Faut-il – oui ou non – récompenser les élèves ?
Plusieurs personnes nous ont fait remarquer qu’au cours du MOOC « La psychologie pour les enseignants », nous avons diffusé des messages en apparence contradictoires sur l’usage des récompenses.
Récompense ou pas récompense ?
En effet, dans le chapitre 2 « Réguler efficacement les comportements »[1], j’ai exposé les inconvénients des punitions et les avantages des récompenses, l’intérêt d’augmenter le rapport compliments/réprimandes, et plus généralement l’efficacité de l’approche consistant à récompenser les bons comportements plutôt que de se focaliser sur la punition des comportements indésirables.
Par ailleurs, dans le chapitre 3 « Motivation et métacognition »[2], ma consœur Joëlle Proust a exposé la différence entre motivation intrinsèque (suscitée notamment par le désir d’apprendre et de comprendre) et motivation extrinsèque (suscitée notamment par l’appât d’une récompense), l’effet faible (et parfois contreproductif) des motivations extrinsèques, et donc tout l’intérêt qu’il y a pour les enseignants de développer chez leurs élèves la motivation intrinsèque.
Du coup, puisque les récompenses sont des motivations extrinsèques et que celles-ci sont à éviter, est-ce à dire que notre chapitre 3 est en contradiction avec notre chapitre 2 ? Pour le savoir, il est bien sûr nécessaire de rentrer un minimum dans les détails, et de retourner aux travaux de recherches qui ont fourni la matière des deux chapitres.
Revenons aux sources
Dans l’ordre chronologique, le courant le plus ancien est le comportementalisme (Skinner, 1953). Des milliers d’études sur le conditionnement opérant ont montré que les conséquences reçues immédiatement après un comportement influencent la probabilité ultérieure que celui-ci se reproduise. En particulier, les récompenses reçues après un comportement augmentent la probabilité qu’il se reproduise. C’est sur la base de ces travaux fondateurs que se sont développées les recherches en éducation visant à réguler le comportement des élèves, sur lesquelles se basent notre chapitre 2.
Néanmoins, très vite, des chercheurs en psychologie ont souligné le fait que certaines activités fournissent leur propre motivation, et ne nécessitent pas de motivation extrinsèque (Deci, 1971; White, 1959). Bâtissant sur l’expérience initiale de Deci (1971), des centaines d’expériences ont établi que, lorsque l’on propose à des êtres humains une activité intéressante (donc bénéficiant de motivation intrinsèque), le fait de leur fournir une motivation extrinsèque (une récompense) pour faire cette activité induit une baisse de leur motivation (ils trouvent l’activité moins intéressante et s’y engagent moins longtemps que lorsqu’on ne leur donne aucune récompense). Dès 1999, ce résultat était établi au plus haut niveau de preuve par une méta-analyse de 128 études (Deci et al., 1999). Dans le domaine scolaire, ces travaux ont montré qu’il ne sert à rien de payer les étudiants pour leur donner le goût des études, que les remises de prix n’augmentent pas la motivation pour le travail scolaire, et que donner des bonbons pour attirer les élèves à l’atelier-lecture n’accroit pas l’intérêt de la lecture. Et, comme nous l’avons souligné dans le Chapitre 2, une récompense promise pour un bon bulletin ne peut pas servir à renforcer efficacement le travail scolaire. Si les enseignants et les parents veulent que les élèves travaillent plus, ils doivent susciter leur motivation intrinsèque pour les activités scolaires. C’était l’un des messages importants de notre chapitre 3.[3]
Quelle contradiction ?
Alors, y a-t-il une contradiction entre nos deux chapitres ? En fait, non. Si l’on regarde bien, on réalise que les deux champs de recherche dans lesquels nous avons puisé ne parlent pas de la même chose.
La recherche sur le conditionnement opérant en général, et sur l’usage des récompenses et punitions en milieu scolaire en particulier, porte sur des comportements élémentaires, qui sont générés très largement de manière automatique et inconsciente : prendre la parole (en levant la main ou pas), se lever (ou rester assis), crier sous le coup d’une émotion, frapper en réponse à une provocation, etc. La recherche sur la motivation, elle, porte sur la capacité à s’engager dans des activités sur de longues durées. Cela n’a à peu près rien à voir, ce sont juste des aspects différents du comportement humain, qui ont des ressorts différents. Il n’y a donc aucune contradiction à ce que les moyens qui permettent d’influencer efficacement les uns et les autres ne soient pas les mêmes. De plus, alors que les études portant sur la motivation intrinsèque ont montré un effet délétère des récompenses sur celle-ci, les études portant sur le comportement n’ont montré aucun inconvénient à court ou à long-terme de l’usage des récompenses (Akin-Little et al., 2004).
Comportement et motivation scolaire
La réussite scolaire n’est pas un comportement que l’on peut renforcer. C’est la conséquence à long-terme d’un comportement (d’étude). Récompenser la conséquence n’a aucun effet sur le comportement, surtout si la récompense intervient bien après le comportement. C’est pour cela que les félicitations de fin de trimestre et les prix scolaires de fin d’année n’ont pas d’effet sur les résultats scolaires des élèves. Mais si l’on est face à des élèves qui ont du mal à se mettre au travail en classe, ou à faire leurs devoirs à la maison, l’usage de récompenses peut les aider à démarrer le comportement d’étude au bon moment. En aucun cas ces récompenses ne donnent le goût des apprentissages scolaires, et par conséquent elles ne se substituent pas au développement de la motivation intrinsèque. Mais elles peuvent permettre de résoudre un problème ponctuel à un moment donné : elles peuvent aider des élèves à prendre l’habitude de se mettre au travail scolaire dans un certain contexte. L’objectif est d’automatiser ce comportement (« une fois rentré à la maison je commence par faire mes devoirs »), puis d’atténuer les récompenses de manière à le rendre autonome. En parallèle avec cette aide, il faut bien sûr développer la motivation intrinsèque, de manière à ce que les élèves ressentent que ces comportements d’étude participent à un but de maîtrise et à d’autres buts à long-terme valorisés d’eux.
Il n’y a donc pas de contradiction entre l’approche comportementale et l’approche motivationnelle, les deux fournissent des solutions complémentaires à des problèmes différents. Un élève ayant pris de bonnes habitudes de travail par une approche comportementale aura plus de mal à maintenir ces habitudes s’il ne voit pas la finalité de tout ce travail. Symétriquement, certains élèves dont on aura gonflé à bloc la motivation intrinsèque pourront néanmoins éprouver des difficultés à se mettre au travail, par exemple parce que les jeux vidéo leur procurent des récompenses plus immédiates. Dans ce cas, une approche comportementale basée sur des récompenses pourra les aider à acquérir les bonnes habitudes comportementales qui leur permettront d’atteindre les buts qu’ils se sont fixés[4].
Comportement social et éducation morale
Dans le domaine des comportements perturbateurs, on pourrait objecter que l’on souhaite que les élèves se comportent bien, pas juste parce qu’ils reçoivent des récompenses pour bien se comporter, mais parce qu’ils ont acquis des sentiments moraux qui fournissent une motivation intrinsèque au bon comportement. Oui, bien sûr, nous souhaitons former des êtres moraux qui vont faire le bien parce qu’ils jugent que c’est bien, et c’est l’un des buts de l’éducation morale et civique. C’est aussi l’un des buts des programmes de développement des compétences socio-émotionnelles, qui auraient eu toute leur place comme complément à notre MOOC. Ces objectifs sont importants et il n’est pas question d’y renoncer.
Néanmoins, force est de constater que l’éducation morale et civique ne suffit pas à pacifier le comportement dans les classes. Pourquoi ? Parce que les comportements perturbateurs ne sont pas sous le contrôle direct du raisonnement moral. Les comportements perturbateurs ne sont pas le fruit d’un défaut de sens moral, ils sont le plus souvent générés de manière automatique et inconsciente ; leur déclenchement est facilité ou inhibé par des antécédents, et leur répétition dépend des conséquences qui les ont suivis immédiatement. Le raisonnement moral, lui, est lent et délibéré[5]. Il nous sert à faire les choix les plus moraux parmi différents comportements que nous anticipons. Mais il est de peu de secours à un élève qui est interrogé alors qu’il n’a pas appris sa leçon, ou dont on a insulté la mère.
Une approche comportementale basée sur l’usage de récompenses peut aider des élèves à acquérir un comportement qui est en conformité avec les sentiments moraux qu’on est simultanément en train de leur inculquer. Mais faire l’un sans l’autre, c’est construire un édifice bancal et s’exposer à de sérieuses déconvenues.
Conclusion
Pour conclure, les chapitres 2 et 3 du MOOC pouvaient légitimement sembler émettre des messages contradictoires à propos de l’usage des récompenses en milieu scolaire. En fait, il n’y a pas de contradiction. Les deux champs de recherche évoqués parlent de phénomènes différents. Les deux approches, comportementale et motivationnelle, ne sont pas antinomiques mais complémentaires. Les récompenses sont extrêmement utiles dans tous les cas où il s’agit de modifier des comportements automatiques et de faire acquérir aux élèves de bonnes habitudes comportementales. Elles n’ont en revanche pas d’effet sur la motivation intrinsèque, qu’il convient de développer en référence à des buts de maîtrise et d’autonomie.
Références
Akin-Little, K. A., Eckert, T. L., Lovett, B. J., & Little, S. G. (2004). Extrinsic Reinforcement in the Classroom: Bribery or Best Practice. School Psychology Review, 33(3), 344–362. https://doi.org/10.1080/02796015.2004.12086253
Deci, E. L. (1971). Effects of externally mediated rewards on intrinsic motivation. Journal of Personality and Social Psychology, 18(1), 105–115. https://doi.org/10.1037/h0030644
Deci, E. L., Koestner, R., & Ryan, R. M. (1999). A meta-analytic review of experiments examining the effects of extrinsic rewards on intrinsic motivation. Psychological Bulletin, 125(6), 627–668. https://doi.org/10.1037/0033-2909.125.6.627
Garon‐Carrier, G., Boivin, M., Guay, F., Kovas, Y., Dionne, G., Lemelin, J.-P., Séguin, J. R., Vitaro, F., & Tremblay, R. E. (2016). Intrinsic Motivation and Achievement in Mathematics in Elementary School: A Longitudinal Investigation of Their Association. Child Development, 87(1), 165–175. https://doi.org/10.1111/cdev.12458
Kahneman, D. (2012). Système 1 / Système 2: Les deux vitesses de la pensée. Flammarion.
Skinner, B. F. (1953). Science And Human Behavior. Simon and Schuster.
Toste, J. R., Didion, L., Peng, P., Filderman, M. J., & McClelland, A. M. (2020). A Meta-Analytic Review of the Relations Between Motivation and Reading Achievement for K–12 Students. Review of Educational Research, 90(3), 420–456. https://doi.org/10.3102/0034654320919352
White, R. W. (1959). Motivation reconsidered: The concept of competence. Psychological Review, 66(5), 297–333. https://doi.org/10.1037/h0040934
[1] De même que dans des conférences que l’on peut visionner en ligne.
[2] De même que dans des conférences que l’on peut visionner en ligne.
[3] En outre, il est important de remarquer que les travaux sur la motivation intrinsèque montrent que celle-ci favorise avant tout l’engagement dans le travail. En revanche, l’idée intuitive d’un lien causal direct entre motivation et réussite scolaire n’est pas fondée. Les études qui ont examiné rigoureusement la direction du lien causal entre motivation et réussite ont trouvé que l’effet de la motivation des élèves sur leurs résultats scolaires était au mieux faible. En revanche, augmenter la réussite scolaire des élèves augmentait fortement leur motivation (Garon‐Carrier et al., 2016; Toste et al., 2020). Autrement dit, s’il est important de susciter la motivation intrinsèque, ce n’est pas suffisant en soi. Il faut avant tout enseigner d’une manière qui engendre la réussite (la zone proximale de développement, l’enseignement explicite, la mémorisation, le feedback, etc.), et la motivation suivra.
[4] Typiquement, dans un tel cas de figure, il s’agira de conditionner l’accès aux jeux vidéo à la réalisation préalable du travail scolaire, utilisant ainsi les jeux vidéo comme récompense du travail.
[5] Selon la terminologie du psychologue Daniel Kahneman (2012), la plupart des comportements relèvent du système 1, et le raisonnement moral relève du système 2.
Merci pour cet article plein d’enseignement ! Il est très intéressant de comprendre que si les récompenses extérieures sont un booster de comportement, elles ne seront réellement efficaces que si on installe chez les élèves une motivation intrinsèque à long terme (le « pourquoi » de notre apprentissage). Et que même si on a insufflé cette motivation intérieure, une petite récompense de temps à autres suffit à « garder le cap ». D’ailleurs, les méthodes d’apprentissage alternatives ont d’abord cherché à répondre à cette question : Comment susciter et installer ce « frisson cognitif » afin de donner envie d’apprendre et de travailler chaque jour ? C’est le défi que les pédagogies telles que Singapour, Explicite de Barak Rosenshine ou ZPD (la Zone Proximale de Développement) de Vygotski ont relevé ces dernières décennies : en créant un environnement propice à la progression pas à pas sous l’œil bienveillant d’éducateurs qui apportent du soutien tout en permettant aux apprenants de devenir autonomes dans leur apprentissage.
Sim , penso que recompensar os alunos os incentiva a prosseguir em sua caminhada através do conhecimento, assim como tudo na vida do ser humano, sempre há um motivo, ou seja uma recompensa seja ela emocional ou física ao termino de um trabalho bem sucedido.