Un ufologue à « Affaires sensibles » (France Inter)
Mon trajet en voiture pour aller au labo correspond pile à la durée d'un épisode de l'excellente émission « Affaires sensibles », diffusée quotidiennement sur France Inter, que je peux donc alors écouter en podcast. Cette émission revient sur des sujets de société qui ont marqué les 50 dernières années de notre histoire, avec un récit d'une demi-heure suivi d'une discussion avec un invité spécialiste du sujet. Récemment, j'ai écouté celle du 22 décembre 2016 consacrée à « L'OVNI de Cergy, une mystérieuse disparition », dont l'invité était « Franck Maurin, ufologue », auteur d'un livre sur les ovni. J'étais impatient de l'écouter, prêt à analyser et à décortiquer les interventions de cet invité. À l'issue de la partie narrative de l'émission (remarquable, comme très souvent), je me suis donc concentré sur les propos de l’ufologue. J’ai d’abord été déçu de ne pas avoir de réponse à la première question qui m’était venue en prenant connaissance du sujet : c’est quoi un ufologue ? Comment le devient-on ? Qu’est-ce qui donne la légitimité à quelqu’un de se faire appeler un ufologue ?
J'ai ensuite été vraiment très re-déçu par l’ensemble des interventions de l’invité, cet « ufologue » ne livrant qu’une suite de « faits », la lecture de catalogues d'observations bizarres non expliquées, sans le moindre gramme d’analyse. J’invite le lecteur curieux et joueur à tenter l’expérience suivante : écouter l’émission en entier (une heure en tout, ou au pire, la seconde moitié consacrée à l’interaction avec l’invité), puis regarder l’épisode consacré à « l’origine des soucoupes volantes » (20 minutes) sur l’excellentissime chaîne youtube « Hygiène Mentale », afin de se donner deux points de référence sur une échelle de qualité d’analyse…
Bref, j’en reviens à l’émission et je reproduis ci-dessous certains des propos qui m’ont fait réagir, avec mes réactions. J’indiquerai à chaque fois la question posée par Fabrice Drouelle, l’animateur, en ne la reformulant éventuellement que très peu.
Question : « Y a-t-il une vie extraterrestre ? »
C’est une question intéressante, mais elle sort dès le début du champ de compétences de l’invité. Celui-ci répond tout de même en s’appuyant sur ce qu’il a lu sur le sujet et explique que c’est ce que les chercheurs d’exoplanètes cherchent à déterminer. Très bien. Je grince tout de même un peu des dents quand j’entends
« La question est de savoir quel est le pourcentage de planètes habitables dans cette masse. D’après ce que les scientifiques en disent, c’est un pourcentage quand même significatif. Dans le dernier "Science et Vie", ils disaient 10 % mais ça n’a aucune valeur scientifique, ça peut varier du jour au lendemain. »
Déjà, citer "Science et Vie" comme référence scientifique c’est plus que léger (c'est un magazine de vulgarisation scientifique, pas une revue scientifique, et pour connaître les résultats scientifiques il faut absolument aller lire les articles originaux). Ensuite, citer un résultat pour annoncer, la phrase d’après, que ça n’a aucune valeur scientifique, pourquoi en parler dans ce cas ?
Question : « Corollaire de la première question : sommes-nous visités ? »
La question concerne cette fois directement l’invité.
« Alors effectivement c’est une grande question, est-ce qu’il se cache une autre forme de vie intelligente derrière le phénomène ovni. Si vous voulez, on peut partir des faits. [là l’invité déballe un historique des observations d’ovni, avec des observateurs multiples, qui se termine par] « on a vu par exemple une foule de 60 pique-niqueurs qui ont déclaré avoir vu plusieurs formations de disques volants »
L’invité répond ici à une autre question que celle qui lui a été posée et que celle qu’il a lui-même reformulée : il rappelle qu’on dispose d’observations non comprises, alors qu’on lui demande si nous sommes visités.
Question « Alors ils disent disques volants, mais sont-ce des disques volants, ça peut être autre chose, ça peut être des phénomènes naturels, elle est toujours là la question. »
Excellent recadrage de l’animateur ! Réponse de l’invité :
« Oui, il convient de préciser que [plein de formes différentes ont été observées, des sphères, des cigares, des œufs, …] »
L’invité ne répond toujours pas à la question
Extrait d’archive : Jean-Claude Pecker
Les extraits d'archive sont aussi une force de l'émission, qui collabore étroitement avec l'INA. Là, Jean-Claude Pecker relate une expérience qu’il a pu mener, en interrogeant des gens ayant vu tomber ce qu’on a vite identifié comme étant une météorite (on a retrouvé les fragments). Parmi les 300 témoignages récoltés, 10 ont vu des soucoupes volantes et 3 ont fait un dessin avec des hublots.
L’animateur demande à l’invité de réagir sur le fait que des gens peuvent honnêtement penser avoir vu quelque chose qui n’a pas eu lieu. celui-ci répond qu’il faut se tourner vers les organismes qui étudient le phénomène OVNI et les déclarations de témoins sur des échantillons assez larges. Il rappelle que le GEPAN classe les événements en 4 catégories, A à D, de plus en plus solides (photos, radar, etc) mais inexpliqués. Puis il ajoute
« Il reste toujours un résidu de cas inexpliqués, et parmi ces cas inexpliqués, certains sont particulièrement troublants, par exemple certains rapports militaires américains, comme Opinion concerning flying disks [voir ici], un document du général Twiling de l’US Air Force, dès 1947, écrit que le phénomène OVNI est une chose réelle, non fictive ou résultant de visions et il cite les caractéristiques de cet objet (...) »
Là au moins il cite un document que l’on peut lire. Mais en quoi l’opinion du général Twiling est-il pertinente ? Le document lui-même n'offre que peu de réponses autres qu'une opinion forgée sur une accumulation d'observations non comprises et troublantes.
Question : « Oui mais la question que vous devez certainement vous poser, vous aussi, c’est que c’est pas parce qu’il y a des phénomènes inexpliqués (...), on ne peut pas mettre au crédit de l’existence des extraterrestres des phénomènes qu’on n’explique pas. C’est trop facile. »
Merci Fabrice Drouelle ! Voilà en effet la question que je posais à mon auto-radio depuis 10 minutes !! Réponse de l’invité :
« Bien sûr. (...) Trois thèses sont avances, les thèses sceptiques, les thèses militaires, les thèses extraterrestre. (description des déclinaisons des thèses). »
Bref, pas de réponse à la question…
Question « Frank Maurin, vous vous considérez comme un scientifique ? »
Ah, merci aussi pour cette question, qui s’approche un peu de « qu’est-ce qu’un ufologue ». Réponse :
« Plutôt comme un généraliste, puisque l’ufologie n’est pas forcément considérée comme une science, mais au carrefour de toutes les autres, puisque dans une étude de cas ufologique, on peut avoir à étudier l’histoire, des textes anciens, mais aussi des compte-rendus de tracés radar, on peut être amené à faire de l’aéronautique, de la physique, donc ça touche un peu à tout. »
Ces propos ouvrent d’un coup trop de pistes de réponses, en particulier sur ce qu’est une science, et sur ce que les gens imaginent quand on leur dit que quelqu’un est un scientifique. Du coup je réagirai spécifiquement à tout ça dans un autre billet…
Bonjour.
L'émission radio du 22 décembre 2016 (!) j'imagine, sinon j'attends aussi un billet traitant du voyage dans le temps 😀
Merci pour ce regard scientifique sur cette émission radio qui semble bien creuse.
Hum, oui, merci pour la coquille temporelle.
Sinon non, l'émission n'est pas creuse, j'ai trouvé la première partie intéressante !
Vous avez raison; J'ai parlé trop vite; Première partie intéressante.
Par ailleurs, un grand bravo pour tous vos travaux; Je pense aux vidéos de cours.
Très bon billet pour une excellente émission conduite par une vraie voix radio....
L'ufologie.....le nom même de cette "discipline" est une aberration.
Barbarisme, néologisme, anglicisme....
Des phénomènes demeurent inexpliqués certes, mais de là à se réclamer en une discipline n'ayant ni existence ni consistance......
Merci de l'avoir relevé et exprimé.
Votre billet fait des heureux
Quelques précisions sur les questions soulevées :
- Définition : l’ufologie est l’étude des objets volants et phénomènes aérospatiaux non identifiés (selon le dictionnaire Larousse). Il est vrai qu’il aurait été utile de le préciser au cours de l’émission. L’ufologie peut être considérée comme une « discipline » ou un domaine d’étude. La notion reste néanmoins sujette à débat, puisqu’il n’existe pas, à date, d’académie ou de diplômes relatifs au sujet. En outre, que signifie le terme « étudier » ? Une personne qui diffuse publiquement ses recherches dans ce domaine ? En partant sur cette idée, il sera remarqué que les méthodologies et les angles d’approches sont très variés. Concernant les PAN, les principaux axes d’investigation s’orientent généralement vers le recueil de données (témoignages, enquêtes de terrain, articles de presse, études de photos, vidéos, enregistrements radars, rapports militaires…), leur analyse (indices de fiabilité) ou les interprétations.
La ligne directrice de mes travaux (qu’elle soit considérée comme « ufologique » ou non n’a pas de réelle importance, au vu de la largesse et l’imprécision du terme) consiste à établir une chronologie historique documentée de ces énigmes, une étude des sources et à présenter les différentes hypothèses (sceptiques, militaires, exogènes…) notamment pour les cas les plus intrigants (Cf. mon ouvrage : Les mystères du phénomène ovni, édition 2016).
- Pourcentage d’exoplanètes habitables
C’est une question épineuse puisque le nombre d’exoplanètes officiellement détectées à ce jour reste « faible » (3458 répertoriées aujourd’hui sur le site https://exoplanets.nasa.gov/). D’autre part, la notion d’habitabilité reste discutable en raison de la limite des moyens d’observation actuels (le télescope James Webb, disposant d’optiques beaucoup plus précises qu’Hubble, lancement prévu en fin 2018, apportera probablement des données plus fines). En complément de cet article de Science et Vie, qui ne présentait qu’une tendance estimative et temporaire, il aurait peut-être fallu citer d’autres sources, comme les estimations de la NASA. Il pourra aussi être objecté que le terme d’habitabilité pour une exoplanète est souvent défini en fonction de nos propres standards. Si la vie est présente ailleurs dans l’univers, il n’est pas exclu qu’elle se soit développée sous d’autres principes que le carbone ou dans des conditions extrêmophiles inadéquates pour notre biologie.
- Sources et opinion
La radio n’est pas forcément le meilleur média pour exposer des sources complètes et détaillées car, en général : les interview sont courtes, les questions sont nombreuses, non listées au préalable, demandent des réponses rapides et peuvent couvrir des périodes historiques larges sur le sujet. Il est aussi impossible de présenter visuellement des documents aux auditeurs. Néanmoins, l’objection est légitime. Je tâche donc d’y répondre ci-dessous avec plus d’éléments. Pour prendre l’exemple de la vague mondiale d’observation de phénomènes aérospatiaux non identifiés entre 1947 et 1954, voici quelques sources complémentaires ou plus développées.
- Report on the UFO Wave of 1947. Auteur : Ted Bloecher. Collecte d’articles de journaux recensant 850 cas « d’ovnis » relatés dans la presse américaine et canadienne du 15 juin au 15 juillet 1947. L’hypothèse psychosociale suggère des hallucinations, une possible influence médiatique, des canulars, des confusions avec des phénomènes naturels ou des objets conventionnels... Les points intrigants résident dans la description de formes atypiques, comme des disques volants. Or l’un des premiers projets officiel de construction d’un appareil volant discoïdal fut l’Avrocar, programme américano-canadien, 1959, mais ses performances s’avéraient modestes (élévation à environ un mètre et vitesse de 60 kms par heure) et sa manœuvrabilité trop instable, d’où l’arrêt du projet en 1961. Le cinéma de science-fiction américaine n’a pas pu créer le « mythe des soucoupes volantes » puisque les premiers films exploitant le sujet sont apparus trois ans plus tard (The Flying Saucer, de Mikel Conrad et la mini-série The Flying Disc Man From Mars, de Fred C. Brannon, tous deux diffusés pendant l’année 1950). Le rapport de Ted Bloetcher liste par ailleurs de nombreuses observations rapportées par des témoins en groupe, en foule, et/ou des personnes détenant des responsabilités civiles ou militaires élevées ce qui diminue la probabilité de canulars ou d’hallucinations.
- En complément du rapport du Général Twining, plusieurs archives officielles et légalement déclassifiées évoquent des survols de complexes militaires sensibles par des engins aériens d’origine inconnue à cette époque :
* Protection of vital installations, 31 janvier 1949, source FBI
Extraits : « Pendant le mois de décembre 1948, les 5, 6, 7, 8, 11, 13, 14, 20, et 28 des observations de phénomènes inexpliqués ont été faites près de Los Alamos par des agents spéciaux de l’Office of Special Investigations ; des pilotes de ligne ; des pilotes militaires ; des inspecteurs de la sécurité de Los Alamos, et des civils. Le 6 janvier 1949, un autre objet similaire fut observé dans la même zone. » Le rapport évoque des vitesses « Des observations récentes ont précisé que le phénomène non identifié se déplace à une vitesse estimée minimum de trois miles par seconde et un maximum de douze miles par seconde » (soit environ entre 17.000 et 69.000 kilomètres par heure), des formes géométriques « Dans tous les cas sauf un, la forme de ces objets est décrite comme étant ronde, sous la forme d’un point lumineux ayant une surface notable. Un rapport parle d’une forme de diamant ; un autre indique la présence de lumières allongées qui suivent la première. » et des comportements intelligents « Il y a parfois une brusque diminution d’altitude à la fin de la trajectoire et, en deux occasions, un changement »
Si elles ont été correctement estimées, ces vitesses sont plutôt surprenantes, puisqu’à l’époque le record officiel mondial dans était détenu par le moteur-fusée américain Bell-X1 qui a volé le 14 octobre 1947 à environ 1300 kms par heure.
* Objects sighted Over Oak Ridge, Tennessee, document CIA, octobre 1950
Ce document cite la chronologie d’une quinzaine de repérages d’objets volants non identifiés près de la base militaire d’Oak Ridge, évoquant des sources variées : témoignages, photographies, détections radars, prises en chasse… 13 s’échelonnent entre le 1er et 15 octobre 1950. Le rapport exclue les hypothèses conventionnelles : « Néanmoins, les possibilités de plaisanteries, hystérie collective, ballons de toutes sortes, vols d'oiseaux (avec ou sans toiles ou autres objets accrochés), chutes de feuilles, nuages d'insectes, conditions météorologiques particulières, reflets, cerf-volants, objets jetés depuis le sol ou portés par le vent, folie et de nombreux autres phénomènes naturels ont été rejetés à cause de la simultanéité d'observations visuelles et de détections par radar; de la compétence des témoins; des descriptions concordantes d'objets vus par des personnes différentes; et de leur impossibilité. »
D’autres rapports militaires de l’époque (par exemple Conference on aerial phenomena, mars 1949, US Air Force, qui retranscrit l’audition d’un spécialiste des météorites, le docteur Lincoln La Paz sur la base de Los Alamos afin de déterminer si ces objets pourraient être des objets naturels), démontrent que l’armée américaine était passablement inquiétée par ces phénomènes qu’elle jugeait comme réels, même si, publiquement, elle niait leur existence. L’historique des événements pourrait être poursuivi en citant d’autres événements aériens inexpliqués (par exemple, la photo de Carl Hart Jr, Lubbock, Texas, août 1951 qui montre un alignement de 20 cercles lumineux - considérés officiellement comme « un vol de canards » -, l’affaire du carrousel de Washington où des témoins en masse signalent des objets volants sur la capitale qui furent détectés au radar à des vitesses sidérantes et bien d’autres cas qu’il serait trop long de citer et d’analyser) jusqu’à la grande vague mondiale d’observation en 1954. En France, elle a été relatée entre septembre et décembre 1954 par de multiples articles de presse régionale ou nationale (références pouvant être listées si besoin).
Pour formuler mon avis, puisque cela est demandé, je dirais en premier lieu que je doute de l’hypothèse psychosociale. Il m’apparaît anormal, concernant cette époque, qu’une telle masse de témoignages soit uniquement imputable à des confusions, méprises, hystéries de masse… Si ces phénomènes étaient purement irréels, ils ne devraient pas pouvoir être captés sur les radars ou rapportés par des témoins rassemblés, dans certains cas avec des groupes de plusieurs dizaines ou centaines d’individus, décrivant des formes géométriques et des comportements aériens intelligents.
L’hypothèse militaire est envisageable, mais sous condition qu’une nation (les États-Unis ou la Russie ?) ait pu secrètement développer une technologie révolutionnaire expliquant les profils non aérodynamiques et les performances hors normes de ces phénomènes (par exemple voler à des vitesses plusieurs supérieures aux records mondiaux de l’époque). On pourrait aussi penser à des hologrammes, mais cette technologie n’existait pas à cette époque. Même de nos jours, quelques start-up parviennent à produire des hologrammes aériens, toutefois, les motifs restent assez basiques pour l’instant.
« L’hypothèse extraterrestre » n’est pas forcément la meilleure dénomination, car elle est chargée de sens et ne couvre pas toutes les théories exogènes. Mais globalement, je pense que sur cette période historique, il n’est pas exclu, au vu des éléments exposés ici et d’autres, qu’une ou plusieurs « autres intelligences » se soient manifestées. Dans cette supposition, qui, pourquoi et comment demeurent bien sûr des spéculations. En espérant que ces précisions puissent clarifier ma démarche et apporter éventuellement des réponses aux questions soulevées.
Cordialement,
Franck Maurin
Un immense merci d'avoir pris le temps de clarifier un certain nombre de points que j'avais soulevés dans le billet !! 🙂
Je note en particulier que les questions n'étaient pas listées au préalable, j'étais persuadé qu'elles l'étaient dans la phase de préparation. Du coup en effet, je comprends que ce ne soit pas évident de réagir du tac au tac avec LA réponse qu'on aurait voulu donner, si on avait eu le temps de la réflexion...