Les couleurs visibles, changeantes et cachées des nouveaux billets de 100 et 200 euros

Écrire un billet à propos de billets, quoi de plus naturel ! Surtout quand il s’agit des nouveaux billets de banque de 100 et 200 euros, mis en circulation en 2019. Ils sont dotés de signes de sécurité innovants plus difficiles à contrefaire que ceux des précédentes coupures, mais néanmoins aussi faciles à vérifier. Conserver une longueur d’avance sur les faussaires, tel est l’objectif de toutes les banques mondiales émettrices de billets. Ces signes de sécurité sont très nombreux (une trentaine) et nous ne considérerons ici que ceux recourant à la lumière et aux couleurs qu’elle révèle.

Fig. 1. La mise en circulation des billets de la nouvelle série Europe a débuté en 2013 en commençant par les petites coupures et s’achève en 2019 avec les coupures de 100 et 200 euros. Source : Banque centrale européenne.

La nouvelle série Europe

Après les coupures de 5, 10, 20 et 50 euros, les nouveaux billets de 100 et 200 euros complètent la nouvelle série appelée Europe (Fig. 1). C’est le nom de notre continent qui pourrait le devoir à un personnage de la mythologie grecque : la princesse Europe ! Son portrait, qui figure dans le filigrane et la bande métallisée, provient d’un vase antique en céramique (IVe siècle avant notre ère), conservé au musée du Louvre.

Comme pour la première série, chaque billet de la série Europe apparaît globalement d’une couleur spécifique (Fig. 1) : gris (5 €), rouge (10 €), bleu (20 €), orange (50 €), vert (100 €) et jaune (200 €). Mais quand on regarde un billet de près, bien d’autres couleurs sont visibles.1 Et lorsqu’on incline le billet, certaines couleurs varient, et parfois conjointement, des motifs changent, apparaissent, disparaissent. Enfin, d’autres couleurs sont révélées par une lampe UV tandis que les rayons infrarouges apportent également leur signature. Comment ces effets sont-ils obtenus ?

Des couleurs et des motifs qui varient selon l’inclinaison

Commençons par les nombres 100 ou 200 situés dans le coin en bas à gauche des billets. Quand on fait varier l’inclinaison, la couleur de ces nombres passe d’un vert émeraude à un bleu profond. En outre, de petits symboles de l’euro (€) figurent dans les chiffres (Fig. 2). Aucun billet falsifié ne parvient à vraiment imiter ces effets.

Fig. 2. Changement de couleur du nombre 100 lorsque le billet est incliné. Montage réalisé à partir d’images captées sur la vidéo mise en ligne par la Banque centrale européenne.

Un tel changement de couleur d’un motif dont l’apparence est en outre métallique (ce qui n’est pas sans rappeler le bleu métallique des ailes du papillon Morpho2), ne peut pas être obtenu simplement avec des encres. Des effets colorés d’origine physique interviennent. Voyons comment. Rappelons tout d’abord succinctement la différence entre couleur pigmentaire et couleur physique.2,3

  • Une couleur pigmentaire (souvent dénommée « couleur chimique », contraction de « couleur liée à la nature chimique ») résulte de l’absorption préférentielle d’un pigment (ou d’un colorant) à certaines longueurs d’onde. Une encre par exemple réfléchit la lumière aux longueurs d’onde qu’elle n’absorbe pas, et la superposition de ces dernières sur la rétine de notre œil produit une sensation colorée : bref c’est la couleur de l’encre qui est étroitement liée à sa nature chimique.
  • Une couleur physique, au contraire, ne dépend quasiment pas de la nature chimique du matériau. Elle provient de phénomènes physiques tels que la diffusion de la lumière, les interférences et la diffraction. Lorsqu’une couleur dépend de l’angle d’observation, on parle de couleur interférentielle car elle résulte d’interférences des ondes lumineuses.2-4 On emploie également le terme d’iridescence.

Les couleurs interférentielles apparaissent en particulier quand le matériau est constitué de multicouches, c’est-à-dire de couches minces superposées (ex. : nacre, cuticule des scarabées) ou de microstructures périodiques (stries) diffractant la lumière (ex. : plumes de certains oiseaux, ailes de certains papillons). C’est pourquoi on qualifie également ces couleurs de structurales.

Les bandes métallisées des billets de 50, 100 et 200 euros font précisément apparaître des couleurs interférentielles provenant de multicouches et/ou de stries. Ces multicouches réalisées avec des polymères sont en outre conçues de telle sorte que, selon les angles d’illumination et d’observation, il apparaît un chiffre ou un symbole. Par abus de langage, on parle souvent d’hologrammes, mais ces derniers, permettant de faire apparaître une image en relief, sont en réalité de conception différente : ils nécessitent la lumière cohérente d’un laser.

Revenons aux billets de 100 et 200 euros. La bande métallisée contient des marquages de sécurité particulièrement innovants induisant divers changements en fonction de l’inclinaison (Fig. 3). Les procédés employés ne sont évidemment pas divulgués mais à la lumière des explications fournies ci-dessus, on peut subodorer que des multicouches et des stries savamment conçues sont mises en œuvre.

Fig. 3. La bande métallisée d’un billet de 100 euros en fonction de l’inclinaison. On observe des changements de couleur ainsi que l’apparition et la disparition du symbole de l’euro et du portrait de la princesse Europe (deuxième ligne). Source : Banque centrale européenne.

Le motif du haut de la bande métallisée constitue un marquage de sécurité particulièrement innovant et extrêmement difficile à imiter. Il est dénommé « hologramme satellite » car il fait apparaître deux petits symboles € irisés qui gravitent autour du nombre 100 ou 200 lorsqu’on incline le billet (Fig. 4).

Fig. 4. « Hologramme satellite » du billet de 200 euros (en haut de la bande métallisée). En inclinant le billet, on voit tourner deux symboles de l’euro (€) autour du nombre 200. Montage réalisé à partir d’images captées sur la vidéo mise en ligne par la Banque centrale européenne.

Les couleurs révélées par une lampe UV

Les lampes UV utilisées notamment dans la détection de faux billets sont des lampes à vapeur de mercure (moyenne pression) dont les raies à 365 nanomètres (UV-A) ou 254 nanomètres (UV-C) sont sélectionnées, au choix, à l’aide de filtres. Selon la longueur d’onde, des motifs lumineux différents apparaissent. L’émission de lumière par ces motifs est du type photoluminescence3 (émission de lumière consécutive à une absorption de lumière). Il s’agit souvent de fluorescence mais pas toujours.  C’est pourquoi, en absence d’information sur la nature chimique des pigments employés pour le marquage de billets, le terme général de pigments luminescents est approprié. Les pigments organiques étant souvent insuffisamment stables à la lumière sur de longues durées, il s’agit vraisemblablement de pigments inorganiques ou organométalliques.

Avant de décrire les motifs luminescents, précisons que sous une lampe UV, le papier des billets de banque n’apparaît jamais bleu, contrairement aux papiers habituels qui contiennent des azurants optiques fluorescents émettant dans le bleu (afin d’exalter la blancheur du papier). Attention, si vous oubliez un billet de banque dans la poche d’un vêtement avant de mettre ce dernier dans la machine à laver, il en ressortira imprégné d’azurant optique (que contiennent toutes les lessives). Vous risquez alors des ennuis si ce billet est contrôlé par une lampe UV dans une boutique car il apparaîtra bleu !

Examinons maintenant des billets (non lavés !) de 100 et 200 euros sous une lampe UV à 365 et 254 nm.

Sous illumination à 365 nm (Fig. 5). Au recto des billets de 100 et 200 euros, diverses parties émettent une lumière jaune-vert, notamment les étoiles du drapeau de l’Union européenne, certaines grandes étoiles et des petits cercles. Au verso, un quart de cercle au centre du billet brille d’une lumière verte. De plus une bande verticale et le numéro de série horizontal apparaissent en rouge. Au recto, comme au verso, on distingue des microfibres luminescentes de trois couleurs différentes.

Fig. 5. Motifs luminescents apparaissant au recto et au verso d’un billet de 100 euros éclairé par une lampe UV à 365 nm. Images captées sur la vidéo mise en ligne par la Banque centrale européenne.

• Sous illumination à 254 nm (Fig. 6). Au recto des billets, les étoiles du drapeau européen et les petits cercles situés au centre du billet émettent une lumière jaune-vert. Les grandes étoiles et plusieurs autres parties émettent une lumière orange, jaune ou jaune-vert. Il apparaît également au centre du billet le symbole de l’euro (€) de grande taille et de couleur orange alors qu’il n’était pas visible sous une illumination à 365 nm (Fig. 5). Des microfibres tricolores sont également visibles.

Fig. 6. Motifs luminescents apparaissant sur un billet de 100 euros éclairé par une lampe UV à 254 nm. Image captée sur la vidéo mise en ligne par la Banque centrale européenne.

Sous une lampe à infrarouge

Les rayons infrarouges à des longueurs d’onde de l’ordre de quelques micromètres sont absorbés différemment selon la nature des pigments, des multicouches et des dépôts métalliques. Au recto des billets, on ne distingue que le nombre 100 ou 200 en bas à gauche, la partie droite du motif central et la bande métallisée. Au verso, il n’apparaît que le portrait de la princesse Europe, le nombre 100 ou 200 et le numéro de série (Fig. 7).

Fig. 7. Un billet de 200 euros, recto et verso, vu sous une lampe infrarouge. Images captées sur la vidéo mise en ligne par la Banque centrale européenne.

Concluons en mentionnant que le marquage de sécurité ne se limite évidemment pas aux billets de banque. Il est présent également dans les passeports, les cartes d’identité, les permis de conduire, les timbres budgétaires, les timbres-poste, et dans bien d’autres documents de sécurité.

La contrefaçon concerne non seulement les documents sécurisés mais aussi tous les produits industriels. Elle coûte chaque année plusieurs millions d’euros et des centaines d’emploi dans l’industrie. C’est pourquoi des procédés de marquage de plus en plus sophistiqués sont mis au point.5 Dans le domaine de la couleur, citons par exemple les microtraceurs constitués de particules présentant des strates colorées dont la séquence de couleurs correspond à un code unique. Ces microtraceurs, sortes d’« empreintes digitales » du produit, sont impossibles à dupliquer.5

Références et notes

1Voir les vidéos mises en ligne par la Banque centrale européenne décrivant les billets de 100 euros et 200 euros.

2B. Valeur, La couleur dans tous ses éclats, Belin, 2011.

3B. Valeur, Lumière et luminescence. Ces phénomènes lumineux qui nous entourent, Belin, 2017 (2e éd.).

4Des interférences se produisent lorsque deux ondes lumineuses, issues d’une même source, se superposent après avoir suivi des chemins différents. En certains points, leurs amplitudes s’additionnent ; en d’autres, elles se soustraient. Ainsi, l’intensité lumineuse augmente à certaines longueurs d’onde, c’est-à-dire pour certaines couleurs, et est au contraire atténuée pour d’autres couleurs.2,3

5F. Montfort-Windels, « Lumière et matière : des interactions au service de la contrefaçon », L’Actualité chimique, n°308-309, mai-juin 2007, pp. 108-110. Article consultable ici.

 


4 commentaires pour “Les couleurs visibles, changeantes et cachées des nouveaux billets de 100 et 200 euros”

  1. jean-Louis Marguerin Répondre | Permalink

    bonjour
    ce qui serait intéressant c'est que des organismes officiels ou publics (je pense à Orange) qui pourraient s'en inspirer pour créer des logos animés en 3D avec filigrane informatique( hologramme) destinés à filtrer (bloquer et éliminer) les spam ,,phishings et malwares en tout genre qui se servent de leurs logos.

  2. jean-Louis Marguerin Répondre | Permalink

    pourquoi ne pas en faire autant en informatique avec les logos de services officiels ou publiques comme orange ,les impôts ,ameli,etc,etc en créant des logos avec filigranes ,hologrammes 3 D ,etc,etc destinés à piéger ,bloquer et signaler les sapms,phishings et malwares en tout genres

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