Peut-on soigner par les couleurs ? Photothérapie versus chromothérapie
Cette question doit être reformulée plus rigoureusement : « Peut-on soigner par des lumières colorées ? ». De fait, c’est précisément l’effet d’une lumière de couleur donnée qui est susceptible d’avoir une action thérapeutique spécifique. Comment ? Grâce à l’énergie que la lumière véhicule car à toute couleur correspond à la fois une gamme d’énergie et un domaine de longueur d’onde, plus ou moins restreints. C’est le principe de la photothérapie médicale, à ne pas confondre avec la chromothérapie qui prétend soigner tout, ou presque, par les couleurs à grand renfort de publicités dans des journaux ou sur des sites internet. Voyons plus précisément la distinction entre photothérapie et chromothérapie.
La photothérapie : preuves à l’appui1-4
Un exemple bien connu de photothérapie est la guérison de la jaunisse du nourrisson par un bain de lumière bleue. Cette maladie fréquente est due à un excès de bilirubine, un pigment jaune provenant de la dégradation de l'hémoglobine. Dans les cas bénins, il suffit d’exposer le nourrisson à la lumière du Soleil pendant une quinzaine de minutes, trois ou quatre fois par jour. Dans les cas sévères, le nourrisson est placé dans une couveuse munie de panneaux de LED bleues, en prenant le soin de protéger ses yeux bien sûr (Fig. 1). Le choix d’une lumière bleue repose sur le fait que la bilirubine, qui l’absorbe, subit une dégradation qualifiée de photochimique ; les produits de dégradation sont éliminés dans les urines.

Fig. 1. Nourrisson atteint de jaunisse, soigné par photothérapie sous une lumière bleue. Crédit : Vtbijoy/Wikimedia commons
Autre exemple : la thérapie photodynamique pour le traitement de certains cancers.2 Des colorants photosensibilisateurs inoffensifs par eux-mêmes sont injectés au patient. Ils envahissent notamment les tumeurs. Sous l’action d’une lumière de couleur adéquate focalisée sur une tumeur, ils réagissent avec l’oxygène contenu dans les tissus et engendrent des espèces toxiques pour les cellules cancéreuses (Fig. 2). Les lésions précancéreuses de la peau sont couramment traitées de cette façon.3 Par ailleurs, des essais très prometteurs ont été menés sur les cancers de la prostate, les tumeurs bronchiques et les cancers superficiels de l'œsophage après récidive à la suite d'un traitement par radiothérapie.2

Fig. 2. Exemple de thérapie photodynamique. Une fibre optique convoyant de la lumière rouge issue d’un laser illumine localement une tumeur. Le colorant photosensibilisateur injecté, qui absorbe dans le rouge, est ainsi activé et détruit sélectivement les cellules cancéreuses. Crédit : John Crawford/National Cancer Institute Visuals on line .
Il existe bien d’autres types de traitements par photothérapie, principalement en ophtalmologie et en dermatologie, qui sont fondés sur l’utilisation de faisceaux lasers dont la puissance et la couleur (c’est-à-dire sa longueur d’onde) sont en adéquation avec l’effet recherché1,4 : l’effet thermique pour le traitement du décollement de la rétine, l’élimination de tumeurs cutanées, le traitement des angiomes ; l’effet photoablatif pour la chirurgie de l’œil (correction de la myopie, en particulier) ; l’effet électromécanique pour le traitement des lésions pigmentées de la peau, l’élimination des tatouages. Quant à l’effet photochimique, il est précisément à la base de la thérapie photodynamique décrite ci-dessus.
La chromothérapie : pseudo-médecine ou fausse science
Toutes les techniques de photothérapie sont étayées par des articles dans des revues scientifiques à comité de lecture. Il n’en est pas de même pour la chromothérapie (ou chromatothérapie) prétendant agir par les couleurs en s’assimilant à la photothérapie médicale mais relevant de pratiques douteuses. Les chromothérapeutes, dont les ouvrages à succès fleurissent sur les rayons des librairies, vont jusqu’à affirmer que, via « l’harmonisation énergétique du corps » (sic) induite par des lumières colorées, on peut stimuler le foie, la circulation sanguine, les reins, le système respiratoire, les os…, soulager les maux de tête, les douleurs rhumatismales, les crampes…, aider à la perte de poids, etc.5 Aucune publication scientifique ne vient à l’appui de ces affirmations, comme en témoigne l’absence totale d’article sur la chromothérapie dans la revue spécialisée Alternative Therapies in Health and Medicine, qui publie les travaux d’évaluation des médecines alternatives. Ajoutons, si besoin est, que la chromothérapie n’est pas reconnue par l’Académie Nationale de Médecine.
Par conséquent, il ne s’agit pas d’une médecine alternative mais d’une pseudo-médecine.6 La chromothérapie n’est pas une science et doit, de ce fait, être considérée avec circonspection. Pourtant, l’attention que certains prêtent aux multiples publicités qui en sont faites témoigne d’une certaine crédulité. Ainsi que l’exprimait Thomas Jefferson : « À force de répéter une fausse assertion, on finit par y croire »7. Suffirait-il alors de croire pour guérir ?
Références
1B. Valeur, Une belle histoire de la lumière et des couleurs, Flammarion (2016), pp. 174-177.
2C. Frochot, M. Barberi-Heyob, S. Mordon, « Thérapie photodynamique : quand la lumière se fait médicament », Le Point ‘Santé’, 24.10.2016.
3F. Kuonen, O. Gaide « Nouvelle lumière sur la thérapie photodynamique cutanée », Rev. Med. Suisse(2014) vol. 10, pp.754-759. (Article téléchargeable ici)
4S. Mordon, C. Boccara, « Applications médicales du laser », dans Le laser, N. Trepset et F. Bretenaker (coord.), EDP sciences (2010), chap. 7.
5« Chromothérapie ». Article sur le site de Médecines naturelles
6S. Point, « Chromothérapie : toutes les couleurs de la fausse science », SPS n°312, Avril 2015.
7L.-P. Conseil, Mélanges politiques et philosophiques, Extraits des Mémoires et de la Correspondance de Thomas Jefferson, vol. 2, Paulin (1833).