A propos d’atomes et de molécules, évitons les anachronismes

Note préliminaire : tout ce qui est dit ici est fondé sur une note de recherche historique que l'on trouve ici :

https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/n3af-note-de-recherche-des-cristaux-dauguste-laurent-et-des

 

Quand Louis Pasteur sort de l’École normale supérieure et qu'il effectue ses premiers travaux de cristallographie, sous la direction d'Auguste Laurent, professeur de chimie de Bordeaux en visite sabbatique dans le laboratoire de Balard, il utilise parfois, comme les scientifiques de son temps, les mots "atome" et "molécule".

Pour autant, il y a lieu d'être très vigilant et de ne certainement pas considérer que ces mots désignent les atomes et molécules auquel nous pensons aujourd'hui !

D'ailleurs, quand on lit les textes du jeune Pasteur (fin des années 1840), on voit même des phrases où il désigne un même objet soit par le mot atome, soit par le mot molécule, soit par le mot particule.
C'est bien la preuve qu'il ne faisait pas la différence entre ces objets (comme les scientifiques de son temps), et c'est aussi la preuve que ces mots ne désignaient pas ce que nous désignons aujourd'hui par atomes et molécules.

Le mot "molécule" avait été notamment utilisé par René-Just Haüy, un des pionniers d'un cristallographie, qui avait vu un petit cristal dans un gros cristal cassé, et qui avait fait l'hypothèse qu'il en était pour les cristaux comme pour les poupées russes, à savoir qu'il s'agissait de structure emboîtées ; il avait imaginé que les cristaux puisse être constitué de "molécules intégrantes", ou "cellules intégrantes", comme de très petits cristaux.

Au moins jusqu'en 1860, les chimistes ne pouvaient pas avoir des idées plus claires, Pasteur compris.

Les notions modernes d'atomes et de molécules ne sont apparues qu'après 1860, quand Charles Adolphe Würtz et Friedrich Kékulé, notamment,  organisèrent le Congrès mondial des chimistes, à Karlsruhe : Stanislao Cannizzaro fit alors circuler un remarquable mémoire où il partait des idées d'Amadeo Avogadro, pour établir, donc, les notions modernes d'atomes et de molécules... qui mirent des décennies à s'imposer.

De ce fait, quand Pasteur utilise l'expression "dissymétrie moléculaire" (d'ailleurs après Jean-Baptiste Biot), ce n'est certainement pas de chiralité dont il s'agit, mais bien de dissymétrie qui serait dû à des structures petites dans les cristaux.

Il y a donc lieu de toujours préciser, par exemple par des guillemets, quelle est l'acception du mot atome ou molécule que l'on utilise quand on parle de travaux anciens de chimie. Sans quoi, nous risquons l'anachronisme, pour nous et pour ceux à qui ne nous adressons.

Il y a des hagiographes, notamment de Pasteur, qui n'ont pas fait cette différence, et leurs éloges sont donc sapés à la base pour ce qui concerne les travaux sur la rotation de la polarisation de la lumière par les cristaux.

Ce que je dis de Pasteur, peut être être dit pour d'autres chimistes de la même époque, et notamment Auguste Laurent ou Jean-Baptiste Biot, qui furent les principaux artisans des progrès théoriques qui conduisirent à la notion de chiralité, introduite bien plus tard, après le début du 20e siècle.

Biot était un personnage vraiment remarquable, qui développa l'étude de la polarisation de la lumière en relation avec la chimie. C'était un vrai grand physico-chimique qui prépara le terrain pour Auguste Laurent, puis pour Louis pasteur et bien d'autres. Biot était passionné par les sciences au point de bien présenter aux scientifique français les travaux des scientifiques étrangers relatifs à ses sujets d'intérêt. Il était d'ailleurs même si passionné qu'il fit exploser son laboratoire alors qu'il étudiait la polarisation de la lumière par une vapeur d'essence de térébenthine, mise dans le tube avec lequel il étudiait habituellement des liquides.

Je ne dis pas qu'il faut être un terroriste pour être un bon chimiste, mais il faut en tout cas, il y a de l'audace (et du danger) à s'aventurer à faire des choses que les autres ne font pas parce que l'on a, chevillé au corps, la volonté d'explorer la nature.

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