Le goût d’un plat : cela se construit !

Le goût d'un plat ? Il se construit !  J'ai peur de ne pas l'avoir expliqué suffisamment : le goût d'un plat est quelque chose qui se construit, sans s'arrêter à une juxtaposition de quelques ingrédients élémentaires.

Expliquons cela en considérant, par exemple, la confection d'un sabayon à la pomme.

Il faut d'abord l'objectif : un sabayon à la pomme, c'est une préparation liquide, foisonnée, un peu épaisse, qui peut être sucrée (ou salée si l'on préfère), servie, par exemple, dans un beau récipient transparent, telle une coupe évasée.

Comment le confectionner ? La consultation des sites internet pourrait laisser penser que cela consiste à mélanger du jaune d' œuf et du sucre, puis à ajouter du jus de pomme, et à fouetter en chauffant.
Certes, quand les proportions sont bonnes, on obtient effectivement un sabayon à la pomme... dont le goût est très insuffisant, car on a pas construit le goût de pomme !

Oui, on s'est alors laissé aller à ajouter un ingrédient (de la pomme) dont on voulait le goût, mais un bon cuisinier, lui, sait bien qu'il s'agit de donner le goût de pomme à la préparation, et pas seulement parce que la cuisson fait perdre de la fraîcheur.

Pour bien faire, il s'agit non pas de mettre de la pomme dans la préparation, mais de faire sentir la pomme : dans un acte de communication, pensons moins à nous, à notre travail, qu'à l'effet que l’œuvre aura !

 

Oui, seul compte le résultat !

 

Je fais ici une parenthèse, parce que la phrase précédente doit être répétée. Quand nous mangeons, peu importe le travail du cuisinier, le fait qu'il ait utilisé un fouet plutôt qu'un siphon, ou du charbon de bois plutôt que de l'induction. Seul compte le résultat.
Bien sûr, on préférera toujours la cuisine d'un cuisinier qui a une belle réputation de gentillesse et d'honnêteté à celle d'un individu malhonnête, mais quand même : la qualité du résultat s'impose. Pensons à des écrivains comme Céline, qui ont eu des attitudes politiques déplorables, ou au mathématicien Laplace, qui fut un génie opportuniste. Leurs comportements détestables ne réduisent pas la valeur intrinsèque de leurs œuvres.

 

Il faut donner à sentir

 

Mais revenons à notre sabayon "à la pomme". Pour lui donner un goût de pomme "perceptible", il faudra ajouter des ingrédients qui ajouteront de l'acidité (jus de citron, par exemple), des sucrés (du miel ?), mais aussi des ingrédients salés, ceux qui contribueront à la longueur en bouche ; il faudra se préoccuper de la couleur, évitant notamment le brun un peu redoutable que prend rapidement la pomme ; on pensera aux piquants et aux frais, ce qui nous conduira peut-être à ajouter du gingembre, ou du poivre, voir du piment, par exemple.

Et c'est ainsi que, ajoutant des ingrédients qui n'ont rien à voir avec la pomme, nous parviendrons finalement à faire sentir un goût de pomme.

Cela, tous les bon cuisinier le savent bien, et c'est cela qui fait souvent l'objet des concours de cuisine, ou tels cuisinier ajoutera de la carotte à de l'abricot, de la menthe à de la courgette, du fenouil au marron...

Oui, répétons-le, il y a la question technique, évidente, qui consiste à faire le sabayon, mais, derrière, il y a la question principale de la construction du goût, qui impose un grand nombre d'ingrédients supplémentaires, qui ne se limitent pas à un "assaisonnement".

 

Le bon, c'est le beau à manger

 

Hier, ayant acheté un taboulé chez un traiteur bas de gamme, c'est bien l'absence de construction que j'ai analysée : bien sûr, il y avait du taboulé, il y avait du jus orange, un petit assaisonnement, et même du persil... mais il manquait... tout, en réalité : des raisins préalablement gonflés, de l'oignon longuement sué, des pétales d'ail, de la coriandre fraîche, que sais-je ? Car faire gonfler de la graine et lui ajouter une vague vinaigrette, ce n'est pas faire du taboulé : c'est se limiter à une question technique sans effleurer la question artistique, celle du bon, c'est-à-dire du beau à manger.

 

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