Quand la Lune se pare de couleurs… véritables, symboliques ou conventionnelles
Bleue, rose, rouge, rousse, cuivrée, de sang…, les adjectifs qualificatifs de couleur couramment assignés à la Lune ne manquent pas. Sans oublier l’expression la plus déconcertante qui soit : la « super Lune bleue de sang ». S’agit-il de couleurs véritables, symboliques ou conventionnelles ? L’objet de ce billet est d’apporter un éclairage sur ces couleurs.

Fig. 1. La super Lune rose du 7 avril 2020, photographiée à Santa Cruz (Californie), est imperceptiblement plus grosse qu’une Lune habituelle et sa couleur n’est pas rose. Crédit : James Maughn / flickr creative commons
La super Lune rose à la loupe
Le terme super Lune mérite quelques explications, indépendamment de la qualification de « rose » qui sera explicitée dans un deuxième temps.
Une « super Lune » serait-elle une icône ?
Une super Lune n’est pas vraiment super : ce n’est qu’une pleine Lune apparaissant un peu plus grosse que d’habitude parce que notre satellite se situe au point le plus proche de la Terre (appelé périgée). La différence est quasiment indétectable à l’œil. Pourtant, depuis quelques années, le service de presse de l’agence spatiale américaine (NASA) ne manque pas d’attirer l’attention sur l’apparition de chaque « supermoon », et les médias, friands de phénomènes astronomiques, se plaisent à annoncer sans circonspection ce non-évènement.1
Ajoutons que l’appellation « super Lune » relève de l’astrologie et non de l’astronomie. C’est en effet un astrologue, Richard Nolle, qui a proposé ce nom en 1979. Les astronomes, quant à eux, préfèrent le terme « périgée-syzygie » (la syzygie correspond à un alignement de la Terre, de la Lune et du Soleil, condition pour que la Lune présente une face totalement éclairée par le Soleil : la pleine Lune). Cependant, pour les médias, le terme « périgée-syzygie » est moins attractif que super Lune.
À titre d'exemple, concernant la super Lune apparue dans la nuit du 7 au 8 avril 2020, il n'y avait pas de quoi s’en relever la nuit pour l’observer. Jugez-en ! Elle était plus grosse d’environ 3 % par rapport à une Lune habituelle et d’environ 7 % par rapport à la Lune qui sera à l’apogée de son orbite (le point le plus éloigné de la Terre).2 Certains donnent à cette dernière le nom de micro Lune ! Pourquoi pas « nano Lune », pour être dans l’air du temps ?
Rose seulement au sens figuré
Si l’on parle de super Lune rose, ce n’est pas en raison de la couleur observée mais c’est parce qu’il s’agit de la pleine Lune d’avril, donc survenant au printemps (par exemple dans la nuit du 7 au 8 avril 2020 (Fig. 1) et celle du 26 au 27 avril 2021). La couleur rose symbolise ici la période où éclosent les fleurs printanières, en particulier les fleurs roses de certains cerisiers, d’où le nom parfois employé de « pleine lune des cerisiers ». En Amérique du nord, c’est le moment où le très prisé phlox rose se met à fleurir en abondance.
Néanmoins, certains affirmeront qu’ils ont réellement observé des reflets roses de cette super Lune. Certes, à condition que la Lune soit basse sur l’horizon : il est alors possible d’observer des nuances de rose mais aussi de jaune et d’orangé. Toutefois, ces teintes n’ont rien à voir avec le statut de super Lune. D’où viennent-elles ?
Quand la Lune est basse sur l’horizon
Les couleurs dont se pare la Lune lorsqu’elle est basse sur l’horizon sont analogues à celles que prend le Soleil dans les mêmes conditions. Comme chacun sait, ce dernier, qui est blanc au zénith, devient de plus en plus jaune lorsqu’il s’approche de l’horizon, et il prend des teintes souvent orangé et parfois rougeâtre à son coucher. La raison est simple et bien connue : plus l’astre est bas sur l’horizon, plus la lumière qui nous parvient traverse une épaisseur importante d’atmosphère et au passage s’appauvrit de plus en plus en longueurs d’onde les plus courtes. En effet, la lumière est diffusée dans toutes les directions par les molécules constitutives de l’air et les poussières d’autant plus efficacement que la longueur d’onde est courte.3 Ainsi, les longueurs d’onde correspondant au violet, bleu, vert… sont successivement atténuées et notre étoile nous apparaît progressivement jaune, orangé, rouge.
Les rayons du Soleil que renvoie la Lune vers nous sont affectés de la même façon que ceux qui nous parviennent directement. Les couleurs sont d’autant plus prononcées que l’atmosphère est humide et/ou que la concentration de poussières en suspension et le degré de pollution sont élevés. Il n’est donc pas rare d’observer une Lune jaune, orangée ou rougeâtre au-dessus de l’horizon (Fig. 2).

Fig. 2. Ces pleines Lune (photographiées respectivement en 2011 et 2015 par Bill Ingalls aux États-Unis) apparaissent jaune-orangée ou rougeâtre. La composition de la lumière solaire que la Lune renvoie est affectée par une longue traversée dans l’atmosphère car elle est basse sur l’horizon. Crédits : NASA / Bill Ingalls
Lorsque la couleur est orangée, le terme de « Lune rousse » est parfois employé mais cette qualification relève en fait de l’agriculture. Voici pourquoi.
La Lune rousse : une affaire de saison
En agriculture, la Lune rousse désigne la lunaison après Pâques. En cette période, les risques de gelées durant la nuit ou au lever du jour ne sont pas négligeables lorsque le ciel est dégagé et permet de voir la Lune. Après la douceur des températures diurnes qui favorise l’apparition des jeunes pousses et l’éclosion de bourgeons, de telles gelées peuvent les endommager en leur conférant un aspect roussi, d’où le nom de Lune rousse. « Gelée de Lune rousse, de la plante brûle la pousse », selon un dicton de Lozère. Il s’agit donc d’une couleur symbolique qui n’a rien à voir avec la couleur réelle de la Lune !
La Lune bleue n’est pas bleue !
En astronomie, selon la définition la plus récente, on dénomme Lune bleue la deuxième pleine Lune apparaissant dans le même mois calendaire. Cette définition conventionnelle n’a aucun rapport avec la couleur réelle de la Lune. Notons qu’en 2020, il y aura une Lune bleue le 31 octobre, précisément le jour d’Halloween. Elle s’ajoute aux 12 autres pleines lunes, dont deux super Lune (en mars et avril).
Une Lune bleue survient rarement : tous les deux ou trois ans. En voici la raison. Puisque la durée entre deux pleines Lune consécutives est d’environ 29,5 jours, il apparaît de l’ordre de 12 pleines Lune par an. La durée de 12 lunaisons comporte 11 jours de moins qu’une année calendaire, et il faut donc attendre deux à trois années (2,7 environ) pour observer à nouveau une treizième pleine Lune dans l’année, et donc une deuxième dans un même mois (sauf au mois de février évidemment).
L’origine du nom de Lune bleue n’est pas connue avec certitude. Il est probable qu’il vienne de la vieille expression anglaise « once in a blue moon » (une fois par lune bleue), dont l’équivalent français serait « tous les trente-six du mois », ou « quand les poules auront des dents », expressions qui sont employées pour qualifier un évènement très peu probable.
Lune cuivrée, Lune rouge, Lune de sang
En astronomie, on parle de Lune cuivrée ou de Lune rouge lors d’une éclipse lunaire. Cette fois-ci, il s’agit bien de la couleur véritablement cuivrée et rougeâtre que prend la Lune. Le terme de Lune rousse est parfois utilisé mais à tort (voir la véritable définition ci-dessus). L’expression Lune de sang, qui vient de l’anglais « blood Moon », est également employée de façon un peu abusive. Ce terme est évidemment très accrocheur.
Pourquoi la Lune prend-elle une couleur rougeâtre lors d’une éclipse totale alors qu’elle devrait être invisible puisqu’elle est dans l’ombre de la Terre ? L’atmosphère terrestre joue un rôle-clé pour deux raisons. D’une part, comme mentionné ci-dessus, l’atmosphère diffuse moins efficacement les rayonnements de grandes longueurs d’onde : le rayonnement rouge est donc beaucoup moins atténué lorsqu’il traverse l’atmosphère. En outre, l’atmosphère joue le rôle de prisme : elle réfracte – c’est-à-dire dévie – les rayons lumineux différemment selon leur longueur d’onde. En raison de la diminution de la densité atmosphérique – et donc de l’indice de réfraction – lorsque l’altitude augmente, les rayons sont courbés, et c’est grâce à cette courbure que le rayonnement rouge peut atteindre la Lune (Fig. 3). Ainsi, en l’absence d’atmosphère terrestre, la Lune serait invisible depuis la Terre lors d’une éclipse totale. Les différentes phases d’une éclipse lunaire totale sont illustrées sur la figure 4.

Fig. 3. La couleur rougeâtre de la Lune lors d’une éclipse lunaire s’explique par le passage des rayons solaires à travers l’atmosphère terrestre. Les conséquences sont le filtrage des rayons rouges de la lumière solaire et leur courbure permettant d’atteindre la Lune dans l’ombre de la Terre. © Bernard Valeur

Fig. 4. Montage photo des différentes phases de l’éclipse de Lune du 27 septembre 2015. Source : philippemoussette.com. Crédit : Philippe Moussette (avec son aimable autorisation).
Super Lune bleue de sang
Compte tenu de ce qui vient d’être décrit, chacun aura compris qu’une super Lune bleue de sang apparaît lorsque trois évènements se produisent simultanément : Lune au périgée de son orbite (super), deuxième pleine Lune du mois (bleue), éclipsée par le Soleil (de sang). La simultanéité de ces trois évènements est très rare : une fois tous les 265 ans en moyenne. Mais puisqu’une super Lune est imperceptiblement plus grande qu’une Lune normale (voir ci-dessus), et que la Lune bleue n’a de nom que le bleu, le spectacle n’est pas différent de celui d’une éclipse lunaire totale qui, elle, n’est pas rare (environ toutes les 18 pleines Lune).
Finalement, une super Lune bleue de sang n’est qu’une Lune rouge un peu particulière du point de vue calendaire, rien de plus ! Mais pourquoi se priver de la dénomination aussi alléchante que super Lune bleue de sang. Symbolique forte du rouge sang, associée à la couleur virtuelle bleue, et le tout qualifié de « super », on ne peut rêver meilleure accroche ! Par exemple, le 31 janvier 2018, on a pu voir annoncer l’incroyable super Lune bleue de sang à ne pas manquer !
Quelle est la véritable couleur de la Lune ?
La véritable couleur de la Lune est celle que l’on perçoit à travers une atmosphère sèche et exempte de poussières, lorsqu’elle est haute dans le ciel. C’est aussi la couleur que voient les astronautes depuis l’espace. La Lune apparaît alors en niveaux de gris (fig. 1) parce que, d’une part, elle ne possède ni atmosphère, ni cours d’eau, ni lacs, et d’autre part, elle réfléchit partiellement l’ensemble des longueurs d’onde du rayonnement solaire compte tenu de la nature des matériaux de sa surface. Ces derniers sont pour la plupart gris, avec des teneurs variables en oxygène, sodium, fer, titane, aluminium, sodium, magnésium. Les mers lunaires contiennent principalement des basaltes, tandis que les roches des terres lunaires sont riches en feldspaths gris d’anorthite et en pyroxènes jaunes.4 La clarté des terres lunaires vient des roches riches en feldspaths dont la couleur est très claire.5
Lors des missions Apollo, les astronautes marchant sur la Lune ont noté diverses nuances de couleur du sol.6 Une observation particulièrement intéressante est celle de l’astronaute Harrison Schmitt lors de la mission Apollo 2017 en 1972. Après avoir remarqué une bande orangée parallèle au bord du cratère Shorty, il creusa une tranchée à travers cette bande, et le sol apparut presque rouge (Fig. 5). Sur Terre, des teintes rouge-orangé sont dues à la présence d’oxyde de fer (Fe2O3), très présent autour des évents volcaniques d’où s’échappe de l’eau chaude ou de la vapeur d’eau provoquant une oxydation du fer. Sur la Lune, ces couleurs témoignent d’une activité volcanique ancienne.

Fig. 5. Couleur rouge-orangé du sol lunaire (cratère Shorty) observé par Harrison Schmitt lors de la mission Apollo 17. Source : lunexit.it. Crédits : NASA-Apollo 17 Crew - NASA/JPL/NSSDC - Crédits pour le traitement de l’image : Marco Faccin/Lunar Explorer Italia/IPF.
Une image de la Lune en mosaïque de couleurs
Pour visualiser les variations de composition du sol dans certaines parties de l'hémisphère nord de la Lune, le système d’imagerie de la sonde spatiale américaine Galileo a pris des clichés à travers trois filtres spectraux. La superbe mosaïque de couleurs ainsi obtenue (Fig. 6) permet de distinguer les matériaux des hautes terres, les coulées de lave volcanique, les cratères les plus jeunes, etc.

Fig. 6. Image en fausses couleurs de la Lune réalisée à partir d'une série de 53 images prises à travers trois filtres spectraux par le système d'imagerie de la sonde spatiale Galileo (NASA) lors du survol des régions du nord le 7 décembre 1992. Rose vif : matériaux des hautes terres ; bleu à orange : coulées de lave volcanique ; bleu clair : sols riches en minéraux, associés à des impacts relativement récents ; bleu foncé : zones riche en titane. Source : Photojournal du Jet Propulsion Laboratory. Crédit : NASA / JPL
La Lune n’a pas fini de faire rêver les poètes, les écrivains, les compositeurs de chansons… et les scientifiques. « La rêverie est le clair de lune de la pensée », disait Jules Renard.
Références et notes
1G. Cannat, « Une super-lune cela n’existe pas ! », blog/autourduciel, billet du 14.11.2016
2Le périgée varie de 356 400 à 370 400 km et l’apogée, de 404 000 à 406 700 km. Ces écarts résultent de la perturbation des mouvements de la Terre et de la Lune par d’autres corps célestes. La différence de diamètre apparent de la Lune vue de la Terre atteint au maximum 14 %.
3Il s’agit du phénomène de diffusion Rayleigh dont l’efficacité varie proportionnellement à l’inverse de la puissance quatrième de la longueur d’onde. Voir B. Valeur, Lumière et luminescence. Ces phénomènes lumineux qui nous entourent, Belin, 2005, 2e éd. 2017.
4Les feldspaths sont des aluminosilicates de sodium, de potassium ou de calcium. L’anorthite est un feldspath calcique. Les pyroxènes appartiennent également à la famille des silicates.
5M.-J. Pellerin, « Comprendre les roches de la Lune », svt.ac-creteil.fr
6O. de Goursac, LUNE, Tallandier, 2009.
merci pour les informations
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Bonjour.
Merci pour toutes ces informations dont j'ignorais une bonne partie.
Cet article est une bonne synthèse de tous les qualificatifs attribués à la Lune, que j'entendais sans toujours en connaître le sens.
J'ai toutefois 2 remarques, si vous me permettez.
1. L'expression anglaise "Once in a blue Moon" indique dans quelle circonstance est utilisé le terme "Lune bleue", et la signification de l'expression complète.
Mais cela ne donne pas d'explication sur l'origine de l'appellation "Lune bleue", hélas.
Si vous avez plus d'infos à ce sujet, je suis preneur 🙂
2. Il est dit dans le texte que l'augmentation de taille de la Lune lors de son périple est pratiquement indécelable à l'œil nu.
D'un jour sur l'autre, je suis d'accord, la différence est infime et on ne pourra pas dire : "Tiens, elle est plus grosse qu'hier".
Mais si l'on regarde la Lune de temps en temps seulement, et que l'on tombe sur une Lune à son périgée, elle est alors près d'un tiers plus grosse qu'à son apogée (il est précisé en fin d'article que l'écart peut atteindre 14% sur le diamètre, ce qui représente donc un écart de 30% sur la surface totale).
Et là, surtout si elle est basse sur l'horizon et que l'on a des points de repère dans le paysage, ça se voit, même sans instrument 🙂
Merci encore pour cet article.
Bonjour,
Merci pour vos commentaires.
1) Le site http://www.scienceballade.com/lune-bleue explique l’origine de l’expression « Bue moon ». Il précise également d’où vient la définition de la lune bleue en tant que seconde lune dans un même mois : « Le terme [blue moon] est mentionné dans l’Almanach des agriculteurs du Maine (paru entre le 19e et le début du 20e siècle). On y définit la lune bleue comme la troisième lune dans une saison où il y a exceptionnellement 4 lunes. Mais c’est à une erreur journalistique que l’on doit la définition actuelle de lune bleue. Elle a été publiée en mars 1946 dans un article du magazine Sky and Telescope, “Once in a Blue Moon”, écrit par James Hugh Pruett. L’auteur, ayant mal interprété l’Almanach des agriculteurs du Maine, conclut que la lune bleue est la seconde lune dans un même mois. Depuis, on utilise cette dernière définition pour désigner cette occurrence. »
2) Dans la sensation que nous procure le cerveau lorsque nous regardons un objet, c’est le diamètre apparent de ce dernier qui importe et non sa surface. D’ailleurs, le pouvoir de résolution de l’œil s’exprime en distance et non en surface.
Vous avez raison de faire remarquer l’importance des points de repère : notre cerveau nous fait percevoir la Lune plus grosse si elle est basse sur l’horizon où se situent des bâtiments, des arbres, etc. Mais il s’agit d’une illusion d’optique. Voir : https://www.numerama.com/sciences/476331-pourquoi-la-lune-semble-t-elle-plus-grosse-pres-de-lhorizon-les-scientifiques-cherchent-encore.html
Pour s’affranchir de cette illusion, il suffit de regarder la Lune à travers un tube éliminant du champ de vision les points de repère.
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