Voir les virus attaquer en temps réel grâce à un biocapteur à code couleur

Comprendre la manière dont les virus attaquent les cellules hôtes dans lesquelles ils se répliquent est essentiel pour la mise au point de médicaments antiviraux. En particulier, il est crucial de différencier les processus normaux de l’hôte et les processus viraux. C’est la prouesse qu’accomplit à l’intérieur d’une cellule, en temps réel, le biocapteur mis au point par des chercheurs de l’université d’État du Colorado1 : grâce à des marqueurs fluorescents, le capteur « s’allume » en différentes couleurs selon les phénomènes qui se produisent (Fig. 1). Il révèle à un niveau de détail sans précédent comment les virus opèrent.

Fig. 1. Cliché de microscopie de fluorescence montrant les biocapteurs qui « s’allument » en différentes couleurs grâce des marqueurs fluorescents. Le code couleur est précisé sur la figure 3. Crédit : B. Munsky, T. J. Stasevich. Source : biorxiv.org. CC-BY-ND 4.0 International license (avec l’aimable autorisation de Tim Stasevich)

Quand les virus attaquent

Les virus se présentent sous diverses formes et tailles ; ils attaquent les humains et les animaux selon des mécanismes sensiblement variables. Les virus ont toutefois un point commun : ils ne peuvent se répliquer qu’à l'intérieur des cellules d'un autre organisme, leur hôte, car ils sont incapables de se répliquer eux-mêmes. Comment font-ils ? Ils détournent le mécanisme de réplication se produisant dans les cellules hôtes en faisant fonctionner à leur profit les machines cellulaires de ces dernières, c’est-à-dire les ribosomes dont le rôle est de fabriquer des protéines à partir du matériel génétique que constitue l'ARN messager2. De nombreux génomes viraux contiennent des structures d'ARN spéciales appelées « sites internes d’entrée de ribosome » ou IRES (Internal Ribosome Entry Sites), qui forcent les ribosomes de l'hôte à fabriquer des protéines virales.

Le code couleur du biocapteur

Le biocapteur mis au point par les chercheurs de l’Université du Colorado est constitué tout d’abord d’un fragment de l’ARN de l’hôte, lié à un fragment de l’ARN du virus de l’encéphalomyocardite (EMCV), bien connu pour infecter divers mammifères. Ce fragment viral comporte un IRES lui permettant de s’insérer dans les ribosomes de l’hôte. (Fig. 2).

Fig. 2. L’association d’un fragment d’ARN de l’hôte et d’un fragment d’ARN viral constitue la base du biocapteur. L’IRES (site interne d’entrée de ribosome) du fragment viral rend possible l’interaction avec un ribosome de l’hôte. Seule la traduction normale de l’ARN de l’hôte est représentée ici.

En outre, des marqueurs fluorescents spécifiques émettant dans le vert, le bleu et le rouge sont présents et susceptibles de se fixer sur le biocapteur pour révéler son état. Voyons comment. Le biocapteur fait fonctionner les ribosomes de l’hôte de deux façons : lorsque la traduction3 normale de l’ARN de l'hôte a lieu, le marqueur émettant dans le vert se fixe sur la chaîne protéique en croissance, mais lors de la traduction de l’ARN du virus, c’est un autre marqueur émettant dans le bleu qui se fixe sur cette autre chaîne protéique en croissance (Fig. 3). Le marqueur qui fluoresce dans le rouge se fixe toujours sur le biocapteur qui est ainsi repérable en l’absence de toute traduction de l’ARN.

Les biocapteurs sont observés sous un microscope à fluorescence4 dont la résolution permet de distinguer les biocapteurs présents dans une même cellule, mais pas les marqueurs fluorescents au sein d’un biocapteur donné. Les biocapteurs sont donc perçus globalement de différentes couleurs selon les règles de la synthèse additive des couleurs5 à l’instar des sous-pixels rouge-vert-bleu d’un pixel d’écran couleur. Un biocapteur apparaît donc soit jaune (émission dans le rouge et le vert), soit magenta (émission dans le rouge et le bleu), soit blanc-gris (émission dans le rouge, le vert et le bleu), soit simplement rouge en l’absence de traduction (Fig. 3).

Fig. 3. Des marqueurs fluorescents émettant dans le rouge, le vert, ou le bleu se fixent sur les biocapteurs qui apparaissent dans le microscope avec une couleur rouge, jaune, magenta ou blanc-gris selon les cas. Ces couleurs perçues obéissent aux règles de la synthèse additive des couleurs. I. Absence de traduction de l’ARN : émission dans le rouge. II. Traduction normale : émission simultanée dans le vert et le rouge (sensation de jaune). III. Traduction via l’IRES (site interne d’entrée de ribosome) du virus : émission simultanée dans le bleu et le rouge (sensation de magenta). IV. Traduction normale conjointement à la traduction initiée par l’IRES du virus : émission simultanée dans le bleu, le vert et le rouge (sensation de blanc-gris). Adaptation de schémas de l’article cité dans la réf. 1.

Puisque la microscopie à fluorescence5 permet de discerner les divers biocapteurs d’une cellule (Fig. 1), il est possible de suivre les trajectoires de ces derniers en temps réel. Grâce à ce suivi et à la modélisation informatique, les chercheurs ont comparé la cinétique de la traduction normale de l’ARN de l’hôte et celle de la traduction initiée par l’IRES du virus dans des cellules humaines vivantes. Ils ont ainsi montré que les traductions via l'IRES sont plus rares et se produisent en des temps plus courts que les traductions normales de l’hôte. Toutefois, la situation s’inverse en cas de stress cellulaire, c’est-à-dire lorsque les cellules sont attaquées par un virus.  L’ensemble des données est compatible avec un modèle de régulation de la traduction qui est principalement déterminée par des transitions entre états actifs et inactifs de l'ARN vis-à-vis de la traduction.

Et la Covid-19 dans tout ça ?

Les chercheurs ont évidemment en ligne de mire la Covid-19. Le coronavirus qui en est responsable, le SARS-CoV-2, ne possède pas d’IRES. Qu’à cela ne tienne, répondent les chercheurs ! Le biocapteur est modulaire et il est possible d’y intégrer des éléments du SARS-CoV-2 afin d’ élucider comment il détourne de manière unique la machinerie de réplication de l'hôte pendant l'infection. On attend avec impatience les résultats d’une telle investigation qui pourrait contribuer à la conception d’un médicament tant attendu.

En conclusion, ce type de biocapteur constitue un outil puissant pour comprendre, prédire et contrôler la manière dont les futurs médicaments pourraient agir pour inhiber la traduction virale sans affecter la traduction de l'hôte.

Références et notes

1A. Koch et al., « Quantifying the dynamics of IRES and cap translation with single-molecule resolution in live cells », Nature Structural & Molecular Biology, 2020. https://doi.org/10.1038/s41594-020-0504-7  (publié le 20 sep. 2020)

2L'ARN messager (ARNm) synthétisé dans le noyau d’une cellule est une copie transitoire de l’information génétique contenue dans l’ADN. Il est exporté dans le cytoplasme pour être traduit en protéine. Chaque ARN messager porte les instructions pour produire une seule protéine, ou parfois quelques-unes.

3La traduction est un processus permettant la synthèse d'une chaîne polypeptidique (protéine) à partir d'un brin d'ARN messager2 au sein des ribosomes.

4Voir les notions de base sur la microscopie à fluorescence dans : B. Valeur, Lumière et luminescence. Ces phénomènes lumineux qui nous entourent, Belin, 2017 (2e éd.), pp. 179-182.

5Voir le billet du 13.01.2019 : « Quand naissent les couleurs, la règle de trois s’impose ».

 

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