L’humanité, plus imaginative que les hommes

L’imagination théorique abstraite me semble souvent moins puissante que l’imagination sociale concrète, la spéculation moins imaginative que l’action. L’observateur, le philosophe politique, dit que la société est arrivée au bout de tel chemin (fin de l’histoire, fin du capitalisme, etc.), qu’il n’y a pas moyen d’aller plus loin - et voilà que quelqu’un, ou un groupe, invente quelque moyen imprévu pour prolonger dans la direction qui était supposée s’être heurtée à un terminus.
Les hommes manquent d’imagination : chacun prend pour allant de soi les mœurs dans lesquelles il a été élevé, les façons de faire qu’on lui a inculquées, n’imagine pas qu’on puisse faire autrement que ce qui s’est toujours fait. Pourtant, l’humanité a une imagination foisonnante : ce qui s’est « toujours » fait, en réalité, est en perpétuel remodelage ; sans cesse et de partout se renouvellent les façons de faire « immémoriales », les pensées, les comportements, les projets, les attitudes admissibles et celles qui ne le sont pas… La synergie des imaginations est infiniment plus grande que la somme des imaginations individuelles.
Je ne crois pas que ce phénomène se réduise au fait que quelques individus, plus imaginatifs que la moyenne, impulsent un mouvement à l’humanité. S’ils étaient seuls à vouloir aller ailleurs, ils prêcheraient dans le désert. Même les gens les plus traditionalistes, figés dans le respect des coutumes, expriment par leurs comportements collectifs une imagination active malgré eux. Contrainte ou volontaire, l’homme est condamné à la créativité !