Que dit le classement QS 2022 sur la psychologie dans les universités françaises?
L'institut Quacquarelli Symonds (QS) fait partie de ceux qui produisent des classements mondiaux des universités, sur la base de critères toujours discutables et âprement débattus. Il ne faut évidemment pas prendre ces indicateurs pour argent comptant, et toujours être bien conscient de ce qui est mesuré, de ce que cela reflète, et de ce que cela ne reflète pas.
L'une des originalités du classement QS est de se fonder, non seulement sur les publications scientifiques dans les revues internationales et sur leur impact présumé (les citations qu'elles reçoivent), mais aussi sur la réputation des universités, sondée à la fois auprès d'universitaires du monde entier, et auprès des employeurs des jeunes diplômés.
Une autre originalité de ce classement est de produire, non seulement un classement global des universités, mais aussi un classement par discipline. Examinons donc le classement mondial des universités dans le domaine de la psychologie, et regardons les résultats de la France.
Psychomédia offre un bon résumé du classement mondial, et du classement des universités dans les pays francophones:
On peut bien sûr aussi aller consulter le classement à la source.
1er constat:
Les universités françaises brillent par leur absence du Top 100 en psychologie, alors même que plusieurs d'entre elles y sont présentes dans de nombreuses autres disciplines ainsi que dans le classement global (PSL, Polytechnique, Sorbonne, Paris-Saclay).
2ème constat:
Cette performance en psychologie est d'autant moins glorieuse que d'autres pays francophones bien plus petits que la France font beaucoup mieux. Notamment, la Belgique (6 fois moins d'habitants) place 3 universités dans le Top 100. Aucun universitaire connaissant les départements de psychologie dans ces différentes universités ne sera surpris.
3ème constat:
C'est sans doute le résultat le plus contre-intuitif: les deux universités françaises qui se classent le mieux (entre la 101ème et la 150ème places) sont des universités qui n'ont pas de département de psychologie et ne forment aucun psychologue!
Comment expliquer un tel paradoxe? Examinons les deux universités en question.
Sorbonne Université n'a pas d'UFR de psychologie, mais elle a l'une des plus importantes facultés de médecine de France, incluant donc la psychiatrie, et elle possède l'un des principaux centres de recherches français en neurosciences cognitives et cliniques (l'Institut du Cerveau). Un examen dans la base de données Scopus des publications des 5 dernières années de Sorbonne Université dans la catégorie Psychologie confirme que ces publications sont principalement issues des services de psychiatrie de l'hôpital universitaire Pitié-Salpêtrière, de l'Institut du Cerveau, et secondairement d'un institut de robotique et d'un institut d'épidémiologie. C'est donc par les disciplines connexes à la psychologie que Sorbonne Université parvient à dépasser la production de recherche en psychologie des plus grandes UFR de psychologie françaises.
L'Université PSL n'a pas non plus d'UFR de psychologie. Ses recherches en psychologie se situe principalement au sein du Département d'Etudes Cognitives de l'Ecole Normale Supérieure-PSL, et secondairement dans un laboratoire de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes-PSL, ce que confirme à nouveau l'analyse des publications.
Le fait que ces deux universités sans département de psychologie dominent le classement français ne peut que souligner la faiblesse de la recherche en psychologie dans les universités françaises, déjà évidente dans la comparaison internationale. Il montre aussi les insuffisances de ce classement sur le plan de l'évaluation de la formation des étudiants. Idéalement, on aimerait que ce type de classement évalue les débouchés des étudiants issus des différents départements d'université, et la satisfaction de leurs employeurs. Le sondage de réputation est sans doute un outil très imparfait pour cela. Comment (et auprès de qui) est évaluée la réputation des universités auprès des employeurs dans le domaine de la psychologie (hors recherche)? Comment QS calcule-t-il les indicateurs des universités qui ne produisent pas d'employés en psychologie (hors recherche)? Mystère.
Si l'évaluation de la qualité de la formation en psychologie était bien faite par QS, PSL et Sorbonne sortiraient peut-être du classement. Mais il y a fort à parier que les autres universités françaises ne remonteraient pas pour autant dans le classement international, la qualité moyenne de leur formation n'étant certainement pas plus brillante que celle de leur recherche, pour les raisons que nous allons maintenant examiner.
Explications possibles
Il serait difficile de prétendre expliquer en quelques mots les raisons de la faiblesse de la recherche en psychologie en France, et je n'ai pas toutes les compétences ni les sources historiques qui me permettraient de le faire bien.
Pour brosser l'historique à grands traits, au XIXème et au début du XXème siècles, la France a compté parmi les pionniers de la recherche en psychologie, avec des figures comme Théodule Ribot, Pierre Janet (qui inspira Freud), Alfred Binet, ou encore Henri Piéron. Leurs recherches étaient parfaitement scientifiques, et solidement ancrées dans la physiologie. Mais leurs laboratoires n'ont jamais fait école dans les universités (1). De fait, les départements universitaires appelés à former massivement les étudiants en psychologie ont été créés au sein des facultés de lettres et sciences humaines, et leurs enseignants-chercheurs étaient principalement issus de la philosophie, et majoritairement hostiles à l'approche expérimentale et scientifique en psychologie. Cette orientation philosophique de la psychologie universitaire a préparé un terrain perméable à l'irruption massive de la psychanalyse dans les années 1960.
C'est là que ces considérations historiques rejoignent les multiples constats que j'ai déjà faits sur la psychologie française, notamment:
- le hold-up de la psychanalyse sur la psychologie clinique française, tout comme sur la psychiatrie.
- les recrutements d'enseignants-chercheurs en psychologie:
- analyse de la composition de la section 16 du CNU.
- analyse des critères de qualification des enseignants-chercheurs.
- analyse des postes ouverts au concours.
- les enseignements proposés en psychologie (analyse des maquettes de masters).
- la tendance à préférer la publication des travaux en français et dans des livres, plutôt que dans des revues internationales en anglais, ce qui bien sûr ne facilite pas la visibilité des recherches françaises. Cette tendance est particulièrement prégnante en psychanalyse, mais a touché l'ensemble de la psychologie et des sciences sociales françaises, et ne s'inverse que lentement.
On pourrait aussi ajouter que le sous-investissement chronique dans les universités françaises les rend peu aptes à être compétitives sur le plan international, et que cette paupérisation touche particulièrement les facultés de lettres, sciences humaines et sociales. Ce n'est d'ailleurs sans doute pas un hasard si Sorbonne Université et l'Université PSL, à défaut d'avoir de véritables départements de psychologie, concentrent leurs efforts de recherche en psychologie dans des instituts (l'Institut du Cerveau et le DEC) qui sont peuplés essentiellement de chercheurs CNRS et Inserm, qui se consacrent donc à la recherche à plein temps et qui sont déchargés de nombreuses tâches administratives qui incombent aux enseignants-chercheurs des universités.
Malgré ce tableau peu flatteur, on a de bonnes raisons de penser que le pire est passé. On peut imaginer que la psychologie française a touché le fond dans les années 70-80. Depuis, elle remonte la pente lentement: la psychanalyse est de plus en plus discréditée, la Haute Autorité de Santé a produit des recommandations pour la prise en charge d'un certain nombre de troubles cognitifs et mentaux, les chercheurs sont de plus en plus incités à publier leurs travaux au niveau international. Dans les projets soumis à l'ANR, par exemple, l'élévation constante de la qualité est visible. Tout indique donc que la recherche française en psychologie est sur une trajectoire ascendante et que cette tendance va continuer. Mais cette évolution reste désespérément lente, comme s'en plaignent régulièrement les associations d'usagers concernant la qualité des diagnostics et des soins (par exemple les personnes avec autisme et leurs familles), et comme en attestent mes analyses ci-dessus.
L'Université Paris Cité (nommée Université de Paris dans le classement ci-dessus, et résultat de la fusion de Paris Descartes et Paris Diderot) en offre un exemple édifiant: malgré les évaluations défavorables répétées de la licence de psychologie de Paris Diderot par l'HCERES (en 2013 et en 2018), car quasi-exclusivement psychanalytique et donc non conforme aux exigences d'une licence généraliste, la présidente de l'université n'a pas saisi l'opportunité de la fusion pour 1) supprimer la licence de Paris Diderot au profit de celle de Paris Descartes; ou pour 2) fusionner les deux licences en une seule dotée d'un programme pluraliste cohérent. Elle laisse donc deux licences concurrentes ouvertes dans la même université, l'une intitulée Licence Psychologie - Parcours : Sciences psychologiques (à l'Institut de Psychologie de l'ex-Paris Descartes), l'autre Licence Psychologie - Parcours : Psychologie et Humanités (au département d'études psychanalytiques de l'ex-Paris Diderot), à charge pour les lycéens de savoir faire le bon choix sur Parcoursup ! Au passage, elle ouvre chaque année de nouveaux postes d'enseignants-chercheurs au département d'études psychanalytiques, confirmant ainsi le choix délibéré d'assurer la pérennité de ce courant pour une génération de plus! Avec une telle politique, l'Université Paris Cité n'est pas près de remonter des profondeurs du classement QS (malgré l'excellent travail de nombreux enseignants-chercheurs de l'ex-Paris Descartes).
Ne nous méprenons pas, la position dans un tel classement n'est pas un but en soi: c'est juste un indicateur imparfait d'une situation qui est par ailleurs parfaitement bien documentée. Espérons que d'autres universités françaises feront des choix différents, tournés vers l'avenir, vers la psychologie fondée sur des preuves au meilleur niveau scientifique international, au bénéfice des étudiants, des professionnels qu'ils deviendront, et des patients dont ils s'occuperont.
(1) Ils appartenaient à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, au Collège de France, ou plus tard au CNRS, même lorsqu'ils étaient situés au sein d'une université (comme le laboratoire de psychologie de la Sorbonne).
Un des leviers potentiels pour améliorer la situation serait d'intégrer dans ces cursus des modules d'épistémologie de qualité, en s'appuyant éventuellement sur des professeurs issus d'autres disciplines, (pour moitié issus des sciences et pour moitié issus de la philosophie).