La technique « impasto » de Rembrandt décryptée via l’identification d’un pigment blanc insolite

18.01.2019 | par Bernard Valeur | Couleurs et art

Les peintures de Rembrandt (1606‐1669) fascinent par la maîtrise du clair-obscur, le choix des tonalités et l’effet de relief produit par la technique picturale d’empâtement (originellement dénommée impasto). Pour mettre en œuvre cette technique consistant à appliquer des couches épaisses de pâte colorée, on savait que l’artiste employait le blanc de plomb dispersé dans un liant à base d’huile de lin, mais la formulation exacte restait un mystère. Des chercheurs néerlandais et français ont résolu l’énigme en révélant la présence d’un ingrédient rare à base de plomb, la plumbonacrite, dans les zones d’empâtement de trois toiles du maître. Ce composé blanc confère au mélange une consistance adéquate.1

Fig. 1. Portrait de Maerten Soolsmans, Rembrandt (1634). C’est sur ce tableau notamment que le composé dénommé plumbonacrite a été décelé dans les zones d’empâtement. (Domaine public)

La technique d’empâtement

En peinture, la technique dite impasto (mot italien dérivé du verbe impastere qui signifie « mettre en pâte ») fut employée pour la première fois par le peintre italien Titien (1488-1576). L’étalement d’une couche épaisse de pâte colorée produit un relief visible à l’œil nu, d’où le nom d’empâtement, traduction française (peu poétique !) de impasto. Cette technique permet d’augmenter les propriétés réfléchissantes de la peinture et de rendre ainsi les reflets plus brillants. Lorsqu’ils sont finement travaillés, les empâtements dépeignent joliment la texture de tissus ou de bijoux, particulièrement dans les œuvres de Rembrandt (Fig. 1). Employée également par Johannes Vermeer et Frans Hals, la technique d’empâtement sera plus tard largement mise à profit avec des pigments de diverses couleurs au XIXsiècle par Van Gogh et poussée à l’extrême au XXsiècle par de nombreux peintres : Jackson Pollock, Willem de Kooning et bien d’autres.

Une synthèse volontaire

Examinons de plus près les empâtements blancs réalisés par Rembrandt. Le seul pigment blanc disponible à son époque était le blanc de plomb, bien que sa toxicité fût connue dès le Moyen Âge. Il est constitué d’un mélange de carbonate basique de plomb et de carbonate de plomb.Dans la technique de peinture à l’huile, ce pigment était dispersé dans un liant contenant essentiellement de l’huile de lin.

Une équipe internationale de chercheurs dirigée par Victor Gonzalez a effectué une analyse finede la composition de minuscules fragments de peinture issus des zones d’empâtements de trois célèbres toiles de Rembrandt : Portrait de Marten Soolmans (Rijksmuseum) (Fig. 1), Bathsheba (Le Louvre) et Susanna (Mauritshuis). Ils ont eu la surprise de découvrir la présence de plumbonacrite2, outre celle de carbonate basique de plomb et de carbonate de plomb. Leurs résultats montrent que cette présence n’est pas accidentelle, ni due à une contamination, mais que le peintre a intentionnellement ajouté de l’oxyde de plomb (litharge)à l’huile afin de transformer le mélange en une peinture pâteuse, sans savoir évidemment qu’il réalisait ainsi la synthèse de plumbonacrite. Ce composé, extrêmement rare dans les peintures de l’époque, sera synthétisé beaucoup plus tard, au cours de la première moitié du XXsiècle, en tant que nouveau type de blanc de plomb, décrit comme nacré. Sa présence a été décelée dans diverses peintures du XXsiècle.

Les travaux de Victor Gonzalez et ses collègues lèvent le voile sur la technique d’empâtement de Rembrandt. Il reste toutefois à analyser d’autres chefs-d’œuvre du maître pour vérifier qu’il employait seulement ce procédé fondé sur la formation de plumbonacrite par addition de litharge au blanc de plomb. Et qu’en est-il des autres maîtres néerlandais également adeptes de l’impasto, comme Johannes Vermeer et Frans Hals ? Affaire à suivre.

Références et notes

1Travaux menés par le Département Materials Science and Engineering de l’Université de Technologie de Delft et le Rijksmuseum d’Amsterdam en collaboration avec l’Institut de Recherche de Chimie Paris, l’Université d’Amsterdam et le Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF).

V. Gonzalez et al., « Rembrandt’s impasto deciphered via identification of unusual plumbonacrite by multi‐modal Synchrotron X‐ray Diffraction », Angewandte Chemie International Edition, 7 Janvier 2019, https://doi.org/10.1002/anie.201813105

2Formules chimiques. Carbonate de plomb (nom d'usage : cérusite) : PbCO; carbonate basique de plomb (nom d'usage : hydrocérusite) : Pb3(CO3)2(OH)ou 2PbCO3.Pb(OH)2 ; plumbonacrite : Pb5(CO3)3O(OH)ou 3PbCO₃·Pb(OH)₂·PbO ; oxyde de plomb (litharge) : PbO.

3Expériences de diffraction des rayons X réalisées au Synchrotron Européen de Grenoble (ESRF).

 

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