Discussions avec un ami, après un billet d’analyse des recettes de pâtisserie
Après lecture du billet de blog "Modifions les recettes", un ami me pose quelques questions.
Ce billet se trouve ici :
http://hervethis.blogspot.com/2022/11/modifions-les-recettes.html
Mais je rappelle brièvement la question : pour des pâtisseries de type génoise ou gâteau de Savoie, il est question de fouetter des jaunes d'oeufs avec du sucre, d'une part, d'ajouter des blancs en neige, d'autre part, puis farine, beurre fondu, poudre d'amande (pour les génoises : https://nouvellesgastronomiques.com/la-genoise-elle-doit-contenir-des-amandes/)
Et ma proposition était surtout de garder une partie du sucre pour l'ajouter aux blancs battus en neige.
La première question :
D'accord pour les blancs, mais pourquoi est-il préférable d'ajouter du sucre aux jaunes en les battant ? Est-ce le même phénomène et mécanisme que pour le battage des blancs avec le sucre ?
Et mon ami de chercher une réponse (ce qui est quand même merveilleux !) :
Le blanc, c'est 90% d'eau et 10% de protéines ; le jaune c'est 75% d'eau, 15% de protéines et 10% de matières grasses. Hormis la matière grasse la composition du jaune est similaire au blanc. Si je prends de l'eau et que je mélange avec du beurre fondu ou de l'huile cela ne fait pas de mousse et cela ne deviens pas plus ferme. Donc dans le jaune battu qui fait le ruban c'est bien de l'air qu'il y a dedans qui change sa texture et c'est bien dû aux protéines de même que pour le blanc. En présence de sucre le même phénomène devrait s'appliquer (il me faudrait un microscope). De nouvelles questions apparaissent : le raffermissement de la mousse est-il dose dépendant à la quantité de sucre ajouté ? Si oui, en divisant en deux la masse initiale de sucre prévu à t-on réellement un gain si l'on gagne d'un côté mais que l'on perd de l'autre ?
Ici, mes commentaires sont les suivants :
1. d'abord dans le détail, oui, le blanc d'oeuf, c'est 90 % d'eau et 10 % de protéines, mais pour le jaune, les proportions sont plutôt 50 % d'eau, 13 pour cent de protéines et 35 % de "lipides".
Mais là, je me vois donner un argument d'autorité, ce qui ne vaut rien, et, personnellement, je préfère aller chercher une bonne référence dans mon stock. Je trouve par exemple (au hasard, parce que j'ai beaucoup de textes qui donnent l'information : Larsen JE, Froning GW. 1981. Extraction and Processing of Various Components from Egg Yolk, 1981 Poultry Science 60, 160-167.
De sorte qu'il y a une différence entre jaune et blanc : les "lipides" sont soit des triglycérides, soit des phospholipides, mais, surtout, à quoi bon vouloir que les deux compositions soient "semblables" si elles ne le sont pas ?
2. je lis "Si je prends de l'eau et que je mélange avec du beurre fondu ou de l'huile cela ne fait pas de mousse et cela ne deviens pas plus ferme", et je m'interroge : "mélanger de l'au avec du beurre fondu" ???? D'ailleurs, il y a plein de façons de faire non pas un mélange, mais disons un ajout, et si l'on ajoute du beurre fondu dans de l'eau, en fouettant, on peut faire une émulsion... qui deviendra plus ferme. Mais je ne vois pas le fil du raisonnement : où mon ami veut-il aller avec cette observation ?
3. Et voici un "Donc dans le jaune battu qui fait le ruban c'est bien de l'air qu'il y a dedans qui change sa texture et c'est bien dû aux protéines de même que pour le blanc." qui mérite un premier commentaire, à savoir que le "Donc" est indu. En revanche, oui, le ruban, c'est bien une mousse... et d'ailleurs, on voit les bulles à l'oeil nu (et aussi au microscope).
De là à conclure que ce sont les protéines qui sont responsables, ce n'est pas légitime, car il y a aussi les phospholipides (et je rappelle qu'un savon fait mousser l'eau alors qu'il ne contient pas de protéines). Mais oui, ici, les protéines sont essentielles. Tiens, à propos : Wang G, Wang T. 2009. Effects of yolk contamination, shearing and heating on foaming properties of fresh egg white, Journal of Food Science, doi: 10.1111/j.1750-3841.2009.01054.x
4. Et pour "le raffermissement de la mousse est-il dose dépendant à la quantité de sucre ajouté ?", je laisse mon ami faire l'expérience.
La deuxième question, maintenant :
À ce propos, pourquoi les bulles des blancs montés sont-elles plus petites quand on ajoute du sucre ?
Mon ami répond lui même :
"Je ne vois pas, car le sucre forme des liaisons avec l'eau or l'eau est le facteur limitant pour obtenir plus de foisonnement dans les blancs montés (un chaptal). Mais des bulles plus petites ne veulent pas dire plus d'incorporation d'air. On incorpore donc moins d'air quand il y a moins d'eau. Ajouter du sucre reviens à diminuer la quantité d'eau qui sert de phase continue dans laquelle il y a des protéines en réseau qui maintiennent des bulles d'air. En diminuant cette eau la structure rétrécit : est-ce que c'est cela ?"
Là, je ne comprends pas bien son analyse. Oui, les molécules de sucre se lient aux molécules (par des liaisons hydrogène, faibles, aussi faibles qu'entre des molécules d'eau). Oui, l'eau est le facteur limitant pour obtenir plus de mousse de blanc d'oeuf. Mais la relation avec la taille des bulles ?
Disons surtout que c'est la viscosité augmentée du liquide, quand du sucre est dans l'eau, qui conduit à des bulles plus petites, le cisaillement étant en quelque sorte plus efficace (effet "Israelachvilli). Et ajouter du sucre de diminue pas la quantité de phase continue... mais l'augmente (un phénomène secondaire).
La morale de cette affaire ?
1. Je trouve merveilleux que l'on cherche à répondre aux question que l'on se pose.
2. Mon ami aurait raison d'aller plus lentement, dans ses raisonnements, et, notamment, je lui propose de bien vérifier les prémisses avant de tirer des conclusions.
3. Je retrouve un phénomène déjà observé souvent avec des étudiants de physico-chimie : je ne suis pas certain que la "physique avec les mains" soit possible sans le calcul, et je rappelle que Pierre-Gilles de Gennes, comme Richard Feynman, fondaient cela sur du calcul, des références solides. Sans quoi le phénomène de la tache aveugle... nous éblouit (ici, ne pas considérer l'importance de la viscosité dans le foisonnement, alors qu'elle est essentielle).