Sait-on comment les animaux voient en couleurs ?

Que d’idées circulent sur la façon dont les animaux voient en couleurs ! Les chats et les chiens ne verraient pas en couleurs, les taureaux seraient excités par la couleur rouge, etc. Il n’en est rien ! Avec des expériences judicieuses, on sait tester dans certains cas la réaction des animaux aux couleurs qu’on leur présente. Il est en outre possible d’extraire les photorécepteurs de leur organe visuel et ainsi d’en recenser les types et de cerner les domaines de longueurs d’onde dans lesquels ils sont sensibles. Il est toutefois difficile d’avoir une idée précise de leur vision colorée, car la couleur est une sensation que procure le cerveau ; or, c’est avec notre cerveau et non avec le leur que nous évaluons la fonction visuelle des animaux. Ils n’ont pas la parole pour nous dire ce qu’ils voient ! La plus grande prudence s’impose donc.

Fig. 1. Les chats sont dichromates. Ils voient en couleurs sauf dans le domaine que nous, les humains, qualifions de rouge. © Bernard Valeur

Deux types de photorécepteurs au moins pour voir en couleurs

Un seul type de photorécepteur ne donne une information que sur l’intensité lumineuse globale dans le domaine de longueurs d’onde où il est sensible. Pour voir en couleurs, il faut donc au moins un deuxième type de photorécepteur produisant, à chaque longueur d’onde, un signal d’amplitude différente de celui du premier. C’est en comparant les deux signaux produits par les deux types de photorécepteurs que le cerveau génère une sensation différente à chaque longueur d’onde, sensation dite colorée. En effet, le rapport de ces signaux dépend de la longueur d’onde sans dépendre de l’intensité lumineuse.

Les vertébrés : di-, tri- ou tétrachromates1-3

Il est très probable que l’ancêtre commun à tous les vertébrés avait une vision tétrachromatique : sa rétine possédait quatre types de cône, photorécepteurs responsables de la vision colorée. Par la suite, les yeux ont évolué différemment selon les animaux compte tenu de leur mode de vie (diurne ou nocturne) et du milieu (terrestre, aquatique ou aérien) dans lequel ils vivent.

Ainsi, les oiseaux, de même que certains poissons osseux (téléostéens), possèdent quatre types de cône, comme à l’origine, et sont donc tétrachromates. En revanche, la plupart des mammifères ont perdu deux types de cônes et sont donc devenus dichromates. C’est pourquoi les chiens et les chats en particulier (Fig. 1) sont dichromates et ne possèdent pas de cônes sensibles dans le rouge. Il en est de même des taureaux : ce sont les mouvements qui les excitent et non pas la couleur rouge !

Concernant les grands primates, un mécanisme génétique a provoqué, il y a environ quarante millions d’années, le dédoublement du type de cône sensible aux longueurs d’onde moyennes. Ils sont devenus trichromates. Capables alors de voir le rouge et donc de le distinguer du vert, ils savaient choisir les fruits mûrs, qui sont rouges, et laisser de côté les fruits non encore mûrs, qui sont verts. Un avantage certain pour la survie de l’espèce, sur fond de sélection naturelle…

Faisant partie des primates, nous les humains sommes trichromates : notre rétine possède trois types de cône dénommés S, M, L. Les cônes M et L issus du dédoublement mentionné ci-dessus ont des maxima peu distants : à 530 et 560 nanomètres, correspondant respectivement au vert et au jaune-vert avec toutefois, pour le cône L, une sensibilité qui se prolonge jusque dans le rouge.

Notre vision colorée s’étend de 400 à 700 nanomètres environ (Fig. 2), tandis que celle des oiseaux se prolonge dans l’UV. En outre, contrairement au cas des mammifères, on a montré chez les oiseaux la présence de gouttelettes d’huile colorées par des pigments caroténoïdes qui jouent le rôle de filtres. Les domaines de sensibilité des photorécepteurs sont ainsi rendus plus étroits et le chevauchement entre ces domaines est réduit, ce qui augmente le nombre de couleurs discernables.La figure 2 en donne une illustration avec le pigeon. Son domaine de vision s’étend de 300 à 700 nanomètres (Fig. 2). Ce banal volatile voit donc en couleurs bien mieux que nous !

Fig. 2. Sensibilités spectrales relatives des cônes de l’être humain (trichromate) et du pigeon (tétrachromate). © Bernard Valeur

Les invertébrés : tri- ou tétrachromates1

La plupart des invertébrés sont trichromates ou tétrachromates, avec souvent un photorécepteur sensible dans l’UV. Par exemple, l’abeille est trichromate : ses yeux sont sensibles aux longueurs d’ondes s’étendant de l’ultraviolet au jaune, mais pas au-delà (Fig. 3). L’abeille n’est donc pas sensible aux longueurs d’onde correspondant au rouge et si elle est attirée par les coquelicots, c’est parce que ces fleurs réfléchissent les UV qu’elles perçoivent.

Fig. 3. Sensibilités spectrales relatives des photorécepteurs de l’abeille. (Crédit photo : USG Bee Inventory and Monitoring Lab / Wikimedia commons).  © Bernard Valeur

Certaines libellules, mouches et papillons possèdent cinq types de photorécepteurs, mais leur vision n’est pas pour autant pentachromatique. Aucun animal n’est en effet connu pour utiliser plus de quatre types de photorécepteurs en même temps. Les papillons machaons, quant à eux, possèdent huit types de photorécepteurs mais en fait, ils sont tétrachromates lorsqu’ils prospectent des fleurs pour se nourrir, tandis que la femelle est dichromate lorsqu’elle cherche une plante pour déposer ses œufs.

Quel que soit le nombre de types de photorécepteur que possède l’organe visuel d’un animal, et quelle que soit la façon dont les informations issues des photorécepteurs sont traitées par le cerveau, une question vient naturellement à l’esprit : à quoi cela sert-il à un animal de voir en couleurs ? Vaste question qui méritera une attention particulière.

Références

1B. Valeur, É. Bardez, La lumière et la vie. Une subtile alchimie, Belin (2016), chap. 3.

2G. Jacobs, J. Nathans, « L’évolution de la vision des couleurs chez les primates », Pour la Science, n° 389 (Mars 2010), pp. 34-41.

3T. Goldsmith, « Ce que voient les oiseaux », Pour la Science, n° 354 (Avril 2007), pp. 68-73.


3 commentaires pour “Sait-on comment les animaux voient en couleurs ?”

  1. Jean-LuK Répondre | Permalink

    J'ai lu que certains oiseaux verraient jusqu'à cinq couleurs, dont les pigeons ?
    Le plus intéressant étant d'imaginer ce que peuvent être ces visions à quatre ou cinq couleurs, si on les compare à la transition entre deux et trois couleurs, la richesse des combinaisons est impressionnante. En y rajoutant une couleur, la palette devient extraordinairement riche, tous les oiseaux possèdent-ils l'intellect pour les employer… a priori, oui.

    • Bernard Valeur Répondre | Permalink

      Merci de votre commentaire. Il est exact que certains oiseaux possèdent cinq types de cône (il faut éviter de dire qu’ils voient cinq couleurs) mais la grande majorité des oiseaux en possède quatre. Le nombre de types de cône n’est pas le seul facteur régissant le nombre de couleurs discernables. Quoi qu’il en soit, la palette des couleurs que les oiseaux distinguent est certainement très riche. Toutefois, nous ne savons pas comment leur cerveau traite les informations qui parviennent des divers types de cônes. Nous ne saurons donc jamais quelles sont réellement leurs sensations colorées, d’autant que, contrairement à nous, ils voient dans l’UV.
      Pour en savoir plus sur la vision colorée des oiseaux, je vous invite à consulter l’article de T. Smith dans le numéro n° 354 (avril 2007) de Pour la Science (pp. 68-73).

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