle continuellement ? 1. Contraste et assimilation ».

6Le fonctionnement d’une LED blanche est décrit dans le billet du 21.12.2018 « Des guirlandes de Noël embellies de LED ». Pour plus de détails, voir : B. Valeur,Lumière et luminescence. Ces phénomènes lumineux qui nous entourent, Belin (2005, 2eéd. 2017).

7La notion de température de couleur est expliquée dans le billet du 19.10.2018, « Couleur et température : une relation particulière… et paradoxale ».

8La luxthérapie est pratiquée notamment dans leCentre du sommeil de l'Hôtel-Dieu (Paris),dirigé par le docteur Damien Léger. Voir l’article de C. Vincent, « La luxthérapie validée par la science », Le Monde, 20.12.2005. Article consultable ici.

9Voir le billet du 03.11.2018 « Peut-on soigner par les couleurs ? Photothérapie versus chromothérapie »

 


4 commentaires pour “La lumière bleue en questions”

  1. SAX Répondre | Permalink

    Mais alors que penser d'un radio-réveil avec affichage bleu ?

    • Bernard Valeur Répondre | Permalink

      Ce qui compte dans l’effet inhibiteur de la lumière bleue sur la sécrétion de mélatonine, c’est l’intensité de la lumière et la durée d’exposition. Une brève consultation de l’heure sur un réveil à affichage bleu a donc peu d’effet, à condition qu’elle ne soit pas répétée trop souvent. Il est néanmoins souhaitable de régler l’intensité au minimum, si le réveil le permet, et éviter la projection des chiffres au plafond lorsque cette option existe. Un affichage rouge est évidemment préférable à un affichage bleu.

  2. taki Répondre | Permalink

    Bonjour et merci pour votre article. Je me permets de vous poser une question, n'ayant pas compris un éléments :
    "Les cellules ganglionnaires à mélanopsine, situées dans la rétine"
    "Par ailleurs, pour soigner la jaunisse des nourrissons, il suffit de les exposer – en leur protégeant les yeux, bien sûr – à la lumière bleue (émise par des panneaux de LED bleues)"

    Si les yeux sont protégés, comment la lumière bleu peut elle faire effet ?

    • Bernard Valeur Répondre | Permalink

      Dans le traitement de la jaunisse du nourrisson, la lumière bleue agit directement sur la bilirubine qui est présente dans l’épiderme et confère une couleur jaune à la peau.

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