Surtout l’incertitude et, mieux, la reconnaissance de l’ignorance

 

Grâce à un ami, j'ai mieux compris ce matin combien nous devons être prudents, malgré nos "certitudes" durement obtenues !

 

Mon ami est enseignant, et, mieux, enseignant en sciences de la nature, et il m'interrogeait sur les systèmes dispersés : mousses, émulsions, gels, etc. Au cours de notre discussion, je me suis entendu lui répondre avec beaucoup d'assurance sur ce je... crois savoir ... jusqu'au moment où j'ai été amené à lui expliquer que, il y a plusieurs décennies, les auteurs de manuels de sciences de l'aliment publiaient que l'on devait avoir un fouet en fer et un bassin en cuivre pour faire ces mousses que sont les blancs d’œufs battus en neige, ou encore que les sauces mayonnaises devaient leur structure émulsionnée à des lécithines et que la moindre parcelle de blanc d'oeuf empêchait les sauces de prendre.

En réalité, il n'est pas juste de dire qu'il faille du fer et du cuivre dans le premier cas, il n'est pas juste de dire que les lécithines sont les tensioactifs ds mayonnaises, et il est faux de dire que le blanc d’œuf empêche les mayonnaises de prendre.

 

Commençons par expliquer tous ces points techniques, avant de revenir à notre analyse de fond

Pour les blancs d’œufs battus en neige, il s'agit simplement de disperser des bulles d'air dans l'eau qui fait 90 pour cent du blanc d’œuf. Nos prédécesseurs évoquaient un "effet pile", et s'il est vrai que du cuivre et du fer plongés dans du blanc d’œuf font une pile, il reste juste que l'on peut faire un blanc en neige avec n'importe quel matériau, sans cet effet pile... qui n'a aucun rôle. Mieux, quand nous avons battu le record de volume de blanc en neige (plus de 40 litres à partir d'un seul blanc !), nous avons fait cela avec des fouets et des culs de poule en inox, pour lesquels il n'y avait pas d'effet pile. Oublions cet effet pile, donc.

Pour les sauces mayonnaises, oui, les "phospholipides" - et pas seulement les lécithines- peuvent se disposer à l'interface eau-huile, mais ce sont surtout les protéines qui sont utiles pour cette émulsion qu'est la mayonnaise. Car la mayonnaise est une "émulsion", avec des gouttelettes d'huile microscopiques dispersées dans l'eau apportée par le jaune d’œuf et par le vinaigre (pas de vinaigre, sans quoi la sauce devient une rémoulade).
Et oui, ce sont les protéines qui sont importantes, parce qu'elles sont des sortes de cheveux bien plus gros que les phospholipides, et avec des charges électriques qui se repoussent, d'autre part.

 

La question de fond

Bref, nos prédécesseurs ont été très péremptoires, à dire des choses qui étaient fausses, et la question que je me pose est : que dis-je aujourd'hui de faux ? En quoi mes descriptions, mes "modèles", mes "théories", sont-ils erronés ? Voilà qui est passionnant : faire la chasse à nos certitudes, chercher nos ignorances...
Bien sûr, il nous faut dire les choses, avant de nous récuser, mais peut-être devrions-nous être prudents en disant ces choses. Quand nous expliquons, ne perdons pas une occasion de nous interroger sur nos "certitudes", pour les transformer en hypothèses que nous pourrons tester.
Du point de vue de l'enseignement, ce débat doit-il être apparent ? Ne risquons-nous pas, alors, de perdre nos amis, au lieu de transmettre des bases à partir desquelles ils pourront discuter ?
La question se tranche facilement : après tout, qu'est-ce qui nous empêche de préciser que, avec l'état de l'art actuel, voici ce que l'on croit savoir.
Surtout, il y a ce point essentiel pour mes collègues non plus enseignants, mais chercheurs : les investigations sont innombrables, puisque la moindre de nos données actuelles peut être explorée, en vue d'une réfutation.

Dépassons rapidement nos certitudes, questionnons nos savoir. Et, inversement, chérissons nos incertitudes, chérissons nos ignorances.

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