Le point sur la prévalence de l’autisme
Extrait adapté d'un article paru dans Rééducation Orthophonique, 2016, puis dans Science et Pseudosciences n°317 (2016), avec l'article compagnon sur l'héritabilité de l'autisme. Une version mise à jour en mai 2017 est maintenant disponible sur The Conversation.
Des informations souvent changeantes et parfois contradictoires circulent à propos de la prévalence de l’autisme. Dans cet article, nous faisons le point sur les données les plus récentes à ce sujet.
Il est incontestable que le nombre de diagnostics d’autisme ou de trouble du spectre autistique (TSA) n’a cessé de croître au cours des dernières décennies (figure 1). Alors que l’autisme était considéré comme un trouble rare dans les années 70 et 80, la dernière estimation en date des Centers for Disease Control and Prevention américains fait état d’une prévalence de 1 cas sur 68 (Wingate et al., 2014). Une étude coréenne a même annoncé une prévalence de 2.6%, soit environ 1 cas sur 40 (Kim et al., 2011), sans que l’on sache s’il s’agit d’une augmentation au-delà de ce qui avait été précédemment observé, ou bien d’un résultat isolé non comparable à ceux des autres pays.
Figure 1. Evolution de la prévalence de l’autisme et des troubles du spectre autistique depuis 1970 aux Etats-Unis. Sources : 1975-1995, estimations de l’association Autism Speaks ; 2000-2010, Center for Disease Control, USA.
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Une telle courbe semble être faite pour déclencher une panique. Du fait que cette croissance semble exponentielle, de nombreux commentateurs n’hésitent pas à parler d’épidémie d’autisme, et les hypothèses les plus folles circulent sur les causes de cette épidémie, incluant la mise en cause de certains vaccins, et l’hypothèse d’infections microbiennes. Pourtant, certains facteurs bien connus permettent d’expliquer, au moins en partie, cette croissance du nombre de diagnostics.
Premièrement, il est important de souligner que l’entité « autisme » dont la prévalence est suivie au fil du temps n’est pas une entité stable et entièrement objective : c’est une entité qui dépend entièrement de critères diagnostiques préalablement définis. Or il se trouve que ces critères ont évolué avec le temps. Jusqu’aux années 90, la CIM-8 et le DSM-III définissaient des critères diagnostiques correspondant essentiellement à l’autisme typique tel que décrit par Kanner (1943). A partir de la CIM-10 et du DSM-IV, les critères ont été élargis afin d’inclure un ensemble plus vaste d’individus, présentant des profils plus variés et une sévérité pouvant être moindre. Des catégories diagnostiques additionnelles ont été créées pour couvrir des formes atypiques ne rentrant pas dans la définition principale (syndrome d’Asperger, trouble désintégratif de l’enfance…) et la notion de « troubles envahissants du développement » a chapeauté l’ensemble. Le DSM5 prolonge cette évolution en regroupant la plupart de ces catégories diagnostiques sous le terme de « trouble du spectre autistique », tout en mettant à part la catégorie « trouble de la communication sociale ». Il est incontestable que le passage à la CIM-10 et au DSM-IV a augmenté considérablement la population vérifiant les critères diagnostiques de l’autisme et des troubles envahissants du développement [1]. Une étude danoise très récente a permis de le vérifier, et a établi qu’environ un tiers de l’augmentation de prévalence du TSA au cours des années 90 peut être entièrement attribué au changement de classification diagnostique (Hansen, Schendel, & Parner, 2015). Le DSM5, en revanche, s’il a modifié les critères diagnostiques à la marge, ne semble engendrer aucune nouvelle augmentation de prévalence (Kim et al., 2014).
Un second facteur est la meilleure reconnaissance dont a bénéficié l’autisme au cours du temps, à la fois auprès des professionnels et du grand public. Chez les médecins et autres professionnels de santé, cette meilleure reconnaissance a conduit à diagnostiquer d’une part des enfants qui n’avaient auparavant aucun diagnostic, d’autre part des enfants qui auparavant recevaient un diagnostic différent (déficience intellectuelle, trouble du langage, mutisme…). Ce phénomène de "substitution diagnostique" est bien illustré dans la Figure 2: au fur et à mesure que la prévalence de l'autisme augmentait, celle de la déficience intellectuelle diminuait, montrant un phénomène de vases communicants entre les deux diagnostics. La somme de la prévalence des deux diagnostics est quasiment stable au cours du temps. Dans l'étude dont sont extraites ces données, on peut également constater la décrue des diagnostics de "troubles spécifiques des apprentissages", ainsi que des "troubles émotionnels", deux catégories qui incluaient sans doute aussi un certain nombre d'enfants autistes (Polyak et al. 2015).
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Figure 2. Nombre d'élèves (sur 10000) bénéficiant d'une reconnaissance de besoins éducatifs particuliers aux Etats-Unis, en fonction de la catégorie diagnostique: autisme ou déficience intellectuelle. Source: Polyak et al. (2015). Graphique: Autism Speaks. |
Autrement dit, l’augmentation des diagnostics au fil du temps est due en partie au fait que dans le passé, une bonne partie des cas qui auraient pu vérifier les critères diagnostiques de l’autisme n’étaient pas diagnostiqués comme tels, et par conséquent la prévalence de l’autisme était sous-évaluée. Dans le grand public, la meilleure reconnaissance de l’autisme (notamment grâce au film Rain Man, et à l’essor des associations de familles), a conduit les parents, les enseignants et les autres personnes concernées à être plus sensibles aux symptômes de l’autisme et à consulter plus fréquemment et plus tôt à ce sujet, augmentant le nombre de cas présentés aux professionnels pour diagnostic, et diminuant aussi l’âge moyen du premier diagnostic. De fait, historiquement, la plupart des diagnostics d’autisme concernaient uniquement des enfants suivis en institution hospitalière. Aujourd’hui, la plupart des cas diagnostiqués concernent des enfants hors institution. L’étude danoise sus-citée estime que cet élargissement de la population comptabilisée expliquerait environ 40% de l’augmentation des diagnostics. Ce phénomène est en partie confondu avec l’élargissement des critères diagnostiques, mais les deux facteurs pris ensemble expliqueraient 60% de l’augmentation des diagnostics (Hansen et al., 2015).
Figure 3. Evolution de la prévalence de l’autisme en Suède (ligne bleue), et évolution des symptômes autistiques quantifiés par l’Autism score. Source : Lundström et coll. (2015).
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Conclusion
Bien que le nombre de diagnostics de TSA ait considérablement augmenté au cours des dernières décennies, il y a toutes les raisons de penser que la majeure partie, sinon la totalité de cette augmentation soit attribuable à l’élargissement des critères diagnostiques et à leur application plus systématique à l’ensemble de la population concernée.
Références
Lundström, S., Reichenberg, A., Anckarsäter, H., Lichtenstein, P., & Gillberg, C. (2015). Autism phenotype versus registered diagnosis in Swedish children: prevalence trends over 10 years in general population samples. [Journal Article]. British Medical Journal, 350. doi: 10.1136/bmj.h1961
Notes
L'augmentation de cas d'autisme est absolument étonnante.
J'ai travaillé de 1980 à 1990 dans un service psychiatrique pour la déficience mentale et l'autisme était uniquement l'autisme de Kanner et les formes d'autisme des enfants coupés sur le plan relationnel de manière suffisamment significative pour ne pas être accessible à un enseignement classique, tel que nous le connaissions à l'époque.
la plupart des "déficients mentaux" souffraient de retard mental d'origine indéterminée (mis à part les maladies génétiques connues tels que la trisomie, et autres) ou les accidents périnataux.
Puis, vers la fin de la décennie 80 nous avons vu apparaître une nouvelle maladie génétique le X fragile.
Aujourd'hui le spectre autistique est très vaste et je pense que de nombreux enfants "retardés mentaux" sont actuellement classés dans le spectre autistique, probablement une bonne chose car les progrès des neurosciences ont fourni des pistes de prise en charge très intéressantes avec des améliorations parfois très significatives.
Je pense donc que la prévalence de l'autisme n'a pas augmenté vraiment mais c'est surtout la précocité du diagnostic, avec un spectre très large qui explique, tout du moins en grande partie, cette augmentation de personnes autistes.
Un surdoué avec asperger aurait reçu tout autre diagnostic à l'époque!
sans doute un autre diagnostic psychiatrique!
Publiées le 31 mars 2016, les stat. des CDC donnent le même ratio : 1/68 que deux ans auparavant : un plateau ?
https://spectrumnews.org/news/u-s-stats-show-autism-rate-reaching-possible-plateau/
Bonjour monsieur Ramus,
En ce moment et je pense que l'information n'a pu vous échapper, une méta-analyse insiste sur la différence de critériologie de l'autisme avec une interrogation autour des questions de sur-diagnostic, de critères élargis etc. Du coup, on ne peut douter que cela influence sur la prévalence. Pensez-vous que cette méta-analyse infirme votre document ou bien simplement du fait que ça ne soit que critériologique? La question est posée sincèrement, je ne suis pas là pour "vous" piéger, je m'interroge, il est évident que beaucoup d'Asperger (donc sans DI) n'auraient pas été diagnostiqués autistes il y a 20 ans. Vous parlez d'un tiers notamment au passage du DSM-4, mais il semble quand même dans la méta analyse que la dyade continue à être de moins en moins marquée, y compris depuis le passage au continuum.
On a quand même un résultat tout à fait différent de l'étude suédoise.
Cordialement,
Jean-Philippe PIAT
Un des auteurs lie cela à la demande d'aide, au côté désirable du diagnostic, qu'en pensez-vous?
Vous faites référence à cette nouvelle étude:
http://www.psychomedia.qc.ca/autisme/2019-08-21/diagnostic-prevalence-avis
https://jamanetwork.com/journals/jamapsychiatry/fullarticle/2747847
Elle confirme ce je disais, à savoir que l'augmentation de la prévalence est en partie due à l'élargissement des critères diagnostiques (avant même le DSM5). Et bien entendu, plus les critères s'élargissent, plus la différence moyenne (cognitive ou cérébrale) entre autistes et non-autistes s'atténue.
Après, je n'ai pas d'avis sur le "bon" seuil diagnostic. La question, c'est est-ce que ce seuil permet de bien répondre aux problèmes des gens ou pas? Mottron semble penser que non, qu'on est allé trop loin. Moi je n'ai pas d'éléments pour savoir.
Et bien sûr il y a une réelle demande de diagnostic de la part de certaines personnes, qui y voient une explication et une solution à leurs problèmes (à tort ou à raison, tous les cas existent). Et cette demande induit une pression sur les médecins, surtout dans les pays où un diagnostic médical est la condition sine qua non de l'accès aux soins ou à la compensation du handicap (ce qui est vrai au Canada, mais pas en France).
Merci pour votre réponse rapide, je pense la même chose avec l'idée aussi qu'on a hélas parfois cliniquement abandonné le critère D du DSM qui lie la symptomatologie à l'impact fonctionnel, sans doute parce que ce n'est pas toujours simple à évaluer.
Je pensais à l'étude de Laurent Mottron en effet