A propos des composés du goût

Une question, à propos des "molécules du goût" :

Connaissez-vous un livre mettant en corrélation les sols, les molécules des goûts, les molécules identiques identifiées dans plusieurs catégories de plantes. Et en 2 un livre avec des goûts ne pouvant pas se mélanger

 

La question est venue sur Twitter, et j'ai répondu, toujours sur Twitter, mais en quelques dizaines de caractères seulement.
Or j'ai compris qu'il fallait prendre le temps de faire mieux, parce que la question était symptomatique.

Commençons une réponse en discutant les "molécules du goût" : le goût est une sensation synthétique, qui résulte de la perception de saveurs, d'odeurs, de couleurs, de consistances, de températures, et autres.
Pour les saveurs, il y a composés dont les molécules sont actives, tel le saccharose (sucre de table), mais il y a aussi des minéraux, tels les ions sodium, qui ne sont pas des molécules, mais des ions. Pour mette tout cela sous un même chapeau terminologique, on aurait pu parler d'espèces chimiques des saveurs.
Pour les odeurs, et je parle ici de celles que nous avons par voie rétronasale, par les canaux qui relient la bouche au nez, à l'arrière de la bouche, il y a effectivement des composés odorants, qui sont de nature moléculaire.

La relation entre un sol et les espèces chimiques à action gustative d'une plante qui pousse sur ce sol ? C'est la question du "terroir", et elle est immense.
D'abord, il y a la question des ions du sol captés par les plantes... et qui auront une action sapide.
Puis il y a des croissances différentes sur des sols différents, et cela est exploré depuis des décennies pour la vigne, l'olivier, et bien des produits végétaux ou d'origine végétale. Par exemple -un exemple parmi mille- j'ai participé au jury d'une thèse qui explorait la composition de fraises, en fonction du sol, de l'année de croissance, etc.
La question, aujourd'hui, est associée au terme "métabolomique", et je trouve 45 millions de pages Google qui incluent ce terme (en anglais). C'est trop... et c'est bien l'indication qu'il faut préciser la question.

Puis, mon interlocuteur me parle de "molécules identiques identifiées dans plusieurs catégories de plantes" : là, on aurait dû parler de "composés", plutôt que de molécules (voir ), mais même en limitant aux composés ayant une action gustative, il y a beaucoup trop pour un livre.
Pour les odeurs, une bonne introduction est le Handbook of odors, paru il y a quelques années. Un gros livre.
Mais, au fait, au delà de la question finale, quelle est la question ? Je veux dire : par quoi la question finale est-elle motivée ? La réponse à cette question plus fondamentale permettrait de mieux répondre.

Car "des composés identiques dans plusieurs plantes", c'est la quasi totalité des composés des plantes : eau, cellulose, pectines, saccharides, lipides, protéines, métabolites secondaires... Pour qu'une plante vive, il faut tout un arsenal... qui sera présent dans les autres plantes.
Et ce sont pour des métabolites secondaires que l'on aura des différences, raison pour laquelle j'invite mon interlocuteur à assister à la séance que nous avions organisée à l'Académie d'agriculture de France, à propos de plantes toxiques.

Enfin, vient la question à propos de goûts que l'on ne pourrait pas mélanger.

Là, ce n'est pas une question de chimie, mais une question artistique.
Un composé odorant dans un aliment, c'est comme une couleur sur un tableau, comme une note de musique dans une partition. Et un second composé odorant, c'est comme une autre couleur à côté de la première, ou mêlée à la première, une autre note de musique derrière l'autre ou jouée en même temps que la première.
Et là, tout est possible : certains n'aiment pas le bleu avec le jaune, mais d'autres l'aiment ; certains n'aiment pas le fa dièse après le mi, mais le génie de Jean-Sébastien Bach l'a fait aimer à beaucoup.
Bref, la question artistique n'est pas une question technique, mais une question artistique, en termes de goûts personnels.
De sorte que l'on peut tout mélanger.
J'ajoute que, dans le Handbook of molecular gastronomy, publié chez CRC Press, nous avons publié un chapitre qui dit bien, arguments expérimentaux à l'appui, que la théorie du "food pairing" (appariement d'ingrédients) ne tient pas (d'ailleurs, on observera que ce sont de prétendus experts qui la soutiennent).
Oui, on peut tout mélanger, à notre choix artistique !

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