Les couleurs à l’époque de Toutânkhamon

22.07.2019 | par Bernard Valeur | Couleurs et art

« Toutânkhamon. Le trésor du pharaon » : l’exposition à la Grande Halle de la Villette (du 23 mars au 22 septembre 2019) attire les foules, offrant une belle occasion de s’intéresser aux couleurs au sein de cette exceptionnelle collection de chefs d’œuvre dont certains voyagent pour la première fois. Bijoux, amulettes, parures, témoignent d’une orfèvrerie d’exception où les couleurs, riches de symboles, sont d’une éclatante beauté, et la magie opère continuellement.1,2

Fig. 1. Bracelet aux trois scarabées constitué de pierres montées sur or : lapis-lazuli, cornaline et turquoise. Les trois scarabées en lapis-lazuli taillé sont séparés par trois motifs représentant un cobra dans une corbeille en turquoise. Au-dessus de sa tête, une pierre de cornaline symbolise le dieu soleil Rê. Crédit : Sandrine Merle/thefrenchjewelrypost.com

Les pierres des bijoux, des amulettes et des parures

Diverses gemmes (pierres précieuses, pierres fines et pierres ornementales), montées sur or, ornent abondamment les bijoux, les amulettes et les parures que portait le pharaon et qui étaient destinés à le protéger pendant sa vie terrestre, puis à sa mort, lors de son passage, semé de dangers, vers l’au-delà.3

Les Égyptiens ne connaissaient ni le diamant, ni le saphir, ni le rubis, mais employaient couramment le lapis-lazuli, la cornaline, la turquoise, l’amazonite, etc. Le bracelet aux trois scarabées (Fig. 1) est un splendide exemple d’agencement des trois premières pierres, les plus prisées de l’Égypte antique car elles étaient, selon les Égyptiens, dotées de pouvoirs magiques et de vertus prophylactiques. Examinons leur constitution et les symboles dont elles sont porteuses.3

  • Le lapis-lazuli est une pierre fine importée d’Afghanistan. Contrairement à la plupart des substances minérales, sa couleur n’est pas due à un composé métallique mais à un groupe de trois atomes de soufre liés entre eux (plus précisément, il s’agit du radical anion trisulfure S3), inséré dans une cage d’aluminosilicate de type zéolithe.4 Cet ensemble porte le nom de lazurite. La pierre est souvent parsemée d’inclusions de petits cristaux jaunes de pyrite (sulfure de fer FeS2) (Fig. 2). C’est pourquoi le lapis-lazuli était associé à la nuit et à la voûte céleste étoilée, mais aussi à la vie dans l’au-delà, aux forces obscures d’où le Soleil doit renaître indéfiniment. Cette pierre symbolisait également la chevelure des dieux.

Fig. 2. Gros plan sur une pierre de lapis-lazuli montrant les inclusions de cristaux de pyrite. © Bernard Valeur

  • La cornaline, provenant du Soudan, est une variété de calcédoine rouge. La calcédoine est un agencement de cristallites de quartz (variété cristalline de silice). La couleur va du rouge orangé au rouge brun selon la teneur en oxyde de fer. Cette pierre était associée au Soleil levant, au sang, à la force, au sang, au pouvoir, à la vitalité.
  • La turquoise était extraite des mines situées dans la péninsule du Sinaï. Il s’agit d’un phosphate hydraté de cuivre et d'aluminium dont la couleur bleu ciel, bleu-vert ou vert dépend des teneurs en sels de cuivre et de fer. Cette pierre symbolise donc le bleu du ciel, le vert de l’eau et de la végétation, et évoque de ce fait le printemps, la jeunesse retrouvée, le renouveau de la vie, bref tout ce qui concerne la régénération.

À ces trois pierres de prédilection, il faut ajouter :

  • L’amazonite, variété de feldspath de couleur verte (aluminosilicate de sodium et de calcium). On a longtemps cru que cette couleur était due à des traces de composés du cuivre. En fait, de petites quantités d’eau et de plomb en seraient responsables.5
  • L'obsidienne, roche vitreuse siliceuse volcanique.
  • Le jaspe rouge ou vert, variété de quartz microcristallin.

Une pierre tombée du ciel ?

Les scarabées ornant les bijoux n’étaient pas exclusivement constitués de lapis-lazuli, comme en témoigne l’élément pectoral exceptionnel, représenté sur la figure 3, que Toutânkhamon avait probablement porté. Dans ce bijou, le scarabée, de couleur jaune-vert, a été façonné à partir d’un verre issu du désert de Libye. Ce verre libyque (Libyan Desert Glassou LDG), composé de 98 % de silice et de 2 % d’alumine, est présent sur 6 500 km2. Son origine a fait l’objet de controverses. L’hypothèse de l’impact d’une météorite a été écartée en raison de l’absence d’un cratère d’impact clair. Plus vraisemblablement, le verre libyque aurait été formé lors de l’explosion d’une météorite à une altitude de 10 à 20 km provoquant un rayonnement thermique capable de vitrifier le sol à une température de 2000 °C.

Fig. 3. Pectoral comportant en son centre un scarabée en verre provenant du désert de Libye. Ce coléoptère, considéré comme sacré par les Égyptiens, est représenté avec des ailes ainsi que des pattes de vautour lui permettant de saisir le signe chen de l’éternité. Crédit : Jon Bodsworth/ Wikimedia Commons

Les pigments de la peinture égyptienne : naturels mais aussi synthétiques

Après les couleurs des bijoux et des parures, il est incontournable d’évoquer celles des peintures des fresques et de l’art statuaire. Le sol égyptien étant riche en matières minérales colorées, les peintres ne manquaient pas de pigments mais le nombre de couleurs était relativement limité : jaune, rouge, bleu, vert, blanc et noir.6,7 Voici les principaux pigments relatifs à ces couleurs (les noms chimiques sont donnés avec les formules dans le tableau 1) :

  • JAUNE : ocre jaune ; jarosite et natrojarosite en mélange avec des ocres ; orpiment  (jaune vif et brillant imitant l’or).
  • ROUGE : ocres et oxydes de fer rouges ; réalgar ; cinabre.
  • BLEU : bleu égyptien (voir ci-dessous).8
  • VERT : vert égyptien (voir ci-dessous) ; mélange de bleu égyptien et d’orpiment ou d’ocre jaune ; malachite, principale source de vert sur les supports en bois ou en pierre.
  • BLANC : calcaires, craies, ou coquillages broyés ; gypse ; huntite (blanc plus pur que celui de la calcite ou du gypse).
  • NOIR : noir de carbone résultant d’une combustion (charbon de bois, suie) ou d’une calcination (os, ivoire).

Tableau 1. Noms et formules chimiques de divers pigments employés par les Égyptiens.

Les fameux bleu et vert égyptiens méritent une attention particulière car contrairement aux autres pigments, ils n’étaient pas naturels mais préparés par des synthèses très élaborées. Ils sont d’ailleurs considérés comme les premiers pigments synthétiques. Il a fallu attendre les années 1980-1990 pour que des chercheurs soient en mesure d'étudier en détail des procédés qui ont vraisemblablement été mis en œuvre à l’époque :9

  • Le bleu égyptien a pu être obtenu en chauffant entre 870 et 1100 °C pendant plusieurs heures un mélange de composés calcaires, siliceux et cuivreux en certaines proportions, ce qui conduit à une masse compacte et hétérogène comportant des cristaux bleus de cuprorivaïte (CaO-CuO-4SiO2), ainsi que de la silice sous forme de cristaux de quartz et de tridymite. La couleur varie du bleu foncé au bleu pâle selon les conditions de chauffage.
  • Le vert égyptien a pu être préparé avec les mêmes ingrédients que le bleu, mais dans des proportions différentes. Par ailleurs, il doit être cuit entre 900 et 1150 °C. Le vert égyptien est plus riche en sodium et plus pauvre en cuivre que le bleu égyptien. Dans la phase compacte sont dispersés des cristaux de parawollastonite (CaSiO3) et de silice (quartz et/ou tridymite ou cristobalite).

Le bleu égyptien connut un succès qui dépassa les frontières de l’Égypte.10 C’est sous le nom de bleu d’Alexandrie qu’il sera exporté dans tout l’Empire romain, réhabilitant ainsi la couleur bleue considérée jusqu’alors comme dévalorisante.

La figure 4 donne un exemple de peinture murale décorant la chambre funéraire de Toutânkhamon.

Fig. 4. Peinture murale sur la paroi nord de la chambre funéraire de Toutânkhamon. Photo : Robert Jensen © J. Paul Getty Trust

Ainsi les Égyptiens vivaient-ils dans un monde enjolivé de couleurs révélées par la vénérée lumière solaire. Hautement symboliques, les couleurs étaient à leurs yeux intimement associées à la vie… et à la mort. Leur quête obsessionnelle de l’immortalité s’est traduite par la volonté de créer des œuvres se voulant éternelles, des simples bijoux aux imposantes pyramides. Si le revêtement de la pyramide de Khéops avec des pierres de diverses couleurs s'est dégradé, les bijoux, eux, sont éternels…

Références et notes

1Égypte, invention de l’éternité, Sciences et avenir Hors-série, n°197, avril-mai 2019 – Toutânkhamon, révélations sur les mystères du pharaon, Beaux Arts Hors-série, mars 2019.

2F. Quentin, Dans l’intimité de Toutânkhamon. Ce que révèlent les objets de son trésor, Éditions First, 2019.

3A. Boquillon, « Couleurs et pierres précieuses », Techné n°4, pp. 46-56 (1996).

4La couleur du lapis-lazuli n’a été complètement élucidée que dans les années 1960-1970 grâce à des analyses approfondies du pigment bleu outremer extrait de cette pierre ou obtenu par synthèse (bleu Guimet). Voir : B. Valeur, « La formule secrète du bleu outremer », Pour la Science, n° 419, sept. 2012, pp. 74-79.

5A. M. Homeister, G. R. Rossman, « A spectroscopic study of irradiation coloring of amazonite : structurally hydrous, Pb-bearing feldspar », American Mineralogist, vol. 70, pp.794-804 (1985).

6S. Colinart, E. Delange, S. Pagès, « Couleurs et pigments de la peinture de l’Égypte ancienne », Techné n°4, pp. 29-45 (1996).

7Ph. Walter, Ph. Martinez, Carnets d’Égypte (2018). Articles consultables ici.

8Le simple broyage du lapis-lazuli ne produit qu’une poudre bleu-gris. La technique d’extraction du pigment bleu (lazurite), appelé bleu outremer, n’a pas été mise au point en Égypte mais probablement au Turkménistan vers le IIe siècle avant notre ère. Voir réf. 10.

9S. Pagès-Camagna, « Pigments bleu et vert égyptiens en question : vocabulaire et analyses ». Dans : La couleur dans la peinture et l’émaillage de l’Égypte ancienne, Edipuglia, 1998, pp. 163-175.

10F. Delamare, « Le bleu égyptien, premier pigment synthétique », Pour la Science, n° 406, Août. 2011, pp. 38-42.

Pour en savoir plus sur les couleurs des gemmes et des pigments :

E. Fritsch, G. Rossman, «  La couleur dans les gemmes ». Dans : La couleur, Dossier Pour la Science, avril 2000, pp. 36-41.

W. Schumann, Pierres précieuses, fines et ornementales, Guide Delachaux, Delachaux et Niestlé (2015).

B. Valeur, « La chimie crée sa couleur… sur la palette des peintres ». Dans : La chimie et l’art, EDP Sciences, 2010, pp. 129-167 (consultable ici).

B. Valeur, La couleur dans tous ses éclats, Belin (2011).

 

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