Conducteur, mécanicien, chef de projet

C'est un fait que nombre d'étudiants restent mal fixés à propos de la carrière qu'ils feront, alors même qu'ils sont largement engagés dans des études. Comment les aider ?

 

Très récemment, lors d'un cours à des étudiants de master, j'ai bien mieux compris qu'il fallait distinguer des conducteurs de voitures et des mécaniciens, notamment à propos de physico-chimie.
Et, d'autre part, nous avons bien fait la différence entre un ingénieur "technologique" et un ingénieur chef de projet.

 

Un cas pour mieux comprendre

Tout est parti d'une expertise que j'ai faite (gratuitement) pour une société qui fabrique des gâteaux au chocolat (notamment) dans l'Ouest de la France : certains de leurs gâteaux avaient une espèce de fleur blanche sur le dessus, et les (petits) industriels n'avaient pas les moyens de comprendre les raisons qui causaient des retours de leurs produits, et une perte de réputation.
L'analyse physico-chimique n'a pas été difficile : il m'a fallu moins de cinq minutes pour identifier qu'il y avait un problème de moisissures, qui se formaient sur des produits contenant beaucoup d'eau et qui étaient emballés sous des films plastique : le problème résultait de la condensation de l'humidité de la pièce de ressuyage, là où on stocke les produits après la cuisson et avant le conditionnement. Car on sait -quand on a appris la chimie- que des produits chauds refroidis dans une atmosphère humide se chargent d'eau en surface. Or les micro-organismes prolifèrent quand ils disposent d'eau, de nutriments, de chaleur.

Sans ces idées, les industriels imaginaient une foule de causes possibles, tels des changements de la qualité des oeufs, des irrégularités des fours, etc., mais les oeufs sont des oeufs, de composition quasi constante, et le seul changement important dans la production, précédent l'apparition du problème, avait l'agrandissement de la pièce de ressuyage, et sa ventilation insuffisante, qui chargeait l'atmosphère d'humidité.

 

Nous avions là un cas concret pour aider les étudiants à se déterminer, pour leur carrière.

 

Chef de projet, tout d'abord, cela consiste surtout à être le chef d'orchestre, d'assurer le planning, de connaître le procédé afin de gérer les flux : pas besoin de savoir établir l'équation de Laplace (qui donne la pression dans une bulle d'air d'une mousse), pas besoin de connaître la formule chimique de l'amylopectine... Et, en cas de problème, il faut surtout savoir consulter, ce qui d'ailleurs avait été fait par l'industriel évoqué plus haut. Là, pour la physico-chimie, on est plutôt conducteur, pas mécanicien.

Inversement, si l'on veut être un ingénieur "mécanicien", il y a lieu d'avoir une véritable compétence technique, de dépasser la gestion d'une production.

 

Une deuxième leçon à tirer de notre séance avec les étudiants de master, c'est que la considération de la physique ou de la chimie "avec les mains" ne suffit pas, et le meilleur exemple à donner est l'analyse que j'avais initialement faite à propos des soufflés en 1980.

A l'époque, quand j'avais raté un soufflé, le 16 mars, la théorie en vigueur était que les soufflés auraient gonflé parce que les bulles d'air des blancs en neige se seraient dilatées à la chaleur.
Mais, avec cette théorie, on est incapable de comprendre pourquoi un soufflé peut ne pas gonfler, car si le soufflé contient des blancs en neige, celles-ci devraient se dilater lors de la cuisson, non ?

Ce que j'ai découvert -et cela semble évident a posteriori, c'est que les soufflés gonflent surtout en raison de l'évaporation de l'eau, au fond des ramequins.

Imaginons que nous soyons en face de deux théories concurrentes : laquelle choisir ? Cela ne se fait que de façon quantitative, avec des mesures, des équations, de la théorie donc.

D'où l'intérêt de ne pas s'arrêter à de vagues discours sur les notions possibles : il faut aller jusqu'à l'appréciation quantitative des phénomènes.

Et, pour cela, il faut un corpus théorique, des compétences de calcul matriciel, de calcul différentiel et intégral, de statistiques, etc.

Finalement, c'est quand on dispose de l'équation qui décrit théoriquement le phénomène que l'on peut identifier les paramètres sur lesquels on pourra jouer pour diriger les évolutions.
Par exemple, si l'on considère l'équation qui donne la vitesse de sédimentation en régime stationnaire (la vitesse d'une particule qui tombe vers le fond d'un liquide, passé les brefs instants initiaux d'accélération), on peut voir que cette vitesse dépend de la taille des particules, de la viscosité du liquide, de la densité relative des particules par rapport au liquide... Ayant ces paramètres, on est en mesure de décider comment accélérer ou ralentir les sédimentations.

 

Finalement

Le mécanicien est celui qui sait retrouver cette équation, et le conducteur de voiture est celui qui apprend à utiliser l'équation qu'il ne démontre pas.

Là, avec ces exemples, je suis heureux que les étudiants aient réussi à se situer, à se déterminer. Bien que la connaissance ne soit jamais inutile, bien qu'on ne soit jamais assez savant, il est bon de savoir l'objectif que l'on s'est fixé.

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