weightless #3 : gravité artificielle et centrifugeuses
Ce billet s'appuie sur la vidéo suivante, troisième épisode de la série :

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L'hypothèse d'apesanteur introduit des contraintes fortes pour les cinéastes : il faut user de nombreux effets spéciaux et filmer dans des conditions très peu naturelles. Rares sont les films de science-fiction où l'apesanteur, quand elle est présente, ne constitue pas une simple parenthèse anecdotique et amusante. Le cinéaste nous explique alors que, d'une manière ou d'une autre, une pesanteur artificielle a été créée et que l'on peut reprendre l'histoire avec des personnages qui évoluent de façon usuelle, en marchant, courant, sautant, comme ils le feraient sur Terre. Je ne parlerai pas ici des non-explications du style « allumez le générateur gravito-quantique à bicoulisses inversées ! », pour me concentrer sur une possibilité sérieuse et (plutôt) plausible : l'utilisation de centrifugeuses. Si on place une roue de hamster dans une situation d'apesanteur, et qu'on fait tourner cette roue autour de son axe, avec une vitesse angulaire (nombre de tours par minute) constante, le hamster entraîné par la roue est soumis à une force centrifuge qui le plaque contre la roue. Le hamster pourra alors marcher le long de la roue, comme s'il était soumis à une force de gravité dirigée vers l'extérieur de la roue.
Remplaçons le hamster par un astronaute : c'est le principe des roues que l'on voit mises en scène dans « Conquest of space » de Byron Haskin (1955), « 2001, l'Odyssée de l'espace » de Stanley Kubrick (1968) ou « Mission to Mars » de Brian de Palma (2000), par exemple.
En toute rigueur, la situation est plus complexe : les personnages évoluant dans ces centrifugeuses sont aussi soumis à une autre force, appelée « force de Coriolis », aux propriétés très inhabituelles : son intensité est proportionnelle à la vitesse à laquelle on se déplace par rapport à la centrifugeuse, et sa direction est perpendiculaire à la fois à cette vitesse et à l'axe de rotation. Quand on saute vers le « haut », cette force nous entraîne sur le côté. À ma connaissance, cette force n'a jamais été exploitée dans aucun film et je n'en parlerai pas plus (à noter qu'Arthur C. Clarke y fait explicitement référence dans son roman « Rendez-vous avec Rama »).
Concentrons-nous donc sur la force centrifuge qui permet de simuler la gravité. Tout d'abord, on peut montrer que la gravité artificielle ressentie à la distance r de l'axe de rotation dépend de la vitesse de rotation N (en tours/seconde), selon
g = r (2π N)2
On peut alors s'amuser à calculer la pesanteur ressentie dans plusieurs situations proposées par les cinéastes, lorsque le rayon de la roue et la vitesse de rotation peuvent être estimées, et la comparer à la valeur terrestre g = 9,8 m/s2. Le film « 2001, l'Odyssée de l'espace » propose deux situations de ce type : la station orbitale est une grande roue de 280 m de rayon, tournant à 1 tour/minute, et le vaisseau spatial envoyé vers Jupiter contient une centrifugeuse de 6 mètres de rayon tournant à 3 tours/minute. On trouve respectivement g = 3 m/s2 et g = 0,6 m/s2, soit moins d'un tiers et moins d'un quinzième de la pesanteur terrestre. Aucun de ces deux cas n'est donc réaliste, d'un point de vue quantitatif, les personnages ne devraient pas pouvoir marcher de manière « naturelle » comme ils le font dans le film. La scène présentée dans « Conquest of space » est beaucoup plus réaliste de ce point de vue, même si visuellement on peut avoir l'impression que la roue tourne trop vite (mais nous n'avons aucune expérience sur laquelle fonder notre intuition à ce sujet !).
On peut pinailler encore davantage : la force centrifuge est d'autant plus faible que l'on se rapproche de l'axe de rotation, et dans les scènes où l'on voit les personnages se rapprocher (« Mission to Mars ») ou s'éloigner (« 2001, l'Odyssée de l'espace ») de l'axe de rotation, en escaladant une échelle, ils devraient sentir que la gravité artificielle varie au cours de leur descente/ascension, ce qui n'est manifestement pas le cas. En revanche, le fait que la force centrifuge est nulle au niveau de l'axe de rotation donne lui à une belle scène de danse en apesanteur dans « Mission to Mars ».
L'utilisation de ces centrifugeuses présente quelques limites physiologiques. D'une part, si les roues sont trop petites, la différence de pesanteur artificielle entre la tête et les pieds peut poser des problèmes de circulation sanguine. D'autre part le corps ne supporte pas une vitesse de rotation est trop grande : il faut bien noter que le personnage debout sur le bord de la centrifugeuse est bien soumis à une rotation et que son oreille interne la détecte parfaitement. La scène d'« Armageddon » de Michel Bay (1998) dans laquelle un astronaute rétablit une pesanteur artificielle en faisant tourner sa capsule spatiale est donc totalement irréaliste : avec un rayon de 1 mètre, la vitesse de rotation nécessaire pour obtenir une gravité terrestre est d'environ un demi-tour par seconde, ce qui rendrait malade n'importe quel astronaute, même sur-entraîné !
On rencontre au cinéma quelques erreurs fracassantes. Dans « Ender's Game » de Gavin Hood (2013), on voit les personnages sortir d'une centrifugeuse (dans une scène qui rappelle furieusement le film de Kubrick) et continuer à marcher au sol, pour finalement s'élancer en apesanteur. Dans « Moonraker » de Lewis Gilbert (1979), une station spatiale est mise en rotation pour établir une gravité artificielle mais la direction de cette gravité est complètement erronée : si on suit le cinéaste, mettre un disque vinyle en rotation produirait une force qui collerait les objets sur la surface du disque, au lieu de les éjecter vers l'extérieur. La force est « centrifuge », par « solopète » ! (quelque chose me dit que mon néologisme, pour "qui est dirigé vers le sol", ne prendra pas...). Dans « The Green Slime » de Kinji Fukasaku (1968), la station spatiale en forme de roue possède des fenêtres sur le bord extérieur de la roue, c'est-à-dire là où devraient marcher les passagers. Enfin, le film « Elysium » de Neill Blomkamp (2013) met en scène un tore de Stanford, de manière très réussie, sauf que la centrifugeuse est présentée d'une façon qui laisse supposer que l'air peut être retenu par la seule force centrifuge, ce qui n'est pas le cas.
Pour terminer, l'idée de la centrifugeuse est très répandue dans l'allure des vaisseaux spatiaux imaginés par les réalisateurs, même si elle n'est pas explicitement exploitée : on y voit souvent une grande structure en rotation, voir par exemple « 2010 » de Peter Hyams (1984), « Avatar » de James Cameron (2009) ou « Red Planet » d'Antony Hoffman (2000). Dans ce dernier exemple, on voit la centrifugeuse s'arrêter suite à une panne et l'apesanteur s'installer. C'est parfois seulement une grande structure circulaire qui reste, la rotation ayant été oubliée, comme dans « Solaris » d'Andreï Tarkovski (1972) ou son remake « Solaris » de Steven Soderbergh (2002).
Liste des films présentés
- Conquest of Space / Byron Haskin / 1955
- 2001, l'Odyssée de l'espace / Stanley Kubrick / 1968
- Barbarella / Roger Vadim / 1968
- The Green Slime / Kinji Fukasaku / 1968
- Solaris / Andreï Tarkovski / 1972
- Silent Running / Douglas Trumbull / 1972
- Moonraker / Lewis Gilbert / 1979
- 2010 / Peter Hyams / 1984
- Armageddon / Michael Bay / 1998
- Deep Impact / Mimi Leder / 1998
- Mission to Mars / Brian de Palma / 2000
- Red Planet / Antony Hoffman / 2000
- Solaris / Steven Soderbergh / 2002
- Battlestar Galactica (minisérie) / 2003
- Avatar / James Cameron / 2009
- Elysium / Neill Blomkamp / 2013
- Ender's Game / Gavin Hood / 2013
- Europa Report / Sebastián Cordero / 2013
Prochain épisode : la vie quotidienne en apesanteur.
Aïe ... j'ai adoré le précédent billet, il y a dans celui-ci une faute rédhibitoire. Elle m'ennuie d'autant qu'elle est très ancrée dans les esprits, et qu'il est très difficile d'expliquer aux gens la réalité. Et même ayant compris, leur "bon sens" leur dit que quelque chose qui va à l'encontre de ce qui a été entendu mille fois est forcément faux.
Une centrifugeuse est un objet dans lequel les éléments partent vers les bords et fuient le centre. C'est l'inertie qui produit ce mouvement. La force qui s'exerce est la forge centripète, qui empêche les objets de continuer une trajectoire rectiligne (comme au moment où on libère le projectile d'une fronde, si on ignore la gravité terrestre).
La "force centrifuge" citée 5 fois dans cet article n'existe pas.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Force_centrip%C3%A8te
Dans un blog scientifique, une telle erreur vaut largement une correction je crois ...
Quelle est l'origine de cette force ?
Dans mon esprit c'est très clair, il ne s'agit pas d'une force, mais de l'inertie.
On reste bien en accord avec le principe fondamental de la dynamique, non ?
Merci de m'éclairer si je suis réellement dans les limbes ...
Pour faire de la physique dans le référentiel tournant, plus précisément pour y appliquer la relation fondamentale de la dynamique, il faut introduire ce qu'on appelle des forces d'inertie, dont la force centrifuge fait partie. Qu'on l'appelle une « vraie » force ou pas ne m'intéresse pas, pour dire les choses franchement, mais elle doit être présente dans la description depuis le référentiel tournant.
C'est un excellent article, mais une chose me chiffonne. Vous écrivez :"le personnage debout sur le bord de la centrifugeuse est bien soumis à une rotation et que son oreille interne la détecte parfaitement". Que détecte l'oreille interne exactement ? J'imagine qu'il s'agit de l'équivalent d'un accéléromètre. Je ne parviens pas à imaginer une autre grandeur physique mesurable localement. Aussi je ne pense pas que l'oreille interne puisse détecter la vitesse de rotation. Je me trompe ?
Bonsoir,
Attention, ce qu'on appelle "vitesse de rotation" n'est pas une vraie vitesse, mais la variation d'une position angulaire. Dans un référentiel tournant, les corps sont soumis à des accélérations supplémentaires ! Je ne suis pas oreillologue et je ne me sens pas assez expert pour vous dire comment marche l'oreille interne, mais je peux vous assurer que physiquement, la rotation conduit à des effets mesurables, et qu'on peut affirmer qu'on est dans un référentiel tournant !
Un oreillologue ??
Et bah, juste petite rectification parce que ça m'irrite.
Les professionnels qui s'occupent des oreilles et de l'audition s'appellent des ORL (Oto-Rhino-Laryngologie).
À mon humble avis se sont les plus compétents pour une explication de l'oreille interne. Il pourrait être aussi possible qu'un neurologue puisse expliquer plus en détail ce phénomène.
Mon emploi du terme oreillologue était une tentative d'humour...