Rouge rubis : une couleur pas comme les autres

Le mot « rubis » évoque d’emblée une éclatante couleur rouge, celle de la pierre précieuse bien sûr, mais il qualifie également un pigment pour la peinture, un rouge à lèvres, la robe d’un vin rouge… L’appellation « Rouge rubis » a sa place dans divers nuanciers, notamment pour la peinture (RAL par exemple), les cosmétiques, etc. Mais qu’en est-il de la couleur réelle des rubis ? Ces gemmes, qui sont en fait rarement d’un rouge profond et vif, présentent souvent des nuances de pourpre et de rose. D’où viennent ces nuances ? En outre, les rubis étant fluorescents, quel rôle leur fluorescence joue-t-elle dans la couleur perçue ?

Fig. 1. Ces rubis de diverses origines présentent des nuances variables de teintes tirant plus ou moins vers le pourpre. Crédits (de gauche à droite) : greyloch/flickr/Creative Commons, Tim Evanson/Wikimedia Commons, Tim Evanson/Wikimedia Commons.

Comment les cristaux de rubis absorbent-il la lumière ?

Plus rare que le diamant, le rubis figure parmi les gemmes les plus chères. Lorsque ces dernières sont colorées, elles le doivent le plus souvent à la présence d’impuretés métalliques.1 Dans le cas du rubis, il s’agit principalement de chrome qui remplace occasionnellement l’aluminium au sein de la matrice de corindon (oxyde d’aluminium), elle-même incolore à l’état pur.

La couleur rouge vif pourrait résulter de l’absorption par les cristaux de la totalité de la lumière blanche sauf le rouge. Le rubis absorbe effectivement peu dans le rouge (au-delà de 600 nm) mais pas seulement. L’absorption est également faible entre deux bandes situées dans le bleu et le vert (centrées respectivement à 408 et 558 nanomètres (nm)). Entre ces deux bandes, la lumière transmise est de couleur cyan, comme le montre le spectre de transmission (Fig. 2). Sur la rétine de l’œil, la superposition des longueurs d’onde correspondant aux couleurs rouge et cyan induit une sensation de rouge tirant vers le pourpre (mélange de rouge et de bleu) (Fig. 1). Mais pourquoi le rouge de certains rubis apparaît-il plus ou moins profond et vif ?

Fig. 2. Le spectre de transmission du rubis révèle une transmission importante dans le rouge (au-delà de 600 nm) et dans une moindre mesure, à des longueurs d’onde autour de 480 nm correspondant à la couleur cyan, ce qui par superposition devrait conduire à une sensation de couleur rouge tirant sur le pourpre, et non rouge vif. Adaptation d’une figure de la référence 3.

La fluorescence donne au rubis son éclat

Le rubis est fluorescent : il émet une lumière rouge s’il est éclairé par une lumière blanche. 3 Plus précisément, une illumination de cristaux de rubis à toute longueur d’onde du spectre d’absorption, jusqu’à environ 650 nm provoque une émission de fluorescence constituée de bande fines qui sont situées dans le rouge entre 670 et 710 nm et dont l’intensité varie selon la longueur d’onde à laquelle les cristaux sont illuminés (Fig. 3). Ainsi, lors d’une illumination en lumière blanche, l’absorption à toutes les longueurs d’onde constitutives de celle-ci contribue à produire une fluorescence rouge, et c’est là le secret de la couleur rouge vif. En outre, une excitation vers 400 nm induit une fluorescence centrée à 465 nm, c’est-à-dire de couleur bleu-cyan. Cette bande contribue donc à faire tendre la teinte rouge vers le pourpre.

Fig. 3. Le spectre d’émission du rubis à diverses longueurs d’onde d’excitation est essentiellement constitué de bandes fines situées dans le rouge (entre 670 et 710 nm) quelle que soit la longueur d’onde d’excitation. Lorsque la longueur d’onde d’excitation est 408 nm (centre de la bande d’absorption), une émission supplémentaire est observée autour de 465 nm. La contribution de celle-ci à la fluorescence globale est cependant faible lorsque les cristaux sont éclairés en lumière blanche. Adaptation d’une figure de la référence 4.

Dans la sensation de couleur, les phénomènes d’absorption et de fluorescence interviennent conjointement : les longueurs d’onde de la lumière blanche dans le rouge et le cyan étant peu absorbées, elles sont renvoyées par les cristaux et se superposent sur la rétine à celles de l’émission rouge, et dans une moindre mesure celles de l’émission bleu-cyan. D’où la sensation globale d’une couleur rouge très lumineuse tirant plus ou moins vers le pourpre. Cette superposition est le principe même des « couleurs fluos ».2,5

Pour visualiser seulement la fluorescence, il suffit d’éclairer les cristaux avec une lampe UV puisque nos yeux sont insensibles aux UV que l’objet renvoie partiellement (la fraction qui n’est pas absorbée) (Fig. 4).

Fig. 4. Cristaux de rubis naturels (A) et synthétiques (B) en lumière blanche (en haut) et sous une lampe UV (en bas). Source : A. juwelo.fr, B. Bernard Valeur.

Rubis naturels versus rubis artificiels

Il est possible de produire en laboratoire des rubis6 qui ont une composition chimique et des propriétés physiques voisines de celles des rubis naturels. Ils sont évidemment moins onéreux que ces derniers. Certains croient que les rubis synthétiques sont fluorescents tandis que les naturels ne le sont pas, et d’autres pensent le contraire. Qu’en est-il exactement ?

En fait, tous les rubis sont fluorescents puisque, naturels ou artificiels, ils ont des compositions chimiques semblables.7 De petites variations de composition induisent naturellement de légères différences de fluorescence entre les cristaux naturels et synthétiques, et même entre les rubis naturels de différentes origines. En règle générale, les rubis synthétiques sont plus fluorescents que la plupart des rubis naturels.

La « robe rubis » des vins rouges

Il est fréquent de parler de robe rubis pour caractériser certains vins rouges. C’est d’autant plus justifié qu’un vin rouge éclairé en lumière blanche transmet bien la lumière rouge et partiellement la lumière autour de 480 nm (couleur cyan),8 de façon tout-à-fait analogue aux cristaux de rubis. Cette transmission partielle est variable selon le cépage, le terroir, le millésime, etc., ce qui explique les nuances de teintes tirant plus ou moins vers le pourpre. 8

La métaphore « payer rubis sur l’ongle » pour dire que l’on paye comptant toute la somme due est bien connue, mais saviez-vous que cette expression est liée au vin :  « Faire rubis sur l'ongle » signifie en effet vider son verre jusqu'à la dernière goutte, de sorte que celle-ci puisse tenir sur l'ongle sans s'écouler.9

Notons que le rubis n’est pas la seule gemme dont la couleur sert à caractériser la robe d’un vin. On parle également de robe grenat. Les grenats constituent toute une famille de silicates possédant diverses couleurs : rouge mais aussi orange, jaune, brun, vert… Ceux dont la teinte est proche de celle de certains vins rouges sont le pyrope (rouge vif tirant sur le brun) et l’almandin (rouge à rouge foncé avec des nuances violacées ou brunes).

Et les « verres rubis » ?

On parle de verres rubis lorsque la couleur rouge du verre provient de l’inclusion de nanoparticules métalliques (or, cuivre). Les exemples sont nombreux : coupe de Lycurgue, verres produits par les cristalleries, flacons de parfum contemporains, etc. Le prochain billet sera dédié à ces verres qui relèvent des nanosciences.

Références et notes

1Les impuretés métalliques sont sous forme d’ions au sein d’une matrice. L'absorption, donc la couleur observée, dépend non seulement des caractéristiques de l'ion (nature chimique, charge), mais aussi de son environnement microscopique : nature et nombre d'atomes liés (coordinence), intensité du champ cristallin. C'est pourquoi un même ion produit des couleurs différentes. L'ion chrome Cr3+ est par exemple responsable de la couleur rouge des rubis et des grenats, mais aussi et de la couleur verte de l'émeraude et de l'alexandrite. Pour plus de détails, voir la référence 2.

2B. Valeur, Lumière et luminescence, Belin, 2017 (2e éd.).

3Cette propriété de fluorescence est mise à profit dans le laser à rubis, le tout premier laser opérationnel, mis au point en 1960 par Theodore Mainman. Voir l’article : Laser à rubis, Wikipedia.

4H. H. Kusuma et al., Absorption and emission properties of ruby (Cr:Al2O3) single crystal, Journal of Physics Conference Series1170(1):012054. DOI:10.1088/1742-6596/1170/1/012054

5Voir le billet du 17.11.2018 : Du gilet jaune aux baskets flashy : le fluo, c’est le filon !

6Le procédé le plus courant de fabrication des rubis synthétiques est la fusion de flamme : la matière première brute est fondue puis cristallise lors du refroidissement en quelques heures. Les cristaux obtenus sont d’une qualité modeste et leur application se limite à des bijoux et décorations bon marché. Une autre méthode, la croissance du flux, est fondée sur un principe analogue mais requiert plusieurs mois pour produire des cristaux. Ces derniers sont de bien meilleure qualité et ressemblent davantage aux cristaux naturels.

7Do natural rubies fluoresce ? gemsociety.org

8Voir le billet du 01.11.2021 : Couleur & vin. 5. La robe des vins rouges

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