Les images de l’espace : en vraies ou fausses couleurs ? 1. Comment définir une vraie couleur et classer les fausses couleurs ?

Le télescope James Webb continue d’émerveiller le monde entier avec des images d’une précision et d’une beauté à couper le souffle. Sachant qu’il détecte essentiellement les radiations infrarouges auxquels nos yeux sont insensibles, chacun est conscient qu’il s’agit de « fausses » couleurs. Mais qu’en est-il des images produites par le télescope Hubble qui, lui, est sensible dans le domaine visible ? On pourrait penser que les couleurs de ces images – comme celle des Piliers de la création (Fig. 1) – sont conformes à ce qu’un œil humain verrait. La réalité est tout autre. Commençons par distinguer le vrai du faux dans le domaine de la couleur.

Fig. 1. Les Piliers de la création. Sur cette image produite par le télescope spatial Hubble, on distingue les lueurs multicolores des nuages de gaz, les vrilles de poussière cosmique sombre et les trompes d'éléphants couleur rouille. Bien que les données aient été acquises dans le domaine visible, les couleurs ne sont pas conformes à ce qu’un œil humain verrait (voir texte). Crédit : NASA, ESA, Hubble Heritage Team (STScI/AURA)

Peut-on parler de couleurs vraies, réelles, naturelles ?

Rappelons que la couleur est la sensation que procure le cerveau quand de la lumière frappe la rétine de nos yeux. Il faut garder à l’esprit la spécificité de la vision colorée humaine et se souvenir qu’à l’exception de certains primates, les animaux ne perçoivent pas les couleurs comme nous.1 De plus, mises à part les anomalies de la vision comme le daltonisme, la perception des couleurs n’est pas strictement identique pour chacun de nous : nous ne percevons pas tous exactement de la même façon les nuances de bleu, de vert, de rouge, etc.2 En outre, la couleur perçue d’un objet dépend de la composition spectrale de la source de lumière qui l’éclaire. Et chacun sait que les éléments d’un paysage apparaissent avec des couleurs qui dépendent des conditions météorologiques. Enfin, notre cerveau nous berce souvent d’illusions colorées.3 Pour toutes ces raisons, il est difficile de parler de couleur « vraie », qualificatif qui a une connotation d’absolu.

On ne peut pas davantage parler de couleurs « réelles » (par opposition à des couleurs qui seraient fictives) car une couleur n’a pas de réalité matérielle puisque c’est une sensation produite par le cerveau. Une couleur n’est une propriété ni de la matière, ni de la lumière ; même si une couleur ne peut exister sans lumière, ni matière… ni sans les neurones d’un observateur !

Dans la pratique, il est néanmoins utile d’adopter la définition suivante : une couleur sur une image est dite « vraie » si elle est proche de celle qu’un observateur humain percevrait s’il voyait directement l’objet. Cette définition s’applique également aux « couleurs naturelles », expression que certains préfèrent à « couleurs vraies ».

D’une façon générale, qu’il agisse de reproduction sur écran ou sur papier, les images en vraies couleurs sont toujours reconstruites par les procédés indirects de synthèse additive (écran couleur) ou soustractive (imprimerie) des couleurs.3 Dans les cas les plus simples, on se contente de combiner trois couleurs primaires du fait que notre vision est trichromatique : notre rétine possède trois types de cônes, photorécepteurs qui répondent dans de larges plages de longueurs d’onde (Fig. 2). Il est inapproprié de prétendre que notre œil voit en rouge-vert-bleu (RVB) ; néanmoins la superposition de ces trois rayonnements dans des proportions adéquates permet de reproduire la plupart des couleurs visibles par l'œil sur un écran couleur, celui d’un smartphone par exemple (voir Annexe).

Fig.2. Domaines de sensibilité des cônes (© Bernard Valeur). À droite : synthèse additive des couleurs par combinaison des trois couleurs primaire rouge-vert-bleu (RVB) (Wikimedia Commons).

Sauf exception, les images transmises par les sondes spatiales ou par les télescopes terrestres ou spatiaux ne sont pas en couleurs mais en noir et blanc (en fait en niveaux de gris). Des clichés sont pris à travers plusieurs filtres et lors du traitement, une couleur est assignée à chacune des images qui sont ensuite recombinées.4 Figurent parmi les exceptions les rovers martiens Curiosity et Perseverance qui sont équipés de caméras comportant des capteurs CCD munis d’un filtre de Bayer (matrice de filtres colorés rouge-vert-bleu) à l’instar des appareils photo numériques (voir Annexe).

La figure 3 illustre le principe de la reconstruction d’une image de Mars en vraies couleurs par synthèse additive des couleurs. Le principe paraît simple mais dans la pratique, il est difficile de rendre le contraste proche de celui qu’un l'œil humain percevrait réellement. Il est fréquent d’amplifier le contraste pour faire ressortir des différences et par exemple, rendre les planètes moins ternes qu’elles ne le sont en réalité.

Fig. 3. Reconstruction d’une image en vraies couleurs de Mars à partir de trois clichés pris par le télescope spatial Hubble à travers trois filtres rouge-vert-bleu. Crédit : NASA

Les divers types de fausses couleurs

Une couleur qui ne satisfait pas la définition (énoncée ci-dessus) d’une couleur vraie est fausse, dirait Monsieur de la Palice. Les fausses couleurs sont couramment mises à profit dans le traitement des images de l’Univers5 venant des télescopes (Hubble et James Webb parmi tant d’autres), des sondes spatiales (sondes Cassini-Huygens et Juno par exemple) et des satellites de télédétection (Landsat par exemple). Plusieurs cas sont à distinguer.6

• Type A. Les couleurs « vraies » sont rehaussées en jouant par exemple sur la saturation et le contraste de façon à faire ressortir les détails. La figure 4 donne l’exemple du satellite Io de Jupiter.

Fig. 4. Image du satellite Io de Jupiter acquise par la sonde spatiale Galileo en 1999. A. En vraies couleurs : les plaines blanchâtres sont recouvertes d'un dépôt volcanique de dioxyde de soufre, alors que les régions plus jaunes contiennent une plus grande proportion de soufre. B. En fausses couleurs : le contraste a été renforcé pour exacerber les nuances de couleurs dues au soufre et à ses dérivés provenant du volcanisme. Crédits : NASA et Photojournal/JPL

• Type B. Des couleurs sont attribuées arbitrairement à des domaines de longueur d’onde auxquels l’œil humain est insensible : l’infrarouge, l’ultraviolet, les rayons X… Il est fréquent de combiner les images obtenues à partir de divers instruments pour obtenir une image composite en fausses couleurs. L’analyse de telles images est facilitée par l’emploi de différentes couleurs.

Fig. 5. Image composite de la supernova Cassiopée A en fausses couleurs. En rose : rayons X enregistrés par le télescope spatial Fermi ; en bleu et vert : rayons X détectés par le télescope de l’observatoire Chandra ; en jaune : lumière visible observée par le télescope spatial Hubble ; en rouge : rayonnement infrarouge mesuré par le satellite Spitzer ; en orange : ondes radio observées par le VLA (Very Large Array) près de Socorro (New Mexico). Crédit : NASA/DOE/Fermi LAT Collaboration, CXC/SAO/JPL-Caltech/Steward/O. Krause et al., and NRAO/AUI. Source : Flickr.com

• Type C. On remplace la couleur que perçoit un observateur humain (c’est-à-dire dans un domaine de longueur d’onde auquel son œil est sensible) par une autre couleur choisie arbitrairement. C’est par exemple le cas de l’image des Piliers de la création présentée sur la figure 1 : le bleu a été choisi pour représenter l’émission de l’oxygène doublement ionisé alors que cette émission se situe dans le vert ; la couleur verte est attribuée arbitrairement à l’hydrogène alors que son émission se situe dans le rouge (raie alpha) ; etc.7

• Type D. Des couleurs sont affectées aux divers niveaux de gris dans une image en noir et blanc dans le but de la rendre plus lisible et/ou de révéler certains détails. Dans ce cas, il n’y a aucune relation entre couleur et longueurs d’onde et il est préférable d’employer le terme de « pseudo-couleurs ». C’est notamment le cas de l’imagerie thermique (thermographie) et celui des images fournies par les satellites météorologiques. À titre d’exemple, la figure 6 montre une image en pseudo-couleurs du fond cosmologique prise par le satellite Planck. Un autre exemple spectaculaire d’image en pseudo-couleurs est celui de la Lune présentée sur la figure 7.

Fig. 6. Fond diffus cosmologique. Image prise par le satellite Planck dans le domaine des micro-ondes. Les pseudo-couleurs reflètent les fluctuations de température : des plus basses (en bleu) aux plus élevées (en rouge). La température moyenne est de 3 K. Crédit : ESA.

Fig. 7. Image en pseudo-couleurs de la Lune réalisée à partir d'une série de 53 images prises à travers trois filtres spectraux par le système d'imagerie de la sonde spatiale Galileo (NASA) lors du survol des régions du nord le 7 décembre 1992. Rose vif : matériaux des hautes terres ; bleu à orange : coulées de lave volcanique ; bleu clair : sols riches en minéraux, associés à des impacts relativement récents ; bleu foncé : zones riches en titane. Source : Photojournal du Jet Propulsion Laboratory. Crédit : NASA / JPL

En conclusion, même s’il est difficile de parler de vraies couleurs, s’approcher d’une représentation en couleurs conformes à la vision d’un observateur moyen reste indispensable. Cela n’exclut pas bien sûr de dépasser les limites de la vision humaine en employant de fausses couleurs afin d’élargir notre palette visuelle. Encore faut-il que ceux qui diffusent ces superbes images de l’espace hautes en couleur précisent s’il s’agit de vraies ou de fausses couleurs (et quel type de fausse couleur) ce qui est malheureusement rarement le cas ! Même les agences spatiales sont souvent avares de ce type d’information et parfois les indications fournies prêtent à confusion.

Il faut saluer le travail exceptionnel des chercheurs chargés du traitement des images. Leur objectif est double : offrir au public de magnifiques images qui l’émerveille, mais aussi faciliter les analyses par les scientifiques grâce à un choix judicieux de fausses couleurs. En aucun cas on ne peut parler d’images vraies ou fausses : les faits scientifiques sont toujours présents ; le reste est une affaire d’esthétique. Les images de l’espace illustrent à merveille le dialogue entre science et art.

Divers exemples particulièrement remarquables seront donnés dans les articles suivants.

Remerciements à Thomas Appéré pour la relecture de cet article et ses remarques pertinentes.

Références et notes

1 Voir le billet du 06.01.2019 : “Sait-on comment les animaux voient en couleurs ?”.

2 Voir le billet du 12.10.2018 : “Pourquoi la perception des couleurs n’est-elle pas parfaitement identique pour chacun de nous ?”.

3 B. Valeur, La couleur dans tous ses éclats, Belin, 2011.

4 Voir le document de la Nasa sur les filtres de la camera Wide Field camera 3 du télescope Hubble : https://wfc3.gsfc.nasa.gov/tech/filters.html

5 Y. Nazé, Les couleurs de l’Univers, Belin, 2005.

6 La classification des fausses couleurs utilisée ici est une proposition de l’auteur de cet article et n’a rien d’officiel.

7Des informations supplémentaires sur les couleurs de cette image seront données dans un autre article de cette série, ainsi que d’autres exemples de nébuleuses.

ANNEXE. La production d’images en couleurs

À l’exception du procédé direct de photographie en couleurs inventé par Gabriel Lippman, les autres procédés sont indirects. Les instruments destinés à capter des images sont désormais quasiment tous équipés d’un capteur CCD constitué d’une mosaïque de minuscules cellules indépendantes à base de silicium sensibles à la lumière, appelées photosites.

Dans le cas des appareils photo numériques (et des smartphones), un réseau de pastilles colorées transparentes (matrice de Bayer) permet à chaque photosite de ne voir qu'une seule couleur primaire rouge, vert ou bleu.

Matrice de Bayer – Wikimedia Commons

Une image électronique brute contenant l’information sur chaque pixel est stockée (fichier RAW). Pour obtenir l’image en couleur il faut procéder à un dématriçage à l’aide d’algorithmes.a Cette opération est effectuée en interne si l’enregistrement a été demandé en JPEG. Les couleurs d’image ainsi obtenue sont rarement fidèles à la réalité. Alors, pour s’approcher des couleurs vraies, il existe des logiciels plus ou moins sophistiqués permettant de retoucher les photos.b

Les instruments des sondes spatiales et des télescopes terrestres ou spatiaux sont également équipés de capteurs CCD. Ces derniers possèdent rarement une matrice de filtres colorés, et le plus souvent ce sont des filtres amovibles (fixés sur une roue) qui permettent de sélectionner des domaines étroits ou larges de longueurs d’onde.c Puis divers traitements d’image sont effectués et une couleur est attribuée à chaque image avant superposition des diverses images. Le choix de la couleur diffère selon que le but est d’obtenir in fine une image en vraies couleurs, ou une image en fausses couleurs qui, en plus d’être esthétique, facilite l’analyse par les scientifiques.

a T. Nikoukhah, Quand une photo sort de l’ombre, Pour la Science n° 538, août 2022.

b B. Valeur, Comment retoucher une photo couleur ?  (Blog « Questions de couleurs »)

  1. La jungle des paramètres colorimétriques
  2. Les espaces et les modes colorimétriques
  3. Bien choisir son logiciel

cVoir la référence 4 du texte.

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