La rationalité est-elle à géométrie variable?
Je suis toujours frappé de constater qu'une partie des commentateurs de mes écrits en ont des appréciations très contrastées en fonction du sujet.
Certains approuvent ce que j'écris sur la psychanalyse, mais pas sur l'homéopathie ou d'autres pseudo-médecines. Certains approuvent ce que j'écris sur les pseudo-médecines, mais pas sur les différences entre les sexes. D'autres approuvent ce que j'écris sur les différences entre les sexes, mais pas sur les surdoués. D'autres encore approuvent ce que j'écris sur les surdoués, mais pas sur les religions. Certains adorent ce que j'écris sur les religions, mais pas sur la psychanalyse. Et ainsi de suite... (j'ose espérer que certains approuvent aussi ce que j'écris sur tous ces sujets)
A vrai dire, c'est justement l'une de mes motivations à écrire sur des sujets variés. Ayant attiré des lecteurs en les convaincant sur un sujet, j'espère pouvoir ensuite les convaincre sur un autre.
Je m'efforce, bien entendu, sur chaque sujet que j'aborde, d'appliquer la même rigueur intellectuelle. Mais de toute évidence, tout le monde ne le voit pas de cette manière, et certains pensent que ma rigueur est à géométrie variable: irréprochable sur la psychanalyse, foireuse sur la religion. Ou le contraire. Si toutes ces personnes avaient le même avis sur la question, j'aurais de sérieuses raisons de m'interroger sur les fluctuations de ma rationalité. Mais mes lecteurs ont des positions tellement diamétralement opposées sur le sujet, que je me dis que ce sont eux qui devraient s'interroger.
Par cet article, j'invite donc mes lecteurs à un peu d'introspection: pourquoi trouvez-vous certains de mes articles pas du tout convaincants, voire carrément horripilants, alors que d'autres vous paraissent excellents? Est-il plausible que je perde subitement mes capacités de raisonnement, où d'analyse bibliographique, pile sur le sujet qui vous tient à cœur et pas sur les autres? Et pourquoi dans ce cas d'autres lecteurs trouvent-ils au contraire mes raisonnements admirables dans les articles qui vous irritent, et mauvais dans ceux qui vous plaisent? N'est-il pas finalement plus plausible que mes arguments soient de qualité à peu près égale dans tous mes articles, et que ce soit vous qui refusiez de les accepter de manière sélective, dans les cas où ils vont à l'encontre de vos croyances préalables? Finalement, ne devriez-vous pas reconsidérer ces articles qui vous énervent, les relire à tête reposée en vous efforçant de mettre de côté vos émotions et vos croyances, et de suivre la logique des arguments?
Bien évidemment, il ne m'a pas échappé que l'on peut aussi faire l'argument symétrique: pourquoi appréciez-vous certains de mes articles? Sont-ce bien la logique de mon argumentation et la qualité de mes sources (les avez-vous vérifiées?) qui, après mûre délibération, vous ont convaincu que j'avais raison? Ou bien est-ce simplement parce que mes conclusions concordent avec ce que vous pensiez dès le départ? Du coup, n'avez-vous pas accepté mes conclusions trop vite? Ne devriez-vous pas vous méfier lorsqu'un article vous semble confirmer de manière éclatante ce que vous croyiez déjà?
En conclusion, la rationalité n'est pas (ou ne devrait pas être) à géométrie variable. Je m'efforce d'exercer la mienne de manière égale sur tous les sujets que j'aborde, avec peut-être quelques ratés (mais s'il y en a, force est de constater qu'il n'y a aucun consensus sur lesquels). Symétriquement, l'esprit critique à l'égard de toutes les affirmations et de tous les arguments (les miens et ceux des autres) doit s'exercer de manière égale sur tous les sujets, indépendamment des croyances préalables que l'on a.
Bonsoir Franck Ramus,
Mais heureusement que nous vous avons, vous et vos articles, vos partages et vos publications, pour nous aider à remettre en question nos idées reçues. Je ne suis personnellement jamais heurtée de m'apercevoir que je me trompais, parfois faute de temps pour m'intéresser à tous les sujets que vous traitez (je pense par exemple aux neuromythes). Si je vais vérifier systématiquement vos sources ? Franchement pas toujours. Je vous considère comme un expert dans les thèmes que vous abordez. Vous acceptez la critique et le débat contradictoire, vous êtes ouvert à toute documentation qui pourrait modifier votre point de vue, ce qui est la plupart du temps loin d'être le cas de vos détracteurs.
Il y a du pain sur la planche ! Continuez à nous informer, nous sommes nombreux à vous lire en essayant de faire abstraction de l'émotionnel, bien que cela soit loin d'être évident.
Un grand merci à vous pour la qualité de votre travail, la rigueur et l'honnêteté dont vous faites preuve régulièrement. Merci !
Pourquoi votre contenu serait-il a géométrie invariable, et notre jugement a geometrie variable?
Nous nous debattons tous autant avec nos biais ideologiques, et on fait tous autant de notre mieux pour rester rigoureux....
Ahah ! La paille, la poutre, tout ça... On rentre dans une tâche aveugle-ception (inception de tâche aveugle), et on retombe invariablement sur les mêmes mécanismes cognitifs que l'on retrouve dans tous les débats, des biais de confirmation, de croyance, de halo, et donc les retours de flamme qui vont avec.
Je ne crois pas que l'on puisse y échapper, que l'on soit l’émetteur ou le récepteur.
Néanmoins j'aime a penser, comme vous le suggérez, que votre expertise scientifique vous permettant de transformer des données en connaissance ou en savoir, dans un domaine particulier, par le fameux transfert d'apprentissage, vous êtes a même de nous communiquer des informations justes sur d'autres domaines.
Ceci était la version optimiste, car comme on le sait tous aujourd'hui, de grandes têtes pensantes ont réussi l'exploit de changer le monde dans un domaine, et de se vautrer dans d'autres. Alors allez savoir...
Même réponse qu'à Axel: vous avez bien sûr raison, et pour éviter de trop de me vautrer, j'évite de m'exprimer sur des sujets sur lesquels je ne connais pas la littérature scientifique.
Bonjour,
Vous et moi, n'avons pas de lumières à tout les étages, et ma rationalité est fonction de mes connaissances sur les sujets abordés. C'est intéressant ce que vous faites, en prenant le risque d'aller dans divers domaines avec le risque de vous tromper. Ma rationalité est effectivement à géométrie variable, car il y a une infinité d'angles d'attaques sur le prisme de la réalité, et c'est ce qui me fait apprécier la richesse de vos écrit.
A bientôt
Je ne prétends pas avoir une rationalité parfaite, ni être compétent sur tous les sujets. C'est d'ailleurs ce qui me retient de m'exprimer sur tous les sujets. Les thèmes abordés sur ce blog sont de fait restreints à ceux sur lesquels j'ai une certaine compétence scientifique, soit directement par mes recherches, soit par ma lecture de la littérature scientifique pertinente.
Bonjour Franck Ramus,
sait-on comment le statut logique d'une affirmation apparait dans le cerveau, et est-ce différent chez les personnes qui ont appris la logique à l'école ?
pour expliquer la rationnalité à géométrie variable, il y a t-il autre chose que des différences individuelles de "sens logique", et la capacité à inhiber la logique ? c'est à dire: autre chose que bétise ou mauvaise foi ?
L'éducation joue certainement un rôle dans la capacité à être rationnel. Mais même la meilleure éducation peine à rendre les gens parfaitement rationnels (d'où toute l'effervescence actuelle sur l'éducation à l'esprit critique à l'école). Les prédispositions pour les capacités intellectuelles jouent certainement aussi un rôle, mais là non plus elles ne sont pas suffisantes.
Le problème fondamental n'est pas tant les différences individuelles de la rationalité, mais plus généralement la condition humaine.
Le fait est que le cerveau humain n'a pas été sélectionné pour être rationnel, mais pour survivre et se reproduire dans un environnement bien différent du nôtre, et où la rationalité n'était pas forcément très adaptative.
Le résultat est que nous sommes tous pétris de biais cognitifs qui limitent nos capacités de raisonnement. La rationalité n'est jamais le mode de raisonnement par défaut, chez aucun d'entre nous.
Quelques sources à ce sujet:
Le grand classique de Daniel Kahneman https://www.placedeslibraires.fr/livre/9782081211476
Voyez aussi le livre de Thomas Durand: http://www.seuil.com/ouvrage/l-ironie-de-l-evolution-thomas-durand/9782021311655
Bonjour,
une solution possible est que votre rationalité n'est pas absolue et qu'en fonction de son expertise ou de ses centres d'intérêt vos lecteurs ont la capacité (ou pas) et l’envie (ou pas) de réfuter certains de vos raisonnements ou tendance (ou pas) à accepter tel ou tel argument d’autorité.
Ceci étant un lecteur régulier de votre blog, j’en arrive parfois à me poser la question de savoir si je ne participe pas à une expérience de psychologie expérimentale.
Personne ne peut prétendre avoir une rationalité absolue, moi pas plus qu'un autre. Les raisons sont évoquées dans ma réponse au commentaire d'Olivier ci-dessus.
Cela dit, quand j'écris un article, j'ai le temps de vérifier mes sources, la logique de mon raisonnement, et je tente de débusquer mes biais cognitifs. Donc j'ai un peu plus de chances d'écrire quelque chose de rationnel que quand je discute par-dessus le comptoir. Mais je ne suis pas à l'abri d'une erreur bien sûr.
Bonjour Franck Ramus,
J’étais dans vos contacts sur Facebook, je n’avais pas de désaccords sur le fond. Puis à un moment je me suis dit que je n’avais pratiquement rien vu de tout ça appliqué par des professionnels. Comment dire ? Ça ne débouche sur pas grand-chose de concret sur le terrain. Et comme je ne pouvais pas prouver la véracité de mon témoignage, j’ai laissé tomber et je me suis désabonnée de votre liste d’amis. La méthode scientifique oui, à condition d’en voir au moins le début dans nos vies, sinon ça occasionne plus d’anxiété qu’autre chose.
Pas clair ce que vous entendez par "tout ça".
Par exemple, la médecine fondée sur des preuves, ça existe, tout de même! Et ça s'améliore de jour en jour. Même la psychiatrie et la psychologie s'améliorent, même si c'est toujours trop lent. Le 4ème plan autisme est mieux parti que le 3ème. Et l'éducation fondée sur des preuves, on y vient!
Bref, voir ou pas des changements concrets sur le terrain, tout dépend de ce qu'on regarde, et à quelle résolution temporelle on le regarde. Gare aussi aux biais cognitifs qui donnent l'impression d'un passé doré en en effaçant les aspérités.
de mémoire, j'ai été convaincu par un de vos articles sur la psychanalyse (et avec surprise d'ailleurs: pour vous planter le tableau j'ai fait 10 ans d'analyse, étudié la psychanalyse à la fac pendant 5 ans, lu à peu près 150 livres sur le sujet) en lisant votre sujet, j'y allais arguments par arguments, "bon là ça va" "ok, je suis d'accord" "ha tiens, j'y avais déjà pensé" "pas grand chose à redire là non plus" et j'ai eu la grande satisfaction de me retrouver convaincu par l'ensemble 🙂 (après, c'était sur la question de tester les hypothèses en clinique, sujet qui m'intéresse particulièrement quand même, c'est presque mon sujet de recherche actuel, sur l'épistémologie psychanalytique et son mode de compréhension du réel)
Merci de me rassurer sur ma capacité à convaincre au moins certaines personnes qui ne sont pas déjà acquises à mes arguments !
Nouveau lecteur je n'ai pas encore trouvé d'article qui m'horripile mais sur votre rationalité elle pourrait connaître des éclipses errare humanum est ce qui pourrait justifier des oppositions intermittentes
A part ça vous êtes cité dans un article un peu bizarre de L'Express sur Bourdieu
"Telle est la faiblesse de notre raison: elle ne sert le plus souvent qu'à justifier nos croyances" disait Marcel Pagnol. Les personnes qui arrivent sur votre blog après avoir utilisés des mots clés comme, par exemple "homéopathie + adjectif péjoratif" cherchent à étayer un avis qu'ils ont déjà. Il leur est ainsi facile de vous donner raison, et d'apprécier la force de vos arguments. La lecture de vos écrits se fait alors dans le cadre d'une exposition sélective aux contenus médiatiques. S'il continuent sur votre blog, il peuvent tomber sur un article relatif à un autre sujet (ex: psychanalyse), alors que leur avis ne correspond pas au votre. Et indépendamment des arguments que vous avancez, il peut être couteux, socialement parlant, de changer d'avis: ils peuvent estimer avoir tirer des bénéfices d'une psychanalyse, et donner tort à cette pratique questionnerai le temps- et l'argent- investi dans celle-ci. Et en quelques clics, on va faire son marché ailleurs et trouver un autre blog qui chantera les louanges de pratiques que vous dénoncez. Quels que soient les arguments que vous avancerez, le lecteur à l'abri derrière son écran pourra se rassurer car il aura "croisé" des sources différentes et n'aura pas "accepté en bloc" votre avis. Sa conscience est sauve, et pour un effort bien moindre que s'il avait vérifié toutes vos sources. Il aura de toute façon de quoi raconter aux copains lors du prochain repas. Vos articles viennent de votre travail et de votre réflexivité sur celui-ci. Les lecteurs viennent souvent "grappiller" (faute de temps réel ou de motivation) des arguments ou des explications scientifiques, avant de retourner à leur vie.
Je vous trouve juste trop tiede dans vos critiques. Mais c'est probablement un moindre mal: votre but est de convaincre qu'il faut raisonner correctement. C'est tres bien ainsi.
Maintenant, il ne faut pas s'etonner non plus que certaines personnes voient des choses parfois tres concretes qui echappent au regard scientifique. Le monde est ainsi fait.
Si vous mettez un chat qui se ballade derriere un mur avec une fente, vous verrez d'abord sa tete puis sa queue a travers la fente. De la a en deduire que la tete est la cause de la queue, c'est une approche parfois un peu raide. Mais il faut bien en passer par la pour faire la distinction entre speculation et savoir.
Ce qui n'interdit pas de regarder derriere le mur pour bien voir qu'il s'agit bien d'un chat.
Je suis tombée sur votre blog sur la douance en cherchant sur internet des réponses à mes interrogations : maman d'un petit garçon de 4 ans, pas précoce mais "normalement" intelligent, la mode actuelle selon laquelle nous sommes tous cernés par des enfants précoces m'interpelle ("ils sont parmi nous" !) ! J'ai donc trouvé des réponses, des arguments, pour enfin contrer certains parents qui en font des tonnes, en répercutant un discours pseudo-scientifique mâché et remâché. A partir de là (votre article, que j'ai relayé auprès de certains de ces parents ! ce qui les a à leur tour horripilé ! grosso modo "on les connaît, ces chercheurs au CNRS, qui recherchent des fonds pour se faire publier !!!" j'en ris encore), je me suis intéressée à l'état actuel des connaissances sur l'apprentissage de la lecture (mon fils a le temps, mais je suis légèrement angoissée à l'idée de "passer à côté"): là aussi, moi qui étais très concept "intelligence multiple" (d'accord, ce n'est pas un concept, mais une "idée"), en écoutant certaines de vos interventions ainsi que celle de Nicolas Gauvrit, je me suis rendue compte que j'allais un peu vite sur la question. Déçue mais au moins informée. Bref, les démarches rigoureuses, étayées scientifiquement, même (surtout !) si elles vont à l'encontre de ce que je pense, m'interpellent. Cela permet d'éviter les dérives (parfois dangereuses), les cul-de-sac et de découvrir de nouvelles pistes de réflexion (l'épigénétique par exemple)... certes, j'ai tendance à vous faire confiance sans être allée voir les références bibliographiques que vous nous indiquez. Mais je manque de temps ! Donc il n'existe pas une Vérité (le point de vue de l'observateur ne permet pas une totale objectivité), les recherches scientifiques font évoluer les connaissances et parfois aboutissent à reconnaître l'inverse de ce que l'on pensait sur un sujet donné, mais disons qu'à l'instant T, entre un point de vue permettant de faire état des connaissances actuelles et un simple "ressenti" (qui n'est pas étayé scientifiquement), je préfère le premier. Même si cela va à l'encontre de ce que je pense. Ca peut vexer, me dire que j'ai pensé comme un âne, mais au moins, je me dis que je dispose de toutes les informations, à moi de les utiliser, ou de les ignorer. Et merci de rendre intelligibles toutes ces informations auxquelles nous n'avons pas accès !
Mais tous vos articles ne sont pas des preuves. Sur l'homéopathie, une simple étude statistique permet en effet de prouver son inutilité. Sur la psychanalyse, il n'y a pas à ma connaissance de telle étude définitive, l'essentiel de la matière reste à ce jour irréfutable et qui plus est, même si son efficacité thérapeutique, d'ailleurs largement constatée par Freud lui même, s'avère nulle, elle reste une construction de la raison unique - comme le reste Aristote, même si lui aussi a eu tout faux finalement. La plupart des avancées mêmes contre la psychanalyse de la science psychologique, Palo Alto, l'usage de la stat opposée au ressenti inconscient, etc, ont pour source la psychanalyse, comme Galilée a pour source Aristote. Bref, certains de vos articles sont des faits, d'autres des opinions - ceux sur Dolto en étant un exemple. Reporter systématiquement sur le lecteur la différence de réaction face à leur lecture tient du sophisme.