Questions de goûts et de couleurs : le chocolat
Chacun sait que le chocolat se décline principalement en trois catégories : noir, au lait, et blanc, dont les couleurs sont en fait respectivement marron foncé, marron clair et ivoire (Fig. 1). Peut-être connaissez-vous également les chocolats blonds naturels. Mais savez-vous qu’il existe aussi des chocolats roses entièrement naturels, c’est-à-dire sans colorant, ni arôme ajouté ? Et avez-vous déjà vu des chocolats de couleur bleue, orange, etc., grâce à des colorants, cette fois. Alors ajoutez le plaisir des yeux à celui du palais, et surprenez vos amis en leur offrant des chocolats aux couleurs insolites.

Fig. 1. Les cinq types de chocolats aux couleurs naturelles (sans colorant ajouté). © Bernard Valeur
Du fruit du cacaoyer au chocolat : un chemin de couleurs
Le chemin de couleurs qui mène au chocolat commence avec les fruits du cacaoyer dont la couleur dépend de la variété : les cabosses rougeâtres deviennent orange à maturité, et les vertes, jaunes.1 Après récolte, les graines de cacao (les fèves) sont extraites des cabosses. Elles sont entourées d’une pulpe blanche (mucilage). À l’intérieur, l’amande a des couleurs variées : du blanc au violet foncé selon les variétés. Elle est enveloppée d’un tégument de couleur rose ou rouge pâle. Toutes ces couleurs sont essentiellement dues à des pigments de la famille des flavonoïdes.2 Les fèves contiennent en outre des lipides (50 %) (la matière grasse constitutive du beurre de cacao), ainsi que des substances de réserve pour la germination et la croissance (sucres complexes et protéines).
Après fermentation de la partie mucilagineuse, les fèves sont séchées et deviennent alors prêtes à être expédiées vers les entreprises qui les transforment pour produire du beurre de cacao, de la poudre de cacao, et du chocolat. Au cours des transformations successives, les matières colorantes initialement présentes dans les fèves sont plus ou moins altérées. Ainsi, la couleur de la poudre de cacao dépend de la variété des fèves et des divers traitements, tandis que le beurre de cacao est presqu’incolore.
Enfin, le chocolat est fabriqué en mélangeant du beurre de cacao, du sucre, ainsi que de la poudre de cacao mais pas toujours : par exemple les chocolats blanc et blond n’en contiennent pas. Du lait est en outre ajouté au cours de la fabrication (sauf dans le cas du chocolat noir). Finalement, il existe cinq types de chocolats dont les couleurs sont naturelles (Fig. 1), c’est-à-dire sans ajout de colorant : noir, au lait, blanc, blond, rose.
Poudre et beurre de cacao : des couleurs radicalement différentes
La torréfaction des fèves de cacao – effectuée de façon analogue à celle des grains de café – à une température de 110-140 °C pendant une trentaine de minutes provoque un brunissement. Les deux causes principales de ce brunissement non-enzymatique sont, d’une part, les réactions de Maillard qui permettent le développement des arômes de cacao, et d’autre part, le processus de caramélisation. Sous le nom de réactions de Maillard se cache un ensemble complexe de réactions chimiques impliquant des sucres et les acides aminés constitutifs des protéines. Ces réactions conduisent à des substances aromatiques de couleur brune à l’origine de la modification du goût, de l’odeur et de l’aspect visuel des aliments d’une façon générale. Quant à la caramélisation, elle n’implique que des sucres et de l’eau (contrairement à la réaction de Maillard). Elle produit des substances colorées brunes (par exemple l’hydroxyméthylfurfural) et dégage une odeur de caramel.
Le broyage des fèves torréfiées conduit à une « masse » ou pâte de cacao : c’est la matière première d’où l’on extrait par pressage à chaud,3 d’une part, la matière grasse dénommée beurre de cacao, dont la couleur est ivoire, et d’autre part, la matière sèche qui, broyée et finement pulvérisée, constitue la poudre de cacao de couleur généralement marron (Fig. 2) mais, comme expliqué ci-dessus, avec diverses nuances, tirant parfois sur le rouge.

Fig. 2. Beurre de cacao (à gauche) et poudre de cacao (à droite). Crédits : David Monniaux/ Wikimedia commons - Thecakeschool/Wikimedia commons
Les chocolats « classiques »
Le chocolat, à proprement parler, est le chocolat noir (ou chocolat amer), dont la couleur marron foncé figure dans les nuanciers.4 Il est préparé en mélangeant de la pâte de cacao, du beurre de cacao et du sucre, en proportions variables. Pour justifier son appellation, il doit contenir au minimum 35 % de cacao (poudre + beurre de cacao). D’autres ingrédients peuvent être ajoutés, comme la vanille ou d’autres épices, ainsi que des graisses végétales.
L’ajout de lait en poudre ou de lait concentré au cours de la fabrication conduit au chocolat au lait de couleur marron plus ou moins clair. Il doit contenir au minimum 25 % de cacao selon les règlementations européennes et suisse (10 % aux USA).
Enfin, le chocolat blanc, de couleur ivoire, est obtenu à partir du beurre de cacao en le faisant fondre avec de la poudre de lait, du sucre et éventuellement des épices (vanille, cannelle, par exemple). Il doit contenir au moins 20 % de beurre de cacao.
Le chocolat blond : né d’un oubli !
Un jour de printemps 2004, un chocolatier et pâtissier français, Frédéric Bau, préparait la démonstration d’une recette pour des pâtissiers venus de divers pays. Ayant mis au bain marie du chocolat blanc, il en préleva une partie pour sa recette mais oublia le reste. Une dizaine d’heures plus tard, il s’aperçut que le chocolat blanc s’était transformé en un délicieux chocolat blond avec une odeur de sablé grillé et de lait caramélisé.
La production à grande échelle s’avérait cependant difficilement envisageable. Mais après huit ans de mise au point, la célèbre maison Valrhona pouvait enfin présenter en 2012, au Salon du chocolat, ce quatrième type de chocolat, le chocolat blond, baptisé Dulcey,5 pour le plus grand plaisir des chocolatiers, des pâtissiers et des gourmets (Fig. 1).
Pour faire simple, le chocolat blond est un chocolat blanc caramélisé. Il présente donc des notes de caramel et de confiture de lait,5 et il est légèrement biscuité. C’est la caramélisation et la réaction de Maillard qui lui confèrent sa couleur blonde. Ce chocolat est moins sucré que le chocolat blanc puisque les sucres réagissent avec les protéines lors de la réaction de Maillard.
Le chocolat rose : naturellement coloré
Plus récent que le chocolat blond, le chocolat rose a été présenté pour la première fois en septembre 2017 par le fabricant Barry Callebaut sous le nom de chocolat ruby. Il est en effet issu de fèves de cacao spécifiques, les fèves ruby (ou rubis), importées principalement de Côte d’Ivoire, du Brésil et d’Équateur. Préserver la couleur entièrement naturelle de ces fèves dans le chocolat n’est pas une mince affaire, mais désormais, nombre de chocolatiers mettent fièrement le chocolat rose à la portée de tous les gourmets (Fig. 3), sans dévoiler leur recette, bien sûr !
Cette couleur naturelle a de quoi séduire les consommateurs. Quant au goût, il est fruité avec des notes de baies rouge.

Fig. 3. Le chocolat Ruby est naturellement rose. DR
Et bien d’autres couleurs… artificielles
Le chocolat bleu d’Angers
Appelés Quernons d’Ardoise, ces carrés de chocolat évoquent par leur couleur bleue les toits d’ardoise de la région d’Angers. Du chocolat bleu entoure une nougatine caramélisée. D’où vient sa couleur ? En absence de réponse du producteur à notre question, on peut supposer qu’un colorant alimentaire bleu est ajouté à du beurre de cacao fondu, ou du chocolat blanc fondu. Le colorant pourrait être du Bleu brillant FCF (E133), un colorant synthétique couramment utilisé en confiserie ; il est également responsable de la couleur bleue du curaçao … ainsi que de certains vins dits bleus6.
Le chocolat orange
Il existe des tablettes de chocolat orange préparé comme le chocolat blanc mais en ajoutant des arômes naturels d’orange et de vanille, et un colorant : par exemple le colorant naturel E160e de la famille des caroténoïdes, ou tout simplement un extrait de paprika (Fig. 4).

Fig. 4. Chocolat orange, coloré à l’aide d’un extrait de paprika et aromatisé à l’orange. DR
Enfin, sachez que vous pouvez préparer vous-même un chocolat de la couleur de votre choix en ajoutant un colorant alimentaire (en poudre ou préférablement à base d’huile) à du chocolat blanc fondu.7 De quoi épater et régaler vos amis !
Références et notes
1M. Barel, Du cacao au chocolat - L’épopée d’une gourmandise, éditions Quæ, 2016.
2Voir la description des flavonoïdes dans le billet du 27.02.2019.
3« Comment le beurre de cacao et la poudre de cacao sont-ils obtenus ? ». Article consultable ici.
4Chocolat est un nom de couleur en usage dans la mode, la décoration, la peinture, les encres, etc. Dans le nuancier RAL, l’un des plus utilisés, cette couleur apparaît de la façon suivante : RAL 8017 brun chocolat.
5Les ingrédients du chocolat Dulcey sont les suivants : beurre de cacao, sucre, lait entier en poudre, lait écrémé en poudre, lactosérum, beurre, émulsifiant (lécithine de soja), extrait naturel de vanille. Le nom de Dulcey vient de Dulche de leche qui signifie « confiture de lait » en espagnol. Elle s’obtient en faisant cuire un mélange de lait et de sucre à feu très doux. On y ajoute en général de la vanille.
6« Le vin bleu : prouesse ou supercherie ? » Billet du 13.07.2019.
7« Comment colorer du chocolat ». wikiHow