Surfer vers la vérité

Par Nicolas Gauvrit et Marielle Guillaud

Dessin de Steve Sack (page d'origine)

 

Un test sur l'effet boomerang et la façon dont Internet peut réduire les attitudes anti-vaccinales

Cet article est une traduction en français d'un article à paraître dans Skeptic Magazine numéro 24(3), pages 54-55.

Il est co-écrit avec Marielle Guillaud, qui a réalisé seule les expériences et analyses décrites.

 

Internet est souvent accusé de participer à la prolifération de fausses nouvelles et de croyances irrationnelles. L'accusation n'est pas sans fondement[1]. Les attitudes de méfiance à l'égard des vaccins, par exemple, pourraient être renforcées par la puissance du web[2]. Plus précisément, on s'attend à ce que les internautes tombent dans une série de pièges cognitifs, amplifiés par Internet. Tout d'abord, le fameux biais de confirmation pourrait inciter les utilisateurs à chercher des informations en accord avec leurs idées antérieures, en sélectionnant les requêtes et en choisissant de consulter des sites qui répondent à leurs idées préconçues[3].

Le biais de confirmation pourrait également être renforcé par le fait que nous vivons (sur les réseaux sociaux en particulier) dans des chambres d'écho[4], entourés de gens qui partagent nos croyances, même les plus étranges, et qui ne voient que des sites sélectionnés pour eux par les moteurs de recherche.

Ce n'est pas tout. Dans le cas où nous serions confrontés à un argument contraire à nos opinions (par exemple, si nous recevons des informations sur la fiabilité des vaccins qui contredisent notre rejet de la vaccination... ou l'inverse), nous serions tentés de ne pas l'évaluer de manière honnête et rationnelle, mais de les rejeter, voire de renforcer nos opinions. Cet effet de retour de flamme (ou effet boomerang) rendrait les partisans des vaccins de plus en plus pro-vaccins, et ceux contre la vaccination de plus en plus profondément enracinés dans leur croyance. En fin de compte, chaque groupe deviendrait plus radical, donnant lieu à une opposition de plus en plus extrême, un phénomène appelé polarisation[5].

Tous ces phénomènes sont indéniables, mais sont-ils inévitables ? C'est ce que nous voulions étudier de façon contrôlée, en demandant à des personnes de chercher de l'information sur Internet. Nous nous attendions à trouver les biais habituels, mais nous avons été surpris de découvrir des résultats plutôt rassurants sur l'avenir des croyances irrationnelles et les effets d'Internet, du moins dans certaines conditions.

L'Expérience

Vingt-huit adultes francophones (âge moyen de 40,5 ans) ont participé à l'expérience et validé toutes les étapes requises par le protocole. Les participants étaient plutôt éduqués, avec une moyenne de 3,3 années d'études supérieures.

L'attitude des participants à l'égard des vaccins a été mesurée au moyen d'un questionnaire de 14 items. Chaque item était une affirmation (7 en faveur du vaccin, 7 contre le vaccin) que les participants devaient évaluer sur une échelle de Likert à 6 points allant de « totalement en désaccord » à « totalement d'accord ». Par exemple, l’item 8 (anti-vaccin) correspond à : « Je pense qu’il existe un risque de contracter la maladie que vise un vaccin du fait de ce même vaccin. » L’item 1 (pro-vaccin) : « Je pense que certaines maladies ont disparu ou presque grâce à la vaccination. »

Sept jours plus tard, les sujets ont reçu la consigne de chercher sur Internet, pendant 20 minutes, des informations sur les vaccins, afin de se faire une idée la plus juste possible de leurs avantages ou inconvénients ; l’objectif étant de mieux connaître le sujet pour pouvoir, par exemple, débattre ensuite sur cette question. Pendant les recherches sur Internet, tout ce qui s’est passé sur l’écran a été enregistré pour traitement. Après la séance de recherches sur Internet, les participants ont de nouveau renseigné le questionnaire d’attitude.

Résultats

Conformément à la notion répandue d'un effet délétère d'Internet sur les croyances irrationnelles, nous nous attendions à constater un biais dans le choix des requêtes. Nous pensions que ceux qui étaient le plus en faveur des vaccins auraient tendance à chercher des sources pro-vaccin, tandis que ceux qui étaient contre la vaccination auraient tendance à favoriser les sources anti-vaccin. Cependant, nous ne l'avons pas observé. Au contraire, les gens cherchaient l'information en utilisant des demandes neutres en première ligne. Les requêtes les plus fréquentes étaient « vaccins », « avantages et inconvénients des vaccins », « ce que nous devons savoir sur les vaccins », « vaccins obligatoires » et « définition des vaccins ».

Le biais de confirmation n'apparaît donc pas dans les requêtes. Toutefois, il pourrait apparaître dans le choix des sites à consulter, parmi tous ceux proposés par les moteurs de recherche. Encore une fois, nous n'en avons pas trouvé dans cette sélection. En fait, la plupart des internautes ont choisi des sites neutres ou favorables à la vaccination, indépendamment de leur attitude initiale à l’égard des vaccins, probablement parce qu'ils apparaissent dans les premières pages des moteurs de recherche. Ainsi, les premiers sites consultés sont, dans l'ordre : (1) vaccination-info-service (site du ministère de la santé), (2) Inpes santé publique, (3) site de l’OMS, suivie par les organisations médicales, les sites de diffusion scientifique, les encyclopédies, etc.

Néanmoins, le biais de confirmation pourrait encore se produire plus tard. Il se peut que les personnes les plus favorables aux vaccins passent plus de temps sur des sites pro-vaccins que les gens qui se méfient de la vaccination. Mais une fois de plus, nous n'avons pas observé un tel effet : la corrélation entre l'attitude initiale et le pourcentage de temps passé sur les pages favorables aux vaccins est presque nulle (r = 0,02, p > 0,9) !

Ainsi, les internautes n'ont pas choisi l'information d'une manière biaisée en fonction de leur attitude initiale. Ils n'ont pas non plus passé plus de temps sur des sites qui confirment leurs croyances. Il est vrai qu’ils ont été confrontés à une majorité d'informations favorables à la vaccination. L'effet que l'on peut craindre alors est que les arguments en faveur du vaccin renforcent les attitudes déjà en faveur de la vaccination, mais produisent l'effet inverse (effet retour de flamme) sur les personnes opposées aux vaccins. Ce n'est pas le cas : dans notre échantillon, l'attitude des internautes à l'égard des vaccins s'est améliorée, et cet effet est encore plus marqué chez les antivax que chez les autres !

Le pourcentage de temps passé dans des sites favorables à la vaccination est corrélé au changement d'attitude (r = 0,44, p = 0,02), ce qui indique que les arguments librement recueillis sur Internet par les participants semblent avoir un effet.

Conclusion

Faut-il donc penser qu'Internet réduira (voire éliminera définitivement) les croyances irrationnelles ? Malheureusement, probablement pas. Mais ces résultats sont néanmoins encourageants, parce qu'ils montrent que, sous certaines conditions, les internautes peuvent se faire une idée de plus en plus rationnelle sur un sujet controversé. Les conditions de l'étude sont, à plusieurs égards, particulières :

(1) Les participants étaient des adultes instruits, et il se peut que l'effet bénéfique observé exige une certaine culture de pensée critique et scientifique.

(2) En matière de vaccination, les premiers résultats qui apparaissent dans le moteur de recherche sont conformes au consensus scientifique, du moins en France où l'étude a été réalisée. Pour d'autres sujets, l'effet pourrait être très différent.

(3) Enfin, et c'est probablement le point crucial, les internautes de notre échantillon avaient pour tâche d'essayer d'obtenir les informations les plus précises possibles en matière de vaccins. Ils ont surfé sur le web avec l'idée de découvrir la vérité. Il est tout à fait possible que, la plupart du temps, nous ne lisions pas un site par curiosité, mais simplement par plaisir, et que le biais de confirmation apparaisse alors.

Cette étude suggère fortement que lorsque les idées rationnelles sont plus visibles sur Internet que les « vérités alternatives », les internautes qui recherchent réellement la vérité scientifique l'atteignent. Les préjugés dont nous souffrons tous ne suffisent pas à nous détourner d'une réalité accessible. Il est toujours nécessaire que nous recherchions réellement des informations fiables. À cette fin, il faut espérer qu'une éducation accrue en matière de pensée critique favorisera une génération qui recherchera des connaissances objectives et profitera donc des avantages d'une culture de l'esprit critique. de l'information accessible.

 

REFERENCES

[1] Lazer, D.M., Baum, M. A., Benkler, Y., Berinsky, A. J., Greenhill,K.M., Menczer, F., … & Schudson,M. 2018. The Science of Fake News. Science, 359 (6380), 1094-1096.

[2] Vrdelja, M., Kraigher, A., Vercic, D., & Kropivnik, S. 2018. The Growing Vaccine Hesitancy: Exploring the Influence of the Internet. European Journal of Public Health, 28 (5), 934-939.

[3] Del Vicario, M., Scala, A., Caldarelli, G., Stanley, H. E., & Quattrociocchi, W. 2017. Modeling Confirmation Bias and Polarization. Scientific Reports,7, 40391.

[4] Dubois, E., & Blank, G. 2018. The Echo Chamber Is Overstated: the Moderating Effect of Political Interest and Diverse Media. Information, Communication & Society, 21(5), 729-745.

[5] Tewksbury, D., & Riles, J. M. 2015. Polarization as a Function of Citizen Predispositions and Exposure to News on the Internet. Journal of Broadcasting & Electronic Media, 59 (3), 381-398.

Données disponibles sur ResearchGate, ici

 

Marielle Guillaud dirige une clinique privée à Royan, en Charente-Maritime. Elle est également expert-visiteur pour la Haute Autorité de Santé. Etudiante en 3èmeannée de psychologie à l’IED de l’Université Paris 8, elle a commencé ses recherches au sujet de l’impact du numérique sur les processus cognitifs dans le cadre d’un projet de recherche universitaire.


3 commentaires pour “Surfer vers la vérité”

  1. Priscille Répondre | Permalink

    Merci pour cet article très intéressant, aux conclusions optimistes mais prudentes puisqu'elles font aussi la critique des résultats de l'étude.
    A ce sujet, avez-vous fait l'hypothèse d'un effet Hawthorne, les participants pouvant se faire une idée, même approximative, de ce qu'on attendait d'eux et de ce sur quoi ils seraient évalués?

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