weightless #6 : science fantaisiste

24.09.2014 | par Richard Taillet | Regards

Ce billet accompagne la vidéo suivante, sixième épisode de la série « Weightless », consacrée au traitement de l'apesanteur dans les films de science-fiction :

weightless_06

Cliquer pour accéder à la vidéo (HD1080p), en accès libre et gratuit (je recommande de télécharger la vidéo plutôt que de la visionner en streaming).

J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer la frustration ressentie devant un film de science-fiction qui commence par une énorme erreur de physique, en m'intéressant au cas de « Sunshine ». Le problème n'y est pas tant qu'on y trouve des affirmations fausses, au sens de la physique du monde dans lequel on vit, mais qu'on essaie de nous convaincre que ces choses sont effectivement plausibles, dans notre monde. Un excellent contre-exemple de cette attitude est fourni par « Upside Down », qui démarre par l'hypothèse qu'un monde, ailleurs, manifestement singulier, est soumis à deux gravités, une dirigée vers le haut, l'autre vers le bas. L'ensemble du film explore cette hypothèse et nous invite à un jeu logique intéressant, tout en nous présentant des propositions visuelles très réussies, à mon sens. Bref : un bon film de science-fiction n'est pas nécessairement fondé sur des lois physiques correctes.

En revanche, si un réalisateur propose un nouveau jeu de lois physiques, on s'attend à ce qu'il les utilise de manière cohérente. Ce n'est pas le cas dans « Outland », où Peter Hyams imagine une prison équipée de cellules zéro-G, dans laquelle les prisonniers sont donc en apesanteur. Pourquoi pas, on accepte cette hypothèse de travail et on regarde le film sans broncher, jusqu'au moment où l'on voit, dans une de ces cellules, une goutte chuter vers le haut. Pourquoi n'est-elle pas en apesanteur ? Pourquoi chute-t-elle dans cette direction particulière ?

Le cas du film « Sunshine », évoqué au début, est un peu particulier car le réalisateur Danny Boyle a plusieurs fois mis en avant le fait que son film avait été conçu en concertation avec des scientifiques, la publicité du film a beaucoup joué sur la participation technique de Brian Cox, physicien et vulgarisateur de talent. On peut notamment accéder à une intervention commune de Boyle et Cox (plus de 10 ans après la sortie du film) ici. Du coup, il est difficile de laisser passer des erreurs de physique, surtout quand elles sont aussi grossières : dans une scène de Sunshine, on voit des personnages accéder au sas d'un vaisseau, depuis l'extérieur, en apesanteur (jusque là tout va bien) puis les personnages se coller au plafond dès que la pression est rétablie dans le sas. Le réalisateur confond les forces de pression et la gravité. Cette erreur rabaisse la scène (pas le film) au niveau du peu glorieux « The Doomsday Machine » dans lequel une erreur très similaire est mise en scène (c'est un bien grand mot au vu du résultat, mais bon). Elle est d'autant plus surprenante, de la part de Danny Boyle, que la même scène était traitée (de façon correcte) par Stanley Kubrick dans « 2001, l'odyssée de l'espace », que Danny Boyle a vu et évoque explicitement dans ses interventions publiques. Autre erreur grossière vue dans Sunshine : un personnage gèle instantanément lorsque, privé de casque, il est directement soumis au vide de l'espace. Une estimation s'appuyant sur les lois élémentaires de la thermodynamique montre que le temps typique que mettrait un personnage à geler serait de l'ordre de quelques heures, et non une seconde comme on le voit dans le film. La même erreur est montrée dans « Mission to Mars ».

Mais ce n'est même pas ce qui me gêne le plus. En ayant (re)regardé quelques dizaines de films de science-fiction pour préparer cette série, je suis parvenu à mettre le doigt sur ce qui vraiment, vraiment, me dérange : dans presque tous ces films, arrive un moment où le réalisateur se sent obligé de nous imposer un mini-cours de physique. Enfin, d'essayer, car il n'est généralement pas du tout physicien, et je pense même que la physique ne l'intéresse pas vraiment au final (ni les spectateurs, probablement) : le mini-cours est là pour donner l'illusion que tout est rigoureux. Avec la couleur de la science, le goût (amer) de la science, mais de la science de pacotille. Je prendrai le temps de revenir en détail sur ce point dans un prochain billet, et sur ce que ça dit, à mon avis, de la place de la science dans notre société et notre culture. En attendant, la vidéo montre trois exemples de physique de cabaret, dans « Solaris » (1972), « Solaris » (2002) et « Sunshine » (2007).

Ce billet signe a priori la fin de cette mini-série, mais j'ai une confiance totale dans la capacité des cinéastes à nous étonner, et je ne garantis pas que l'histoire s'arrête vraiment ici... En attendant, à vos films !

 

Liste des films présentés

  • 2001, l'Odyssée de l'espace / Stanley Kubrick / 1968
  • Solaris / Andrei Tarkovski / 1972
  • The Doomsday Machine / Harry Hope/ 1972
  • Outland / Peter Hyams / 1981
  • Mission to Mars / Brian de Palma / 2000
  • Sunshine / Danny Boyle2007
  • Solaris / Steven Soderbergh / 2002
  • Upside Down / Juan Solanas / 2012

5 commentaires pour “weightless #6 : science fantaisiste”

  1. stefjourdan Répondre | Permalink

    J'ai vu il y a très longtemps un film qui racontait le casse d'une banque. Le coffre de la banque était protégé par une enceinte sous vide. Les cambrioleurs, qui avaient bien entendu loué ou emprunté des scaphandres, se mettaient à flotter après avoir pénétré dans l'enceinte. Malheureusement je n'ai aucune autre indication sur le film, à part que c'est certainement un film américain, des années 70 je dirais... bien à vous

    • Richard Taillet Répondre | Permalink

      Bonjour,

      Merci pour cette information, je suis suuuper intéressé par toute information complémentaire, du coup, si quelqu'un en a ! Je vais chercher de mon côté.

      Merci !! 🙂

  2. webshinra Répondre | Permalink

    C'est amusant, dans sunshine, j'ai raisonné en imaginant que la commande de la gravité artificielle était couplée avec celle de la pressurisation. Il me semble bien que les personnages souffrent leur poids tout le film sauf les séquences en extérieurs non?

    • Richard Taillet Répondre | Permalink

      C'est une proposition intéressante... Je me suis dit que vu le soin avec lequel le réalisateur a indiqué que la pression était rétablie, il aurait pris le même à nous dire que la gravité aussi, mais effectivement c'est un moyen de s'en sortir. En tout cas, la confusion vide/gravité me semble suffisamment répandue pour que le réalisateur nous donne un indice de plus, vu qu'il donne des explications (pseudo-)physiques à plein d'autres moments du film.

      Merci en tout cas pour votre remarque !

  3. Taki Répondre | Permalink

    Pour Sunshine, à 24'10 au niveau de l'erreur au niveau de la chute dans la simulation, je me demande s'il n'y a pas eu un changement du rôle des boosters entre la conception du modèle et son usage dans le film :
    vu la forme de coupole qui est collée contre, la personne qui l'a modélisé au départ aurait pu concevoir que ces booster serviraient de mode d'éjection de la partie habitée pour l'arracher du champs gravitaire du soleil. Même si dans ce cas de figure la quantité de g serait fatale pour ses occupants, mais on est pas à ça prêt ...

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