À propos des caractéristiques moléculaires de la vie.

L'année de commémoration de la naissance de Louis Pasteur étant bien entamée, et ayant publié plusieurs articles à propos des travaux de cet homme, je suis maintenant en mesure de mieux discuter une question qui a retenu l'attention de Pasteur au début de sa carrière : la caractéristique "moléculaire" (on verra plus loin pourquoi je mets des guillemets) de la vie.

Jeune étudiant en physico-chimie, Pasteur avait été conduit par son tuteur, le chimiste Auguste Laurent, a explorer l'activité de certains composés, tel un des trois acides tartriques, sur la polarisation de la lumière.

Et c'est ainsi qu'il eu l'occasion de voir que de nombreux composés du vivant faisaient tourner la polarisation de la lumière dans le même sens. Ce n'est pas Pasteur qui a découvert cela, mais il resta quelques années fixé sur cette idée, qui guida ses recherches à cette époque, c'est-à-dire un peu avant 1850 et jusque vers 1860.

En réalité, cette hypothèse conduisit Pasteur dans un cul-de-sac scientifique, car tous les composés du vivant ne sont pas ainsi "chiraux", terme anachronique puisque la chiralité n'a été découverte que bien plus tard. Mais, bloqué, Pasteur fut conduit à changer de voie de recherche et à s'orienter vers l'étude des fermentations, pour lesquelles il a eu du succès.

Pourquoi ne faut-il pas être anachronique ? Parce que, dans les années 1850 et suivantes, on confondait atomes, molécule, particules, corpuscules... et c'est bien plus tard, vers la fin du 19e siècle, que les chimistes purent enfin mettre des mots que nous avons aujourd'hui sur les objets qu'ils exploraient et qu'ils décrivaient de façon très indistincte jusque là, nouvelle preuve s'il en est que les mots c'est la science et la science c'est les mots, comme le disait si bien Antoine Laurent de Lavoisier.

On sera donc particulièrement attentif à bien discuter les travaux de Pasteur avec les bons mots, et ce serait tout à fait injustifié et ambigu que de parler de "dissymétrie moléculaire", car Pasteur n'avait pas l'idée de molécules comme je l'ai dit. Ou du moins, il avait une idée de molécules analogue à celle des "molécules intégrantes" de René Just Haüy, l'un des pères de la cristallographie.