L’étonnante fluorescence naturelle des vins

Fig. 1. Un vin blanc (Mâcon Villages) observé en lumière blanche (à gauche) et sous une lampe-torche UV posée sur le verre (à droite). Certains composés phénoliques sont à l’origine de cette fluorescence turquoise. © Bernard Valeur
Voici une petite expérience qui épatera vos amis lors d’un dîner. Remplissez un verre avec du vin blanc, puis après avoir réduit la lumière ambiante, si nécessaire, éclairez le verre avec une lampe torche UV. Le vin émettra alors une belle lumière turquoise (Fig. 1). Tous les vins contiennent en effet des composés fluorescents naturels. Quels sont-ils ? La fluorescence contribue-t-elle à la perception des reflets verts de certains vins blancs ? Quelles informations la fluorescence apporte-t-elle aux œnologues ?
La fluorescence turquoise des vins blancs
Un précédent billet1 était dédié aux nuances de jaune de la robe des vins blancs qui s’expliquent par la présence de divers composés phénoliques : ils absorbent en effet la lumière dans l’ultraviolet avec un maximum entre 310 et 350 nanomètres mais cette absorption se prolonge dans le violet et le bleu, ce qui explique leur couleur jaune plus ou moins intense.2 Ces composés sont essentiellement l’acide paracoumarique, l’acide caféique, et des dérivés de la quercétine. Les deux premiers font partie des composés fluorescents qui ont été identifiés dans divers vins blancs.3,4 Leurs maxima d’émission se situent à 440 nm pour le premier, et 470 nm pour le second, c’est-à-dire respectivement dans le bleu et le bleu-cyan.
Les vins blancs contiennent également des composés phénoliques qui ne contribuent pas à la couleur jaune mais à la fluorescence que l’on observe. C’est le cas en particulier de l’acide caftarique dont le maximum d’émission se situe à 490 nm, c’est-à-dire dans le bleu-vert.
Enfin, il existe également d’autres composés phénoliques fluorescents, tels que les acides vanillique et gallique, mais dont l’émission se situe dans l’UV. Ils ne participent donc ni à la couleur, ni à la fluorescence observée à l’œil. En revanche, certains appareils permettent de les étudier (voir ci-dessous).
Que voit-on avec une torche UV ? Ce type de torche est généralement équipé de LED UV émettant autour de 390 nm (avec une largeur à mi-hauteur du pic d’émission de 10 nm environ), c’est-à-dire à des longueurs d’onde où l’acide paracoumarique n’absorbe pas et donc ne contribue pas à la fluorescence. En revanche, avec une telle torche, on provoque les émissions de l’acide caféique et de l’acide caftarique. C’est pourquoi la fluorescence globale observée est d’une couleur bleu-vert (turquoise) (Fig. 1). On ne peut évidemment pas exclure la contribution d’autres composés fluorescents présents dans le vin.
La fluorescence à l’origine des reflets verts des vins blancs ?
Il est bien connu que les vins blancs présentent souvent des reflets verts à la lumière du jour, surtout les vins jeunes. Ces reflets sont en général attribués à la présence de chlorophylles provenant des rafles ou des feuilles.1 Ne pourraient-ils pas être dus en fait à la fluorescence bleu-vert décrite ci-dessus ? Cette explication n’est curieusement jamais évoquée.
Cette observation n’est pas sans rappeler les boissons dites “Tonic” (type Schweppes) qui ont des reflets bleus à la lumière du jour. Elles contiennent en effet de la quinine qui émet une fluorescence bleue, que l’on visualise également très bien avec une torche UV.
Et les vins rosés et rouges ?
Les vins rosés contiennent les mêmes types de composés fluorescents que les vins blancs avec en outre des anthocyanes (et des tanins) en quantités variables selon la méthode de vinification. Les rosés dont la robe est très claire, car pauvres anthocyanes, émettent une fluorescence turquoise très semblable à celles des vins blancs (Fig. 2 haut). En revanche, les rosés ayant une robe foncée, donc plus chargés en anthocyanes 5 s’avèrent moins fluorescents car la lumière est principalement absorbée par ces derniers. En outre, cette fluorescence apparaît d’une couleur tirant vers le jaune du fait que l’émission turquoise se superpose à la couleur rosé (Fig. 2 bas).

Fig. 2. Un vin rosé clair (Côtes de Provence) et un vin rosé foncé (Tavel) observés en lumière blanche (à gauche) et sous une lampe-torche UV posée sur le verre (à droite). Pour le second, la fluorescence s’atténue vers le bas en raison de l’absorption de la lumière par les anthocyanes et les tanins. © Bernard Valeur
Concernant les vins rouges, leur fluorescence n’est visible qu’en surface car la lumière incidente pénètre peu du fait de la très forte absorption par les anthocyanes et les tanins.
Caractérisation de la fluorescence pour l’œnologie
Tous les vins contiennent de nombreux composés fluorescents en proportions variables selon l’origine, le procédé de vinification, l’âge... Caractériser quantitativement la fluorescence s’avère donc utile à l’œnologue.
Une telle caractérisation est possible avec un spectrofluorimètre. Cet appareil permet, pour une longueur d’onde d’excitation donnée, d’enregistrer le spectre de fluorescence, c’est-à-dire la variation de l’intensité de la fluorescence en fonction de la longueur d’onde (λem).6 L’ensemble des spectres de fluorescence enregistrés à différentes longueurs d’onde d’excitation (λex) sont rassemblés dans un diagramme à trois dimensions (Fig. 3) qui constitue une sorte d’empreinte digitale d’un vin. On dispose ainsi d’un bon moyen d’authentification d’un vin et de détection de fraudes.7,8,9

Fig. 3. Spectres de fluorescence tridimensionnels de deux vins blancs (cépage Sauvignon) produits en Roumanie et en France. On constate des différences notables bien qu’il s’agisse du même cépage. Adaptation de la figure 1 de l’article cité en réf. 7.
En association avec la chromatographie liquide haute performance4 ou la spectrométrie de masse3, la spectroscopie de fluorescence permet d’évaluer la composition en acides phénoliques fluorescents présents majoritairement dans un vin. Ces derniers sont des marqueurs du vieillissement des vins et offrent de plus un moyen d’étudier les effets des pratiques œnologiques impliquant des processus d’oxydation, en particulier le sulfitage (addition d’anhydride sulfureux SO2) permettant une bonne vinification et favorisant une meilleure conservation.3,10 La spectroscopie de fluorescence est ainsi un outil puissant d’investigation en œnologie, et d’une façon plus générale dans les sciences de l’alimentation.11
Après avoir lu ce billet, votre appétence pour le vin changera-t-elle sachant qu’il est fluorescent ?
Références et notes
1Voir le billet du 18.10.2021 : “Couleur & vin. 4. La robe des vins blancs”.
2Tout corps qui absorbe les radiations violettes et bleues nous apparaît jaune lorsqu’il est éclairé en lumière blanche. Le jaune est d’autant plus clair que l’absorption dans le violet et le bleu est faible.
3C. Roullier-Gall et al., “Sulfites and the wine metabolome”, Food Chemistry, vol. 237, pp. 106–113, 2017. DOI:10.1016/j.foodchem.2017.05.039
4J. S. Laštincová, “Evaluation of phenolic acids in the white wines from slovakian ‘Malokarpatský’ region", Advances in Analytical Chemistry, vol. 9(1), pp. 8-11, 2019. DOI:10.5923/j.aac.20190901.02
5Voir le billet du 15.11.2021 : “Couleur & vin. 6. La robe des vins rosés.”
6Dans le cas des vins rouges, l’absorption de la lumière par les anthocyanes et les tanins empêche le faisceau de lumière incidente de pénétrer dans l’échantillon. L’observation de la fluorescence n’est pas possible latéralement, selon la configuration habituelle. Pour ces vins, l’illumination frontale de l’échantillon s’impose, comme le montre ce schéma.
7R. C. Suciu et al., “Application of fluorescence spectroscopy using classical right angle technique in white wines classification”, Scientific reports, 9:18250, 2019. https://doi.org/10.1038/s41598-019-54697-8
8D. Airado-Rodríguez et al. “Frontface fluorescence spectroscopy : A new tool for control in the wine industry”, Journal of Food Composition and Analysis, vol. 24(2), pp. 257–264, 2011. DOI:10.1016/j.jfca.2010.10.005
9R. K. R. Ranaweera et al., “Authenticating the geographical origin of wine using fluorescence spectroscopy and machine learning”, Internet Journal of Viticulture and Enology, 2022 (1/2) www.infowine.com
10C. Coelho et al., “Fluorescence fingerprinting of bottled white wines can reveal memories related to sulfur dioxide treatments of the must”, Analytical Chemistry, vol. 87, pp. 8132−8137, 2015. doi.org/10.1021/acs.analchem.5b00388
11R. Karoui, C, Blecker, “Fluorescence spectroscopy measurement for quality assessment of food systems – A review”, Food and Bioprocess Technology, vol. 4(3), 364–386, 2011. DOI:10.1007/s11947-010-0370-0
Pour en savoir plus sur la fluorescence
B. Valeur, Lumière et luminescence. Ces phénomènes lumineux qui nous entourent, Belin, 2017 (2e éd.).
Billet du 17.11.2018, “Du gilet jaune aux baskets flashy : le fluo, c’est le filon !”