Comprenons ce que nous disons, et ne faisons pas porter aux sciences le chapeau des applications !
On m'interroge (et pas sans arrière pensée) :
Dire qu’il y a une chimie du goût, n’est-ce pas une façon de légitimer un usage raisonné de la chimie aussi dans la fabrication des aliments ?
Oui, on m'interroge avec cette phrase et je pressens que mes interlocuteurs voudraient que je réponde par l'affirmative.
... mais ils oublient que je sais lire et, surtout, que je m'interroge sans cesse sur le sens exact des mots.
Avant de répondre, il y a donc lieu de d'examiner la chose lentement.
Commencerons par cette "chimie du goût" : de quoi s'agit-il ? Si c'est de la chimie, c'est donc une science de la nature, une activité qui cherche à comprendre les mécanismes des phénomènes.
Or le goût est un phénomène de nature sensorielle ; il résulte de la mise en œuvre de tout un ensemble de molécule qui permettent in fine de percevoir des composés variés présents dans les aliments : cela va de la liaison d'un composés odorant ou sapide à un récepteur des papilles ou du nez, puis à l'activation d'une série d'enzymes et d'autres composés, qui déclenchent la propagation d'un signal électrique dans les cellules nerveuses, avec des mouvements d'ions variés, puis, finalement, des traitements cérébraux de nature parfaitement chimique et physique.
Mais si l'on étend un peu l'expression « chimie du goût », alors on peut imaginer que l'on va jusqu'à l'exploration des phénomènes chimiques qui ont lieu lors de la construction des goûts de l'aliment, l'ensemble des phénomènes chimiques et physiques qui concourent à l'apparition de molécules sapides, odorantes, etc., ainsi qu'à leur libération particulière. Là, à nouveau, il y a à comprendre des mécanisme, donc à faire une exploration scientifique qui a pour nom gastronomie moléculaire et physique.
La fabrication des aliments, maintenant, c'est... la fabrication des aliments, une activité technique.
Evidemment, on peut se fonder sur des connaissances obtenues par les sciences de la nature pour faire cette construction non plus de façon traditionnelle, mais de façon modernisée, fondée sur les connaissance de la gastronomiqe moléculaire. Oui, la technique peut progresser en se fondant -via la technologie- sur les résultats des sciences de la nature.
Tout cela étant dit, la "chimie du goût", comme disent mes interlocuteurs, peut-elle légitimer l'usage raisonné de la chimie ?
Et la réponse est : en aucune façon !
Oui, imaginons un usage raisonné des connaissances de la chimie qui conduirait à fabriquer des poisons : comment peut-on imaginer que la science légitimerait une action aussi détestable ?
D'ailleurs, la science est une activité, et pas une personne, de sorte que ce n'est pas à elle de faire la loi, de légitimer. La responsabilité des actions humaines incombe à des humains !
Oui, toute la question ici posée est dans ce "légitimer" : il serait malhonnête de faire porter aux sciences de la nature la responsabilité des applications que l'on en fait !
Tout comme il serait malhonnête de faire porter à la physique la responsabilité d'Hiroshima : cette dernière incombe seulement à ceux qui ont construit la bombe et qui l'ont lâchée ; pas à la physique, pas aux physiciens.
Ne faisons jamais porter aux sciences le chapeau des applications que fait la technique.