L’origine des couleurs de l’idole du dieu Pachacamac, enfin élucidée

18.01.2020 | par Bernard Valeur | Couleurs et art

Pachacamac évoque pour les Tintinophiles le nom d’un navire dans le célèbre album Le Temple du Soleil. Mais c’est avant tout le nom d’une divinité vénérée au Pérou à l’époque des civilisations précolombiennes successives jusqu’à celle des Incas (c’est-à-dire de 200 à 1530 après J. C.). Un site archéologique majeur, situé à une trentaine de kilomètres de Lima, porte également ce nom. Dans le musée de ce site repose une idole dédiée à ce dieu Pachacamac : un mât en bois sculpté polychrome (Fig. 1), sur lequel les chercheurs d’une équipe internationale se sont récemment penchés en vue de le dater et d’élucider la nature des pigments à l’origine de ses couleurs. Leurs travaux viennent d’être publiés dans la revue PLOS ONE.1

Fig. 1. L’idole du dieu Pachacamac est un mât en bois sculpté d’une longueur de 2m30 et d’un diamètre de 13 cm. Les flèches rouges indiquent les traces rouges qui ont été repérées. L’image en haut à droite montre le spectromètre de fluorescence X en position pour l’analyse chimique élémentaire des traces colorées. Source : communiqué du CNRS, © Marcela Sepúlveda/Rommel Angeles/Museo de sitio Pachacamac (avec l’aimable autorisation de Marcela Sepúlveda).

Un peu d’histoire

Des textes espagnols datant du XVIe siècle prétendaient que l’idole de Pachacamac avait été détruite par Hernando Pizzaro en 1533 lors de sa conquête de l’empire Inca. Cela fut démenti en 1938 lorsque l’Américain Albert Gesieke la découvrit lors de fouilles sur le site archéologique de Pachacamac. Des traces rouges intriguèrent les chercheurs. S’agissait-il de traces de sang comme on pouvait s’y attendre du fait de la présence probable de l’idole lors de rites sacrificiels ? Les archéologues s’accordent en effet à considérer le site de Pachacamac comme un lieu où les dieux étaient vénérés, avec des sacrifices d’animaux ou d’humains. Une question cruciale se pose : quel est l’âge de cette idole ?

La datation de l’idole de Pachacamac

L’idole date-t-elle de l’époque des Incas ou est-elle antérieure ? Les travaux récemment publiés1 apportent la réponse grâce à la technique classique de datation au carbone 14 : la mesure effectuée sur un fragment de bois du socle conduit à un âge de 1289 +/– 25 ans. L’idole aurait donc été réalisée vers l’an 730 de notre ère (si elle a été sculptée immédiatement après l’abattage de l’arbre) –  c’est-à-dire du temps de la civilisation Huari (ou Wari) qui prit son essor à partir du VIIe siècle –, soit environ sept siècles avant l’apogée de l’empire Inca. C’est donc à ce moment-là que le site de Pachacamac prit une importance rituelle qui perdurera jusqu’à ce que les Incas en fassent un important lieu de pèlerinage.

La nature des pigments enfin dévoilée

À première vue, difficile d’imaginer que l’idole de Pachacamac était polychrome. On discerne à peine quelques traces rouges (Fig. 1). Et il faut un microscope pour distinguer également des traces de blanc et de jaune. L’analyse physicochimique1 par une technique non invasive, la spectroscopie de fluorescence X,2 vient de révèler les divers éléments des pigments présents dans la zone irradiée par le faisceau de rayons X.

Il s’avère que les traces rouges ne sont pas du sang mais qu’elles sont constituées de cinabre (sulfure de mercure : HgS), un minerai connu dans cette région depuis plus de 2000 ans. Un gisement est situé à environ 380 kilomètres du site de Pachacamac. Pourquoi utiliser ce pigment venu de si loin alors qu’un autre pigment rouge était disponible dans les environs du site, s’interrogent les chercheurs ? Le faire venir aurait été un moyen d’affirmer un pouvoir économique et politique s’exerçant sur une région étendue, proposent-ils. Une autre hypothèse peut être formulée : la beauté de la couleur rouge vif du cinabre aurait fait privilégier ce pigment par rapport à l’autre pigment rouge présent à proximité (dont l’article ne précise d’ailleurs pas la nature). Sans doute une ocre rouge, c’est-à-dire de l’hématite (oxyde ferrique : Fe2O3), un pigment qui, comme l’ocre jaune, est très répandu mais dont la couleur est beaucoup moins vive, moins belle que celle du cinabre. Rappelons que la forme synthétique du cinabre est le vermillon, un pigment très prisé des peintres jusqu’au début du XXe siècle.

Quant à l’analyse des traces jaunes sur certaines coiffes, elle révèle une forte présence de fer : il s’agit donc vraisemblablement d’ocre jaune ou goethite (oxyhydroxyde de fer : FeOOH). Autre possibilité : la jarosite (sulfate hydraté de fer et de potassium), car l’analyse révèle aussi la présence de potassium.

Enfin, les traces blanches décelées sur les dents d’un personnage sont probablement constituées de gypse (sulfate dihydraté de calcium : CaSO4, 2H2O) comme en atteste la détection de calcium. On ne peut toutefois pas exclure la présence d’autres types de pigments blancs.

Aucun autre pigment n’a été détecté. Peut-être ont-ils été effacés au cours du temps. Il est en effet intéressant de remarquer que les murs du Temple peint et du Temple du Soleil, dont on peut voir des vestiges sur le site archéologique de Pachacamac, sont décorés de divers motifs (représentations anthropomorphiques, poissons, oiseaux, plantes…) foisonnant de couleurs : rouge, jaune, blanc, mais aussi noir et vert.1

Dans toutes les civilisations, les couleurs sont omniprésentes et riches de symboles. Le caractère symbolique d’une couleur et son code d’usage varie d’une civilisation à l’autre, et pour une civilisation donnée, changent selon les époques. Qu’en est-il des couleurs dans les civilisations précolombiennes ? Celles des objets et des murs peints du site de Pachacamac sont-elles associées à des rites, et de quelle façon ? De passionnantes recherches en perspective !

Références et notes

1M. Sepúlveda et al., « Unraveling the polychromy and antiquity of the Pachacamac idol, pacific coast, Peru »,  PLOS ONE, article publié en ligne le 15 janvier 2020, consultable ici.

Les cosignataires de cet article appartiennent aux organismes suivants : Universidad de Tarapaca, Instituto de Alta Investigación, Arica, Chili – Sorbonne Université, Laboratoire d’Archéologie Moléculaire et Structurale (LAMS), CNRS UMR, Paris – Archéologie des Amériques (ArchAm), CNRS-Université Paris 1 Panthéon Sorbonne UMR, Paris – Museo de sitio Pachacamac, Lurın, Lima, Perou – Museum National d’Histoire Naturelle, Histoire Naturelle de l’Homme Préhistorique, CNRS UMR, Paris – Département du Patrimoine et des Collections, Musée du Quai Branly, Paris – SETI Institute, Mountain View, California, USA

2La spectroscopie de fluorescence X consiste à collecter les rayons X émis par la matière consécutivement à son irradiation par des rayons X. Le spectre de fluorescence X se présente sous forme de pics dont la position (correspondant à l’énergie des photons X émis) est caractéristique des éléments chimiques présents dans la zone irradiée.

 

Publier un commentaire