Les vitraux en agate de Sigmar Polke : couleurs naturelles ou artificielles ?

10.11.2020 | par Bernard Valeur | Couleurs et art

Quand on pénètre dans la cathédrale Grossmünster à Zurich, le regard est immédiatement attiré par ses superbes vitraux. En s’approchant de certains d’entre eux, on se rend compte qu’il ne s’agit pas de verres colorés classiques mais de tranches de pierres d’agate suffisamment fines pour être translucides et transmettre ainsi des lumières colorées (Fig. 1). Le concepteur de ces vitraux, réalisés en 2009, est Sigmar Polke (1941-2010), l’un des plus grands artistes allemands contemporains. D’où viennent les couleurs de ces agates ? Sont-elles naturelles ou artificielles ?

Fig. 1. Vitrail en agate de la cathédrale Grossmünster à Zurich. Créé par Sigmar Polke en 2009, ce vitrail est situé du côté oriental au-dessus de la porte d’entrée. Crédit : ErwinMeier / Wkimedia Commons

Qu’est-ce que l’agate ?

L’agate appartient à la grande famille du quartz.1 Le constituant principal commun de cette famille est la silice (SiO2) qui se présente sous forme, soit de macrocristaux2, soit de microcristaux (ou cristallites) invisibles à l’œil nu. Les variétés de quartz microcristallins sont en général rassemblées sous le nom de calcédoines, dont l’agate fait partie. Les cristallites sont agencées en fibres dont l’orientation et la couleur diffèrent selon la variété. Outre la calcédoine commune (blanc-gris bleuâtre), on distingue l’agate (striée), la cornaline (rouge), la sardoine (brune), le jaspe (rouge), la chrysoprase (verte), etc.

On parle d’agate lorsque les microfibres de silice se déposent en couches successives en formant des bandes bien visibles, plus ou moins colorées (Fig. 2). L’alternance des bandes résulte d’une cristallisation rythmique à partir d’une eau chaude siliceuse dans une cavité de roche volcanique (souvent une ancienne bulle de gaz).3 Si la cavité (centimétrique à métrique) est totalement remplie, on parle de nodule, mais si le remplissage n’est que partiel, le terme employé est géode. Il est fréquent d’observer des cristaux de quartz tapissant la cavité d’une géode.

Fig. 2. Tranches d’agate vues par transparence. Celle du milieu possède des concrétions concentriques, comme celles que l’on rencontre dans les vitraux de Sigmar Polke (voir Fig. 5). © Bernard Valeur (collection personnelle)

Les diverses couleurs naturelles des agates (bleu pâle, rouge, jaune, rose, brun…) proviennent d’impuretés (des métaux de transition, le plus souvent) que contient la silice. À titre d’exemple, la couleur rouge est due la présence d’oxyde de ferIII (hématite) (Fig. 2). Divers objets sont réalisés en agate (Fig. 3).

Fig. 3. Les sceaux à cacheter en agate et argent étaient en vogue au XIXe siècle. À droite : un manchon en agate. © Bernard Valeur (collection personnelle)

Jusqu’au début du XIXe siècle, les agates provenaient principalement de gisements situés aux environs d’Idar-Oberstein (Allemagne) et présentaient de belles couleurs variées. Depuis la fermeture de l’exploitation, c’est en Amérique du sud que se situent les gisements les plus productifs mais les agates produites sont d’un triste gris légèrement bleuté, et leur texture est à peine visible (Fig. 4). Il est cependant possible de les teindre pour leur conférer des teintes vives et dévoiler leur texture. Voyons comment.

Fig. 4. Demi-géode d’agate dont les bandes gris-bleu se distinguent à peine. Des cristaux de quartz tapissent la cavité. © Bernard Valeur (collection personnelle)

L’art de teindre les agates

Les romains savaient déjà teindre les agates. Les techniques de teinture se développèrent considérablement au XIXe siècle lorsque la chimie des pigments fit de rapides progrès. Selon la porosité des diverses couches, ainsi que leur teneur en silice hydratée et en eau, les agates absorbent différemment les suspensions de pigments. En particulier, les agrégats siliceux très compacts sont impénétrables et forment des bandes qui restent blanches. La législation impose de prévenir l’acheteur, par la mention « teinte » ou « traitée », qu’il s’agit d’une agate dont la couleur a été modifiée.

Les recettes des techniques de teinture sont gardées jalousement par les entreprises spécialisées. Ce sont toujours des pigments inorganiques qui sont mis en œuvre car les colorants organiques sont pour la plupart instables à la lumière. Le tableau ci-dessous précise la nature des pigments employés.

Tableau recensant les pigments couramment employés pour la teinture des agates. Informations partiellement issues de la réf. 1, p. 152.

Zoom sur les vitraux de Sigmar Polke

Parmi les vitraux de la cathédrale Grossmünster, douze ont été réalisés par Sigmar Polke et sept d’entre eux sont constitués de tranches fines d’agate accolées. La vue rapprochée présentée sur la figure 5 montre les détails des tranches d’agate provenant de nodules ou de géodes (dont on distingue les cavités). Les couleurs les plus vives sont très vraisemblablement artificielles.4 En particulier, le bleu vif n’est guère présent dans les agates naturelles.

Fig. 5. Ce détail du vitrail en agate, présenté sur la figure 1, révèle la richesse des formes, des structures internes et des couleurs des agates. Les couleurs les plus vives résultent vraisemblablement d’une teinture.

Pour la cathédrale Grossmünster, Sigmar Polke a réalisé également un ensemble de cinq vitraux figuratifs constitués de verres colorés incrustés de tranches fines de tourmaline5. Enfin, Giacometti a apporté sa contribution en réalisant les magnifiques vitraux du chœur en 1932.

Ainsi, l’art du vitrail, qui prit son essor au Moyen Âge, continue d’évoluer grâce aux artistes contemporains dont le talent fait resplendir les lumières colorées que transmettent les vitraux.

Ce billet est dédié à Patrick Lasserre, professeur d’arts plastiques (collège Saint-Michel à Saint-Mandé) qui a présenté à ses élèves les vitraux en agate de Sigmar Polke, et à son élève Ronan qui a attiré mon attention sur ces réalisations. Belle initiative d’ouverture des jeunes au monde de l’art.

Références et notes

1W. Schuman, Pierres précieuses, fines et ornementales, Guide Delachaux, Delachaux et Niestlé, 2015 (17e éd.).

2Les quartz dont les cristaux sont visibles à l’œil nu sont appelés quartz macrocristallins (par opposition aux quartz microcristallins). Exemples : cristal de roche, quartz rose, quartz fumé, citrine, améthyste, etc.

3Il existe d’autres théories pour expliquer la cristallisation en couches. L’une d’elle stipule que les formations d’agate et de roche mère seraient concomitantes lors du refroidissement simultané de la lave et des gouttes siliceuses fluides qui y sont incluses. Une autre invoque des solutions colloïdales (suspension de particules de silice) et non de solutions « vraies » qui pénètreraient dans les cavités. (Voir réf. 1, p. 148)

4P. Thomas, J. Chumm, Ph. Chèvremont, « Les vitraux d'agate et de tourmaline de la cathédrale de Zurich (Suisse) ». Article consultable ici

5Ces vitraux sont décrits dans l’article cité en réf. 4.


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