Quand naissent les couleurs, la règle de trois s’impose

Qu’est-ce que le chiffre évoque pour vous dans le domaine de la couleur ? Vous répondrez sans doute que c’est le nombre de types de cône de la rétine, les cônes étant les photorécepteurs responsables de la vision colorée1. Et puis vous ajouterez probablement que c’est le nombre de couleurs primaires et de couleurs secondaires ou complémentaires, souvenirs (émus ?) de vos premiers cours d’arts plastiques consacrés à l’aquarelle ? Au fait, vous souvenez-vous des noms de ces couleurs pour la peinture ? Il est facile se mélanger les pinceaux, et une piqûre de rappel n’est peut-être pas inutile, d’autant que les trios des primaires et des complémentaires ne sont pas identiques pour la peinture, l’imprimerie et les écrans.

Mais ce n’est pas tout ! La vision colorée implique la transmission au cerveau de trois signaux de contrastes : un contraste de clarté et deux contrastes chromatiques. En outre, trois paramètres sont nécessaires pour caractériser une couleur : les plus couramment employés sont la teinte, la saturation et la clarté. Enfin, les couleurs n’existeraient pas sans la trilogie lumière-objet-observateur. Une telle récurrence du chiffre est remarquable ; elle offre ici l’opportunité de rappeler quelques fondamentaux de la couleur.2

Petit rappel sur les trios de couleurs primaires et complémentaires

Conséquence importante de la vision trichromatique : il est possible de produire toutes les sensations colorées à partir de seulement trois couleurs convenablement choisies,3 appelées couleurs primaires, que l’on mélange dans des proportions adéquates. Ce principe s’applique aussi bien aux mélanges de pigments ou de colorants (synthèse soustractive4) qu’aux mélanges de lumières colorées (synthèse additive).2 Le mélange des trois primaires dans les mêmes proportions donne du blanc en synthèse additive et du noiren synthèse soustractive. En combinant deux couleurs primaires on obtient une couleur secondaire, renommée couleur complémentaire. Cette dénomination vient du fait qu’en combinant une couleur primaire et sa couleur complémentaire, – celle-ci étant obtenue en combinant les deux autres couleurs primaires –, on obtient du blanc en synthèse additive et du noir en synthèse soustractive5. La figure 1 rappelle les couleurs primaires et complémentaires.

Fig. 1. Les couleurs primaires (P) et leurs complémentaires (C) dans diverses applications. Elles apparaissent diamétralement opposées sur ces trois schémas illustrant les synthèses soustractive et additive. © Bernard Valeur

Les trois signaux de contraste transmis au cerveau

La rétine n’est pas une simple juxtaposition de capteurs comme dans un appareil photo numérique. Les signaux nerveux issus des photorécepteurs ne parviennent pas directement au cerveau mais passent par de nombreux neurones rétiniens chargés de les traiter. Parmi ces derniers, les cellules ganglionnaires jouent un rôle important. Chacune d’elle est en correspondance avec une petite partie circulaire du champ de vision, appelé champ récepteur, impliquant plusieurs photorécepteurs. Une cellule ganglionnaire ne réagit que si les informations reçues de la part des photorécepteurs révèlent des disparités entre le centre et le pourtour du champ récepteur ; ces différences sont appelées contrastes. Trois types de cellules ganglionnaires transmettent simultanément, par trois voies nerveuses distinctes, des signaux relatifs au contraste lumineux (ou contraste de clarté) et à deux contrastes chromatiques (rouge-vert et bleu-jaune). Ainsi est-il essentiel de retenir que la couleur ne résulte pas d’un codage absolu mais d’un codage relatif.

Trois paramètres pour caractériser une couleur : teinte-saturation-clarté

La couleur étant une sensation physiologique, en décrire les caractéristiques est une tâche très délicate. La caractérisation mérite à elle seule un article qui lui sera dédié ultérieurement. En deux mots (ou plutôt trois !), voici comment sont définis  les trois paramètres utilisés le plus souvent. La teinte distingue les sensations colorées (rouge, vert, jaune, bleu, etc.). La saturation exprime le degré de pureté d’une couleur : plus une couleur est vive et intense, plus elle est saturée ; la désaturation complète donne du gris. La clarté caractérise l’intensité lumineuse relative perçue ; elle est souvent représentée sur une échelle de 0 (noir) à 100 (blanc).

L’incontournable trilogie lumière–objet–observateur

Trois éléments entrent en jeu dans la perception de la couleur d’un objet : la source de lumière, l’objet et l’observateur (son œil et son cerveau) (Fig. 2). Un objet éclairé en lumière blanche nous apparaît coloré si certaines longueurs d’onde de la lumière incidente ne sont plus présentes dans la lumière qu’il réfléchit s’il est opaque, ou qu’il transmet s’il est partiellement transparent. C’est le cas, par exemple, d’un objet (ou d’un liquide) qui contient des composés (colorants ou pigments) absorbant la lumière dans un certain domaine de longueurs d’onde. Cependant d’autres phénomènes que l’absorption de la lumière peuvent intervenir : la diffusion de la lumière, la diffraction et les interférences renforcent l’intensité lumineuse à certaines longueurs d’onde et l’atténuent à d’autres.2

Fig. 2. Le trio source de lumière, objet et observateur (œil + cerveau). Si l’objet est opaque (ex. : citron), il ne réfléchit la lumière qu’aux longueurs d’onde qu’il n’absorbe pas. S’il est partiellement transparent (ex. : vin), la lumière n’est transmise qu’aux longueurs d’onde auxquelles elle n’est pas absorbée. © Bernard Valeur

En conclusion,

1) Pas de couleur sans lumière, ce que des hommes éminents ont élégamment évoqué, chacun à leur manière :« Les couleurs sont des actions de la lumière » (Goethe) ; « Les couleurs sont les filles de la lumière » (J. Itten) ; « La couleur est la gloire de la lumière » (J. Guitton).

2) Pas de couleur sans matière : les couleurs résultent de l’interaction des ondes lumineuses avec les objets, quand ce n’est pas la matière elle-même qui se fait source de lumières colorées. En d’autres termes, les couleurs naissent du dialogue entre la lumière et la matière.

3) Pas de couleur sans neurones : les photorécepteurs de la rétine envoient des signaux qui, prétraités par les neurones rétiniens, parviennent au cortex visuel. Le cerveau construit alors une image mentale en couleurs à partir de ces signaux.

Références et notes

1Voir le billet du 12.10.2018.« Pourquoi la perception des couleurs n’est-elle pas parfaitement identique pour chacun de nous ? »

2B. Valeur, La couleur dans tous ses éclats, Belin (2011) ; Une belle histoire de la lumière et des couleurs, Flammarion (2016) ; Lumière et luminescence. Ces phénomènes lumineux qui nous entourent, Belin (2005, 2eéd. 2017).

3Les couleurs primaires doivent être choisies de telle façon qu’aucune d’elle ne puisse être obtenue par combinaison des deux autres.

4Ce nom vient du fait que les pigments mélangés soustraient conjointement de la lumière blanche les longueurs d’onde que chacun absorbe. On perçoit donc uniquement celles qui ne sont absorbées par aucun d’eux.

5En réalité, on n’obtient pas du noir mais du gris car le trio de pigments ou de colorants primaires n’absorbe pas parfaitement la lumière sur toute l’étendue du spectre visible. Outre la question du coût, c’est la raison pour laquelle une imprimante couleur possède une cartouche d’encre noire en plus des cartouches cyan, magenta et jaune (dans les modèles les plus simples).

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